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EAN : 9782267022810
411 pages
Christian Bourgois Editeur (12/01/2012)
3.71/5   38 notes
Résumé :
A ceux qui s'étonnaient qu'il ne se soit jamais servi des circonstances, fort romanesques, de sa naissance et de son adoption, Juan Marsé avait jusqu'ici l'habitude de répondre que ses mémoires se trouvent dans ses romans et ses nouvelles.

" Je comprends que ce soit un thème très littéraire (ou qu'il puisse le paraître à certains) mais je ne l'ai jamais abordé comme tel, bien que mes romans soient pleins de gamins qui s'inventent leurs père, ou qui dé... >Voir plus
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A la fin des années 1940, observée par l'oeil rêveur d'un jeune garçon épris de musique et de littérature, la vie d'un quartier populaire de Barcelone donne naissance à sa vocation d'écrivain…

« La rue Torrente de las Flores croise quarante-six rues, a une largeur de sept mètres et demi, est bordée d'immeubles peu élevés et compte trois bars." Mais pour le jeune Ringo, elle est avant tout le théâtre de ses rêveries et de ses illusions, de ses erreurs et de ses égarements, de ses réflexions et de ses ambitions.
De son poste d'observation, jour après jour assis près de la fenêtre du bar Rosales, Ringo se fait le témoin muet de tout un petit monde de déshérités pour qui l'espoir le dispute à l'amertume quotidienne de vivre dans une Barcelone où le franquisme plane telle une ombre de cendres, enveloppant chacun d'un sentiment de morosité et de perte malgré des dehors faussement gouailleurs et enjoués.
Ringo connaît ces sentiments d'abandon que beaucoup d'habitants portent sur le visage.
A commencer par lui-même qui a vu son rêve de devenir musicien disparaître en même temps que son index dans les rouages du laminoir de l'atelier de joaillerie où il faisait son apprentissage; à commencer par sa mère dont les heures de travail comme aide-soignante laissent souvent, au terme de la nuit, totalement épuisée ; ou encore son père, le fort-en-gueule Raticide, dont les activités de résistance clandestines et les blagues sarcastiques camouflent mal les désillusions face à ce qu'il nomme « le trou du cul du monde », une Espagne envahie par les « rats bleus » et abandonnée des nations alliées; ou bien encore Mme Mir, femme d'âge mûr au coeur de midinette, pathétique amoureuse attendant désespérément une lettre qui ne viendra plus…

Mais « sous les ombres persistantes de l'imagination » de son regard rêveur, Ringo fait s'animer et s'auréoler tout ce petit peuple d'une réalité nouvelle car « ce qui est inventé peut avoir plus de poids et de crédit que la réalité, plus de vie propre et plus de sens, et par conséquent plus de possibilités de survie face à l'oubli. »
Peu à peu germe en lui quelque chose qu'il avait pressenti depuis longtemps déjà, le pouvoir de la fiction et des mots inscrits sur le papier.
Au gré de ses observations et des attentions constantes qu'il porte aux personnages de sa rue, une certitude se fait jour et une nouvelle inclination éclot, qui poussera Ringo à croire « que ce n'est que dans ce territoire ignoré et abrupt de l'écriture qu'il trouvera le passage lumineux qui va des mots aux faits, endroit propice pour repousser l'environnement hostile et se réinventer soi-même. »
Mais les mirages et les faux-semblants, les allers-retours entre mensonge et vérité sont quelquefois source d'interprétations erronées. Au côté de Mme Mir, de Violetta, de M. Alonso et des autres habitants de Torrentes de las Flores, Ringo apprendra aussi que dans la vie tout peut être sujet à imposture.

Roman d'apprentissage et d'initiation, « Calligraphie des rêves » est une magnifique réflexion sur le pouvoir de l'imaginaire à travers la représentation haute en couleur d'un quartier populaire de Barcelone. le jeune Ringo, alter égo de l'auteur, aimant à ce point « franchir le seuil de l'improbable et de l'imperceptible », y fait l'expérience de la vie mais aussi de l'art de mettre en scène la réalité grâce à l'écriture et à la fiction.
Au-delà d'un superbe texte admirablement maîtrisé, le plaisir de raconter, la satisfaction de fabuler, le bonheur d'écrire, que l'on ressent avec une intensité viscérale chez le romancier, ajoutent à la force d'un récit largement autobiographique, déjà éminemment touchant dans tous les aspects de sa narration par la luxuriance des petits riens et des détails, par la description colorée de personnages plus attachants les uns que les autres et par la peinture animée de Barcelone, des Ramblas au parc Guëll… Comme une peau qui respire, la vie jaillit et sourd avec ravissement de tous les pores de la prose de Juan Marsé, le long d'un graphisme délié et au gré de phrases longues et fuselées qui s'écoulent avec la fluidité et la limpidité d'une eau vive.

Lire « Calligraphie des rêves », c'est avoir l'impression de se retrouver projeté dans ces vieux films italiens néoréalistes d'après-guerre - de Roberto Rosselini, de Dino Risi - qui décrivent la dure réalité quotidienne, économique et morale, des faubourgs populaires. L'on y voit le linge pendre aux fenêtres et une nuée de gamins en culottes courtes s'égailler comme un vol de moineaux dans les vieux quartiers de la ville, sous le regard impassible de vieillards assis devant les portes des bistrots…
Le réalisme pointilleux et expressif y est terriblement attendrissant ; la poésie et la cruauté de la vie y sont harmonieusement entrelacées et, à mi-chemin entre le rire et les larmes, la comédie côtoie le drame et le burlesque le pathétique.
Vif, entraînant, chamarré, émouvant, déchirant, raffiné, le roman de Juan Marsé est un bonheur de lecture dont nous remercions les éditions Christian Bourgeois de nous avoir permis la découverte par le biais de l'opération Masse critique.
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«Tout cela est arrivé il y a bien longtemps, quand la ville était moins vraisemblable qu'aujourd'hui, mais plus réelle.» p 9
Le basculement entre réalité et fiction, entre vérité et mensonge, parfois opposés mais cohabitant le plus souvent au coeur d'un même événement donne le ton de ce récit dont la trame sous-jacente laisse entrevoir un monde gris, de vaincus, le monde des années de l'après-guerre civile sous le régime de Franco où règne la pauvreté, les cartes de rationnement, les silences, la peur et les soupçons.
C'est aussi, et surtout, à travers la vie de tout le petit peuple coloré d'un quartier populaire de Barcelone une réflexion sur l'écriture, le pouvoir de l'imagination qui permet de créer un monde vivant, espace de liberté né de l'attention qu'on lui porte, et de le sauver de l'oubli.
Le regard qui participe et se fait témoin de la vie bigarrée et tragi-comique des habitants de la rue Torrente de las Flores dans le quartier de Gracia est celui d'un adolescent Domingo.
Passionné de musique, dévoreur de livres et fasciné par les films américains, il a choisi de se faire appeler Ringo comme John Wayne dans «La chevauchée fantastique». Avec ses copains du quartier Gracia il invente, dans le jardin de Las Animas ou sur les pentes de la Montagne Pelée, des histoires de Far-west dans lesquelles chacun d'eux veut jouer un rôle, où se mêlent des personnages de fiction issus de films ou de lectures et des voisins comme Violeta, la fille de Mme Mir «soignante et kiné professionnelle à en croire ses cartes de visite», qui les fait fantasmer.
Apprenti joaillier (comme l'a été Juan Marsé) Ringo va perdre son index droit avalé par le laminoir ce qui interrompra son apprentissage et lui fera perdre progressivement, ajouté à la pauvreté, tout espoir de devenir pianiste, sa vraie vocation.
Mais «en le libérant du travail, sa convalescence, plus longue que prévu, favorise les lectures les plus capricieuses, diverses et inégales». Il va alors passer de nombreuses heures à lire et observer sans en avoir l'air, «camouflé dans la lumière verdâtre qui filtre par la persienne», au coin d'une fenêtre du bar-marchand de vin Rodales, point central où se focalise toute la vie des habitants, les allées et venues des clients du bar et les mouvements de la rue. Il devine, ressent intuitivement que ce qu'ils inventent, et lui à leur suite, est plus important que ce qu'un simple regard saisit.
Le chapitre charnière intitulé «Calligraphie des rêves» donne son titre au roman car c'est le moment où se confirme le destin d'écrivain de Ringo, qui comprend qu'il y a autant de vérité dans la fiction littéraire que dans la réalité quotidienne, qu'elle se nourrisse l'une l'autre. Il commence alors à noter dans des carnets ses réflexions et à construire les premières phrases d'un récit.
Juan Marsé, que je découvre avec "Calligraphie des rêves", est un enchanteur. Il crée des scènes saisissantes et nous embarque, dès les premières pages, en compagnie des personnages de son roman, qui ont tous plus ou moins quelque chose à cacher, dans une histoire où abondent des moments inoubliables, bouleversants et emprunts d'humour, où domine le personnage de madame Mir, attachante par son outrance, tragique et ridicule à la fois.
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Sans être un roman auto-biographique, nul doute que Ringo soit "l'avatar" de Juan Marse...enfant adopté comme lui, vivant dans le même quartier populaire de Barcelone de l'après guerre civile. Ce roman tient davantage d'une athmosphère que d'une histoire. A travers le regard encore imprégné de l'enfance, c'est toute une série de portraits qui nous est présentée. Toutes les figüres du quartier sont là, dont les plus pittoresques sont madame Mir et sa fille, Paquita la tenancière du café duquel Ringo observe, écoute et rêve, et bien sûr ses parents. Il y a quelque chose de cinématographique dans cette lecture, ambiance à la "cinéma paradiso" mais dont la gaïẗé est remplacée par une lassitude, une résignation. le père de Ringo et quelques autres chassent pourtant "les rats bleus" et on comprend rapidement que derrière ce bonhomme bourru et provocateur se cache un résistant., "...comme la peau de la chataigne, crâneur au dehors et au dedans doux comme le velours". Ringo, vit surtout dand l'imaginaire "Ringo sent dans ses veines l'irrésistible fascination du futur, quelque chose d'indéfinissable mais de plus tangible, plus intense et plus vif que la vie réelle..." Madame Mir, attire tous les regards et commérage et notre jeune Ringo se défend d'une tendresse à son égard.Sous ses critiques le personnage pourrait n'être que ridicule et pathétique alors qu'il est émouvant et tout en amour...La fin vient illustrer magistralement combien la vie fantasmée peut prendre le dessus sur la réalité...Je ne connaissais pas Juan Marse , je découvre une très belle écriture.
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Barcelone au temps de la dictature franquiste. Après la seconde guerre mondiale. Un jeune adolescent cherche son chemin dans la vie, un accident le privera d'un index et de ses rêves de carrière musicale. Mais ce sont surtout ses rêveries que nous conte Marsé et à travers elles, la vie désabusée mais joyeuse d'une population, qui malgré les vicissitudes, reste solidaire et debout.

Marsé ne nous parle pas dans un style direct mais nous emmène par les tribulations de son jeune protagoniste à découvrir par nous-mêmes le non-dit et le caché de ces existences.

C'est doux et amer, mais avec un soleil qui darde les coeurs malgré tout. Avec beaucoup de désillusions également. Une belle lecture, mais pas au point de devenir un coup de coeur pour cet auteur espagnol que je ne connaissais pas.
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Avec Marsé, il faut accepter de ne pas tout comprendre tout de suite (j'avoue avoir abandonné plusieurs fois avant de savourer…). Non pas que son écriture soit trop complexe, mais tout simplement parce qu'elle ne suit pas toujours une chronologie linéaire et que, dans la vie "réelle", les faits se présentent rarement à nous avec leur explication. Ainsi, cette femme un peu boulotte, Victoria Mir, mélange de ridicule, de pathétique et de charnel, qui, après avoir poussé un long cri rauque, s'allonge en pleine rue sur les rails du tramway? Heureusement, ce sont de vieux tronçons inutilisés, le suicide est impossible, mais la mise en scène mobilise quelques instants le quartier. Pourquoi cette mise en scène, justement ? Patience, nous le saurons un peu plus tard. Tout comme nous apprendrons que le héros du livre est un spectateur de la scène. Première puce à l'oreille, cette réflexion du scripteur à propos de ce garçon : "c'est peut-être la première fois que ce garçon pressent, de façon imprécise et fugace, que ce qui est inventé peut avoir plus de poids et de crédit que la réalité, plus de vie propre et plus de sens, et par conséquent plus de possibilités de survie face à l'oubli." On devine que cet enfant a certains dons littéraires, ou du moins une appétence à l'imaginaire. On apprend plus tard qu'il voudrait être pianiste virtuose, mais un accident de travail (il est apprenti) lui fait perdre un doigt. Il se rêvera en pianiste "aux neuf doigts" . En attendant, à divers moments, il invente des histoires pour ses copains, tenant compte ou non des contraintes que ceux-ci lui imposent, notamment quant au choix du beau rôle dans le western qu'il improvise.

Alors, écrivain ? Nous verrons bien. C'est un enfant à part, décalé par sa naissance et sa mystérieuse adoption (non officielle), dont le nom n'est pas le vrai nom. Cette prise de conscience ne peut que développer une appétence au mystère. Bien qu'il soit dit à son propos que "La vie des autres, si les autres ne sont pas dans les romans ou dans les films, ne mérite à ses yeux qu'un regard par-dessus l'épaule et une considération ennuyée" , on découvre au contraire un enfant très attentif aux signes et aux gens qui l'entourent, au métier de son père, à l'érotisme des affiches de cinéma ou de théâtre, aux personnages qui peuplent son quartier et son QG, le café Rosales, les ragots qui y circulent, notamment à propos de Victoria Mir, kiné à domicile, de ses " mains audacieuses, qui dispensaient frictions corporelles et calmaient diverses ardeurs" , et son histoire avec cet ancien footballeur, boiteux, M. Alonso. Notre héros, Ringo, sera impliqué dans cette histoire. C'est avec M. Alonso qu'il passera sa première soirée au Barrio Chino, sa première cuite...

Ce beau roman est une immersion dans les quartiers populaires de Barcelone sous la dictature, entre les sous-entendus politiques et l'espoir de n'être pas abandonné par le reste du monde. C'est aussi une réflexion sur le pouvoir merveilleux de la fiction grâce à laquelle il est possible de s'évader de la grisaille quotidienne pour rejoindre un monde meilleur. Un roman sensible, une belle invitation au rêve.
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critiques presse (2)
LeMonde
03 février 2012
Tous les personnages qui se côtoient dans ce récit semblent doués d'une vie miraculeuse. Tous vibrent et pleurent, souffrent, aiment, désirent comme s'ils étaient réellement de chair et d'os.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Telerama
12 janvier 2012
A travers Ringo, Juan Marsé raconte aussi, comme jamais, son propre parcours. Et de ses phra­ses ciselées comme ces bijoux auxquels travaille l'apprenti, le vrai, superbement, se fait fiction. Le salut, décidément, passe par le mensonge.
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (15) Voir plus Ajouter une citation
Des nuages jaunes descendent sur la Montagne d'Or, dit-il en fixant des yeux les buissons de genêts. On est en mai, et leur floraison ceint la colline d'anneaux d'or. Sous le brouillard, au loin, au-delà du Cottolengo du Padre Alegre, Barcelone s'étend vers la mer comme de l'eau de pluie stagnante et sale et tout là-haut, au-dessus de leurs têtes, dans le ciel blanchâtre, un lourd cerf-volant rouge à petits ronds jaunes se balance et crisse dans le vent avec un rire cristallin, en piquant brusquement de la tête parce que la ficelle est maniée, du haut de la Montagne Pelée, par des mains inexpertes. p 57
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Face à un simulacre de suicide (une femme s’est allongée sur les rails du tramway, qui ne circule plus depuis longtemps)

« (…) c’est peut-être la première fois que ce garçon pressent, ne serait-ce que de façon imprécise et fugace, que ce qui est inventé peut avoir plus de poids et de crédit que la réalité, plus de vie propre et plus de sens, et par conséquent plus de possibilité de survie face à l’oubli. »


Des réflexions de son père sur le réel et l’imaginaire, suite à un incident sur une scène de spectacle :

« Où a-t-on vu chose pareille ? Imagine un peu, le public voyait clairement que c’étaient des rats, ils étaient là, enragés et velus, et tout le monde s’obstinait à croire que c’était un tour de l’illusionniste ! Aujourd’hui, plus personne n’ose voir les choses comme elles sont ! »


« Parfaitement symétriques, larges d’un peu plus de quinze centimètres et assez usées par les pluies et les pieds folâtres de la petite bande, les trois marches surgissent à l’improviste du néant et grimpent sur la colline, vers nulle part et pour rien. »

« Où qu’il aille dans le futur, depuis ce matin où, seul, mais parfois flanqué de Mowgli puis de Winnetou, il se met en chemin en portant à son bras le panier du déjeuner de son grand-père, qui l’attend en sulfatant la vigne, où que demain la vie le mène, ses pieds fouleront ce chemin et soulèveront de nouveau jusqu’à son nez une poussière aux parfums de sparte, de fumier et de raisin pressé, et quelque chose de cette poussière germinale l’accompagnera toujours. Il n’y a pas, il ne peut pas y avoir d’autre chemin comme celui-ci au monde, pense-t-il encore aujourd’hui, aucun chemin qu’il ait pris autant de fois dans sa mémoire.»

Son père et ses amis brûlent des livres interdits :

« Ranimé par les rafales, le feu soulève des feuilles qui se sont détachées de certains volumes et les maintient un instant sur la crête des flammes, voletant comme de grand papillons noirs au milieu d’une constellation de flammèches ».

« La réponse (à une question posée par un personnage) est le crépitement à peine audible des pages, la rumeur des mots convertis en cendres, un chuintement incessant dans les oreilles de l’enfant. Combien de fois l’entendra-t-il à nouveau, jusqu’à ce qu’il devienne un vrai sifflement. »


« Ses yeux errent de la rue à l’écriture. Sa main bandée tient encore le crayon, avec effort, et l’autre s’obstine à cacher, avec pudeur, la première annotation, quand, attentif à d’autres échos et à d’autres rythmes, il décide de corriger et de préciser davantage.
Sur son versant sud, creusé dans un rocher, il y a trois marches d’un escalier qui n’a jamais été terminé, et dont personne ne sait où il voulait monter.
Il croit que c’est dans ce territoire ignoré abrupt de l’écriture et de ses résonnances qu’il trouvera le passage lumineux qui va des mots aux faits, endroit propice pour repousser l’environnement hostile et se réinventer soi-même ».

« Refuser son véritable nom avait toujours été un peu plus qu’un jeu ou une idée amusante. Si elle n’était pas si bizarre, et si elle n’avait pas presque deux ans de plus que lui, il le lui expliquerait avec plaisir. Mon nom est Domingo, poupée, mais quand j’étais petit on m’a enlevé le do, la première note de la gamme, et ça a donné Mingo, qui ne me plait par du tout. Un prénom mutilé, comme mon doigt. On m’a enlevé la note de musique, mais moi j’ai changé une lettre, une seule, et depuis ce jour-là il faut me chercher dans la prairie de l’Arizona, loin de ce sale quartier… »
(le héros se fait appeler Ringo).

« Ce ne sera pas pour longtemps, lui a dit sa mère, aucun mal n’est éternel. Pas pour longtemps, oui, combien de fois a-t-il entendu ces mots bien intentionnés, à la maison, au bistrot ou dans tant d’autres lieux, mais en fait tout dure finalement jusqu’à ce que vous soyez au bout du rouleau ; plus que tout autre chose, plus que la charge quotidienne de désirs et de manques, plus, même, que la peur ou l’incertitude du lendemain, c’est ce vague malaise de ne pas avoir fait ce qu’on devait faire, ce qui était le plus juste et le mieux, même en sachant que le mieux et le plus juste n’auraient servi à rien non plus. »

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Refuser son véritable nom avait toujours été un peu plus qu'un jeu ou une idée amusante. Si elle n'était pas si bizarre, et si elle n'avait pas presque deux ans de plus que lui, il le lui expliquerait avec plaisir. Mon nom est Domingo, poupée, mais quand j'étais petit on m'a enlevé le do, la première note de la gamme, et ça a donné Mingo, qui ne me plaît pas du tout. Un prénom mutilé, comme mon doigt. On m'a enlevé la note de musique, mais moi j'ai changé une lettre, une seule, et depuis ce jour-là il faut me chercher dans la prairie de l'Arizona, loin de ce sale quartier ...
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Lève la tête ne regarde pas le clavier comme ça....la musique n'est pas dans les touches, la musique est dans la mémoire des doigts et dans le cœur. La mémoire des doigts. Il ne saurait l'expliquer mais il jurerait que, devant ce clavier délabré et taché de nicotine, il a reçu quelques leçons pour se conduire dans le monde...............il avait deviné un magistère qui allait plus loin que les rudimentaires leçons de solfège et de piano, une façon déterminée de comprendre et d'assumer tout ce qui lui arrivait, et il se souvient que c'est dans ce tourbillon de notes dansant sur la portée et dans son cœur qu'il avait perçu un jour, tout à coup, l'arôme d'une nouvelle et étrange discipline qu'il était tout à fait disposer à embrasser à l'avenir. Par exemple, des habitudes aussi simples que lever le bras pour commencer la mesure, pour saisir les notes au vol comme si c'étaient des papillons de lumière dansant dans l'obscurité, et celle de garder les mains dans une calme attente sur le clavier pour convoyer le miracle de l'accord harmonique, tendaient mystérieusement, jour après jour, à se transformer en petits préceptes de moralité...........C'était comme si, durant ces jours heureux, la musique était la seule chaîne sur laquelle se tramait la vie, et comme si, entre les cinq lignes de la portée, était chiffrée la beauté que lui réservait le monde
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Quoi qu'il en soit, quelqu'un qui avait jugé tout cela inapproprié et offensant l'avait dénoncé, et le camarade Ramon Mir Altamirano avait été convoqué à la délégation locale de la Phalange de la place Lesseps pour qu'il s'explique devant le chef, qui était un ami à lui. Là, il avait haussé les épaules, empoigné sa braguette à deux mains et face au soleil il avait juré qu'il s'agissait d'une affaire d'honneur, un hommage personnel à une courageuse amie qui risquait sa vie pour une juste cause. L'heure n'est plus aux ardeurs épiques, camarades, l'heure est à l'expiation intime, dit-il, à ce qu'on raconte. Et que c'était son style et qu'il n'avait pas l'intention de s'excuser, putain, camarades, son adhésion était toujours aussi inébranlable et il n'était pas disposé à ajouter quoi que ce soit à ce sujet. De quelle foutue expiation parlait-il? Le diable seul le sait ! On l'admonesta sérieusement en l'enjoignant de ne plus se balader en crânant en uniforme et en faisant peur aux gens, sinon, la prochaine fois, il devrait rendre des comptes à la direction provinciale du Mouvement et il pourrait se faire expulser du parti et être destitué de son poste de maire-adjoint.
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Vidéo de Juan Marsé
El embrujo de Shanghai (trailer) film de 2004 de Fernando Trueba. Adaptation du roman Les nuits de Shanghai
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