Il y a ces livres sur lesquels on a peiné tout le long, mais qu'on se félicite d'avoir terminé.
Parce que bon, je sais ce que vous allez me dire : comment, toi, Sylvain, amateur de fantasy bien bourrine et de musique dubstep, tu te mets à lire
Clément Marot ? Et après tu t'étonnes que ça te plaise pas... Ah oui mais en fait non : il s'agit là de cette fameuse activité merveilleusement récréative que l'on nomme "lecture scolaire", et sur le fait de si j'aime ou j'aime pas, je vais me révéler beaucoup moins acerbe que vous ne le pensez.
Pour ceux qui connaîtraient justement pas Marot, c'est un poète rattaché a posteriori à un mouvement littéraire (comme un peu tout le monde à son époque, je crois), celui des grands rhétoriqueurs, qui devaient donc manier la langue comme on manie l'épée. Oui, mais. Il existe différentes sortes d'escrime, les maniérées et complexes pour désorienter l'adversaire, les raffinées pour montrer qu'on est pas des bêtes, les lourdes et imposantes afin de mieux l'effrayer. Et les plus simples qui vont droit au but.
Ce serait d'une mauvaise foi terrible de dire que le poète qui nous occupe aujourd'hui était le pire de son époque ; bien au contraire, il a ouvert la poésie française à davantage d'intimité en la préférant au style tape-à-l'oeil. Pourtant, on sent l'héritage de son époque, s'amusant à faire les formes les plus complexes possibles, quitte à user d'un vocabulaire parfois presque précieux, et paradoxalement le plus souvent si dépouillé qu'il ressemble à une simple conversation mondaine dépourvue de toute saillie. le style de Marot est extrêmement narratif, le tout s'accommodant mal des rimes qui lui préfèrent les textures ou la fantaisie du poète. Les thèmes, peu variés, tournent essentiellement autour de l'amour, charnel et christique, mais tous les éléments subversifs, questionnements ou plaisanteries grivoises, se font rares et très vite évacués.
Cela dit, on doit lui reconnaître une certaine aisance dans le style : quand vous écoutez, je sais pas, moi, du technical death metal, vous l'écoutez pas pour l'aspect mélodique ou agréable ; vous l'écoutez pour voir comment le musicien va s'enfermer dans son propre carcan de règles influant sur l'irrégularité et la complexité de sa musique et comment il va retomber sur ses pattes. Pour Marot, c'est pareil : vous allez pas le lire parce que c'est passionnant, mais pour voir les différentes expérimentations jusqu'au-boutistes qu'il va faire avec le style. Et quelle mine d'or de découvertes : rondeaux parfaits, rimes batelées, rimes couronnées... Les notes en bas de pages nous expliquent des trucs auxquels on n'aurait jamais pensé nous-même. Bref, c'est peut-être pas une bonne idée de reprendre toutes ces techniques, mais piocher dedans peut s'avérer bénéfique pour travailler la forme du moment que ça reste sans la laisser étouffer le fond.
Voilà donc un recueil qui me laisse perplexe : d'un côté je l'ai trouvé d'un ennui absolument prodigieux, d'un autre je ne peux pas dénier l'aisance de l'auteur. Sans doute à lire avec modération...