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Critique de julienrilzel


En vue de l'aspect exutoire qui est à l'origine du roman, l'écrivain prend ici une réelle liberté d'écriture dont rêve tout auteur, notamment au travers de ces feuilletons dont nous pourrons jouir en même temps que les liméniens les écoutent, ce qui donnera au lecteur un réel plaisir dans la lecture, puisque Mario Vargas Llosa semble s'être abandonné, avec beaucoup d'artifices, à toute la puissance créatrice dont il est capable. Ces histoires nous permettront alors de suivre les aventures d'une multitude de personnages aux destins obscurs, tragiques et, souvent, comiques. Nous devenons ainsi parfois ces liméniens accrochés à leur poste de radio, et entrons simultanément dans les méandres de la pensée de l'artiste bolivien (Pedro Camacho, auteur des feuilletons) lorsque nous apercevons la dégradation de son esprit, si tourmenté. Par ailleurs, toujours dans ces mêmes émissions, Vargas Llosa s'applique encore une fois à nous dépeindre la société péruvienne de l'époque, tant au travers du racisme omniprésent envers les argentins – que les liméniens semblent tolérer sans problème – ou par la description des diverses classes sociales aux sorts immuables, ou finalement par la critique de la religion dont ils sont tous victimes. Car, il le dira lui-même, il avait « (…) la manie de la fiction réaliste ».

Le roman porte aussi une réelle réflexion à la fois sur les aspirations de l'homme sud-américain moyen, ici lui-même, et sur la littérature. Sans cesse admiratif de Pedro Camacho, Varguitas rêve, contrairement à ses amis et en opposition à la carrière choisie de ses parents, de devenir un écrivain reconnu, et il se demandera alors « comment ces personnages qui se servaient de la littérature comme ornement ou prétexte pouvaient-ils être plus écrivains que Pedro Camacho, lui qui vivait seulement pour écrire ? Pourquoi avaient-ils lu (ou du moins savaient qu'ils devaient avoir lu) Proust, Faulkner, Joyce, et Pedro Camacho était à peu près analphabète ? ». Pour lui, les « vrais » écrivains sont donc ceux qui ne vivent seulement pour écrire, sans emprunter d'autre chemin que celui de la littérature et sans se soucier de la fortune ni de la reconnaissance. Il serait alors légitime de se demander si l'auteur, au travers du personnage excentrique bolivien, n'entre pas seulement dans une critique des milieux littéraires, mais puisqu'il en fait très vite partie également, dans une très juste critique de soi.

À ce sujet, son ex-épouse Julia Urquidi, elle-même écrivaine et auteure du livre "Ce que le petit Vargas n'a pas dit", dira lors d'une interview donnée au journal bolivien El Deber que « c'est moi qui ai fait ce qu'il est. le talent était de Mario, mais le sacrifice était mien. Ça m'a beaucoup coûté. Sans mon aide, il n'aurait pas été écrivain. L'obliger à copier ses brouillons, l'obliger à le faire asseoir pour écrire. Bon, ce fut quelque chose de mutuel, nous avions besoin l'un de l'autre. ». Afin d'assouvir les rêves de l'auteur de vivre et réussir en Europe, ils iront vivre ensemble à Paris où ils resteront quelques années pendant lesquelles Vargas Llosa occupera des emplois de professeur, traducteur, ou encore journaliste et doubleur à la télévision. Il y fera également la rencontre d'écrivains majeurs du « boom latino-américain » tels que Julio Cortázar, Carlos Fuentes, et Gabriel García Marquez - avec qui il entretiendra une grande amitié, acteurs d'une contestation stylistique qui entreprend de casser les codes de la narration traditionnelle pour en revendiquer une plus moderne et plus libre jonchée de monologues intérieurs, polyphonie, ou d'une fragmentation récurrente de la chronologie.

Ainsi il obtiendra le Prix Nobel de Littérature en 2010 - la même année où décède Julia Urquidi - « pour sa cartographie des structures du pouvoir et ses images aiguisées de la résistance de l'individu, de sa révolte et de son échec », et une multitude d'autres prix à travers le monde entier.

En lisant l'oeuvre de Mario Vargas Llosa, il nous est presque possible d'effleurer de la main les robes liméniennes, sentir les odeurs de floraisons qui nous sont inconnues ou encore ressentir la brume froide des matins péruviens, le tout mêlé à l'ambiance révolutionnaire de cette époque passée qui, par ses aspirations de liberté, nous intrigue encore. Et peut-être, au vu des jours que nous regardons arriver, nous intriguera-t-elle toujours ?
Lien : https://julienrilzel.wordpre..
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