Au premier siècle de notre ère, douze hommes, douze Romains, ont été portés au pouvoir et ont assumé la responsabilité écrasante de l'empire romain, empire qui se concevait comme un état mondial avant la lettre. Ces douze hommes concentraient l'attention et les regards de tous sur eux, et leur position, la publicité de leur statut, les plaçaient au-dessus du commun des mortels. Ils eurent donc leurs historiographes, puis leurs historiens, et parmi eux se trouvent les plus grands prosateurs latins et grecs que nous connaissons : Tacite,
Suétone,
Plutarque, et quelques autres moins connus mais fort valables, comme
Dion Cassius. Très vite, le mythe a imprégné le discours historique partisan laissé par ces auteurs, mythe relayé au XIX°s par la médecine, qui inventa une maladie, la "césarite", censée expliquer les dérives et les folies du pouvoir suprême. Avec le cinéma, les fantasmes dont ces empereurs font l'objet sont devenus omniprésents.
Il est donc bien difficile de rétablir les droits de la raison historique dans le cas de ces Douze Césars, mais l'auteur sait tirer profit de l'attention même dont ils furent les objets, pour tenter de reconstruire le corps, la personnalité, la psychologie, les pathologies de ces douze hommes. En plusieurs chapitres thématiques, il reprend tout le dossier des Césars en s'aidant de la médecine, de la psychiatrie et de la sociologie, et lit de manière critique les portraits du temps, en les rapportant aux partis-pris des historiens antiques, en particulier Tacite ("le plus grand peintre de l'Antiquité" selon Racine), le plus génial et le plus partial de tous.
Il ressort de cette enquête une grande leçon de méthode historique, en matière de critique des sources et de chasse à l'anachronisme. Mais on comprend aussi à quel point l'histoire a de profondes affinités avec la littérature, avec le mythe. L'histoire n'est pas seulement ici une enquête rationnelle qui dissipe les fantasmes, elle est aussi une écriture littéraire qui change ce qu'elle touche en légende.