Publié en espagnol en 1990 et en français en 1996,
L'amant bilingue se situe environ à la moitié de l'oeuvre de
Juan Marsé. Nous sommes à Barcelone. le personnage principal du livre, Joan Marès, traîne une vie misérable, gagnant sa vie en jouant de l'accordéon dans les rues. Il vivote ainsi depuis que sa femme l'a quitté, après qu'il l'ait surpris avec l'un de ses amants, un cireur de chaussures. Riche héritière, le mariage avec Marès était une sorte d'aberration et d'erreur pour Norma : pauvre, sans culture ni relations, il ne faisait pas partie de son monde. Elle refuse de revoir son mari, qui multiplie les stratagèmes pour l'approcher, sans qu'elle le reconnaisse. Un déguisement de carnaval lui donne une idée plus audacieuse : et s'il l'approchait de plus près, et pourquoi pas, refaisait sa conquête sous une apparence différente, celle des amants qu'elle recherche ? Il entreprend de se transformer, prend le nom d'un camarade d'enfance parti en Allemagne, Faneca. Mais la transformation va aller bien plus loin que ce que Marès imaginait…
J'ai eu du mal à entrer dans ce roman, sans doute un peu trop outrageusement baroque pour moi, et écrit dans un style d'apparence très simple, peut-être un peu trop pour m'accrocher d'emblée. J'ai eu du mal à suivre Marès dans son obsession dévorante pour sa femme, qui ne semblait vraiment pas la mériter. Mais petit à petit, j'ai trouvé le livre plus intéressant, sans doute au moment où Marès s'effaçait pour laisser la place à Faneca, et où Norma et son petit monde se trouvait un peu remis à sa place. le grotesque laissait davantage de place à une forme de poésie et nostalgie, et cela me convenait mieux. La manière dont Marès abandonne sa personnalité et ses ressassements malsains, en endossant une autre identité, est à mon sens très réussie. Devenant un autre, il porte un autre regard sur Norma, et peut passer à autre chose, même si étrangement, le changement d'identité s'accompagne d'une remontée de souvenirs de l'enfance, qui précèdent la rencontre avec Norma, et la relativise en quelque sorte. Les jeux de miroir, d'identité, d'identification, deviennent une sorte de labyrinthe où le passé ressurgit dans le présent et rend possible un autre avenir. Tous ces jeux sont sans aucun doute bien plus sérieux que ce qu'ils ont l'air d'être : Marès est un anagramme de Marsé, dont le nom de naissance est Faneca…. Je ne connais pas assez bien la vie et l'oeuvre de
Juan Marsé, mais il y a sans doute des analyses à faire sur la part de lui-même qu'il a mis dans son personnage.
Sans être un immense coup de coeur, un livre qui m'a au final plutôt convaincue, et laisse la porte ouverte à d'autres lectures de l'auteur.