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EAN : 9782363390967
480 pages
Finitude (03/05/2018)
4.36/5   105 notes
Résumé :
Entre détracteurs enragés et admirateurs fascinés, Jérôme est de ces romans qui interdisent la modération. L'histoire est pourtant simple : obsédé par Polly, la jeune fille qu'il croit aimer, Jérôme Bauche se lance dans une quête hallucinée à travers une ville étrange, un peu Paris un peu Saint-Pétersbourg. Tel Dante, il s'enfonce irrémédiablement vers l'enfer, et nous y entraîne avec lui. De gré ou de force. Depuis des années, Jérôme était devenu introuvable et on ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (17) Voir plus Ajouter une critique
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Une descente aux enfers ? une quête frénétique d'amour ? une expérience d'avilissement absolu ?

Un électro-choc, une trépanation sans anesthésie, en tous les cas….

Jérôme est un OVNI qui a pourtant quelques frères en déréliction….

Jérôme est une sorte de frère monstrueux d'Ignatius Reilly, dans La Conjuration des imbéciles. Comme lui il est repoussant, obèse, alcoolique, libidineux, affligé d'une mère qui l'horrifie…
Mais Jérôme n'est pas Ignatius, insolent, foutraque et drôle : Jérôme fait horreur et pitié. Il ne fait jamais rire ni sourire.

Comme le consul de Au dessous-du volcan Jérôme s'abîme dans une quête d'amour vertigineuse ; comme lui, il mène son auto-destruction tambour battant, avec une sorte de méthode désespérée : 24h et je vous donne l'immonde …
Mais il n'y a pas chez Jérôme la moindre transcendance par le crime, le sexe ou l'alcool : juste un avilissement encore plus fondamental, une solitude encore plus désespérante, une nausée existentielle encore plus viscérale…

Comme Céline, Jean-Pierre Martinet utilise le verbe, la langue, comme viatique dans son Voyage- au- bout- de- la- nuit- personnel : langue incantatoire, langue coupée, langue éructée, langue bégayante, langue inventive, langue intrusive, langue portée jusqu'à l'incandescence, jusqu'au crachat, jusqu'à l'innommable…
Mais Martinet ne s'en sert pas comme Céline pour tenter de nommer les contrées étranges de la guerre, de l'Afrique, de la rutilante Amérique ou de la misère : la langue de Martinet explore son propre microcosme- un Enfer intérieur projeté devant Jérôme par sa propre angoisse, comme une ombre portée sur le sol; le monde de Martinet est ramené à son quartier, avec son cloaque souterrain- les bas-fonds du passage Nastenka- son cimetière, son café, sa maison des Papillons-Blancs( !!!), son école de filles, son épicerie- une ville-fantasme entre Paris et Saint-Pétersbourg, pendant 24h, d' un mois d'avril glacial et neigeux, plus hivernal que printanier.

Convoquer trois très grands livres pour tenter de parler de Jérôme c'est le mettre d'emblée au rang des toutes grandes oeuvres. Et c'est ce sentiment que j'ai eu, très vite, en le découvrant, même si ma lecture n'a pas été de tout repos. J'ai dû, je l'avoue, faire des pauses, malgré ma fascination, tant la violence de ce désespoir, tant l'humanité de cette abjection m'étaient douloureuses et parfois insupportables….avant de replonger dans le marasme et le cloaque où Jérôme s'enfonce irrémédiablement, comme si j'avais été irrésistiblement entraînée par cet anti-héros monstrueux - pédophile, tortionnaire, assassin, onaniste, ivrogne mais surtout seul, désespérément et inéluctablement seul.

L'histoire est simple, on pourrait même dire linéaire : Jérôme après avoir commis un crime presque malgré lui, et avoir assisté à la mort de sa vieille mère qui assure seule sa subsistance, sort de chez lui pour fuir ces deux cadavres, et se lance dans la poursuite désespérée d'un coeur ou d'un sexe à prendre. Son fantasme porte le nom d'une petite écolière qui l'obsède jusqu'au délire : Paulina Sémilonova.

Dans sa course à l'abîme, il ne rencontre que misère sexuelle, solitude, violence, déchéance ; il refuse toute marque d'affection ou d'attention comme suspectes, exerce sa cruauté sur les êtres et les bêtes, et, dans sa paranoïa, fuit autant qu'il la recherche toute rencontre.
Comme un Diogène, cynique, Jérôme cherche un homme, ou une femme, ou une enfant, ou une poule qui le sauverait du néant. Et il parcourt jusqu'au vertige sa propre déréliction, espérant qu'une main se tende : "….tu n'as jamais réussi à vomir les hommes. Toujours en toi cet immense amour inemployé déployé je voulais dire dévoyé. Ainsi la main qui voulait caresser à force de rebuffades finit-elle par brandir un poignard. de toute manière. »


Mais cet idiot est un fin lettré : dans sa nuit apparaissent Achab, Dante, Dostoïevsky, Ulysse, Bardamu, Aragon –la séquence auprès de la putain Bérénice qui a lu "Aurélien" est une des plus touchantes du livre- Bartleby, et même le pasteur fou de la Nuit du Chasseur…L'étrange silhouette présente-absente de Solange fait penser au Dracula de Bram Stocker….Tout ce que la culture a produit de plus fort, de plus beau semble émailler de ses clartés l'univers glauque et ténébreux de Jérôme.
Jérôme, c'est aussi le parcours d'un livre-monstre : sa genèse, ses refus, les réactions horrifiées qu'il a pu susciter, qui convoque à son secours, puis épuise ses modèles, ses idoles, et entreprend de descendre dans sa propre nuit, sans faiblir.


Jérôme Bauche personnage –monstre comme les créatures fantastiques du peintre flamand qui est presque son homonyme.

Jérôme livre-monstre d'un Jean-Pierre Martinet pétri de culture mais conscient que sa puissante originalité l'assigne à l'incompréhension, au rejet.

Jérôme narration- monstre à la fois baroque et classique –unité de temps, de lieu, d'action.

Jérôme langue-monstre poétique, incantatoire, musicale…

Je remercie les quelques aficionados de ce livre qui m'ont , à Babélio, ouvert les chemins de cette cathédrale de noirceur.



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Jérôme Bosch est un peintre néerlandais du 15e siècle qui est à l'origine de toiles où le mystique se mêle à l'hérétique, où la monstruosité se déploie dans une prolifération d'énergie plus puissante que celle qui anime la vie quelconque et sans vigueur du commun.
Jérome Bauche est le personnage d'un roman de Jean-Pierre Martinet. Cinq siècles le séparent de son homonyme néerlandais mais une pareille vénération pour la monstruosité les rapproche. Hasard… postule-t-on sur l'état d'esprit d'un peintre dérangé et hanté par la perversion au point d'avoir engendré des oeuvres telles que le « Jardin des Délices » ou la « Tentation de Saint-Antoine » pour s'infiltrer dans les affres mentaux de son digne descendant, Jérôme Bauche ? Les scènes qui s'animent sous son crâne sont des odes à la luxuriance perverse et les mots qui les décrivent pourraient très aisément former de nouvelles et sordides fresques.

En réalité, Jérôme Bauche ne semble jamais s'apercevoir de la ressemblance qui le lie à son homonyme peintre. de telles analogies ne peuvent être démontrées que par le lecteur qui dispose d'une distanciation suffisante ; Jérôme Bauche, en plein coeur de son récit, ne trouve rien d'anormal ni de monstrueux à ce qu'il décrit –quoique peut-être un peu, mais dans ce cas il s'accommode très bien des variations de son hygiène mentale.


Mais peut-être nous laissons-nous duper par le détachement apparent du personnage… Qu'est-ce qui nous indique que Jérôme Bauche n'est pas conscient des affiliations qu'il détient avec les pensées de certains personnages littéraires ? Au contraire, de nombreux indices nous portent à croire qu'il nous glisse sans cesse des allusions subtiles à seule fin d'éveiller notre intérêt. Ce bon gros bonhomme obèse, pas si indolent qu'il n'y paraît, éternel adolescent reclus dans sa chambre et partageant une idylle haineuse avec sa mère qu'il appelle « mamame », nous rappellera un Ignatius Reilly rageur, dénonçant avec une verve inspirée la désharmonie du monde moderne, les fautes de goût de ses contemporains et la vulgarité des épansions hypocrites.


« Je me sentais devenir enragé, car oui, vraiment, ce que je supportais le plus mal dans la vie, c'était l'absence d'harmonie, ces cris, cette vulgarité, comme si l'on se promenait éternellement dans une fête foraine, et au bout du compte, rien qu'un désaccord profond, une envie folle de se boucher les oreilles pour ne pas entendre ses propres hurlements. »


Ce dégoût s'accompagne d'un inévitable sentiment de supériorité, mégalomanie divine qui lui permet de se doter des qualités et des pouvoirs les plus convoités. On sent cette fois-ci la présence du Giovanni Papini exacerbé des jeunes années, celui qui avait écrit Un homme fini et qui prévoyait déjà d'asservir l'humanité à ses ambitions (« J'étais un être supérieur, mais j'étais le seul à le savoir : ma force n'en était que plus grande »). Mais Jérôme Bauche se détourne rapidement de ces considérations mégalomaniaques : on comprend qu'elles ne servent qu'à dissimuler un manque profond. Manque d'amour, manque de confiance en soi, manque de signification… L'existence de Jérôme est étiolée. Complètement désenchanté, ce personnage est semblable au berger de L'alchimiste qui se demande quels sont les processus qui ont oeuvré à ses dépens depuis son enfance pour qu'il devienne un homme désabusé et, plus que cela dans le cas de Jérôme : névrosé voire psychotique. Quelle quantité de faits est purement spéculative ? Quels actes Jérôme accomplit-il réellement ? Si tous les évènements décrits dans le livre sont réels, alors Jérôme est un criminel sans vergogne –psychotique. Si aucun des évènements décrits dans le livre ne sont réels, alors Jérôme est plongé en plein délire –psychotique. Et si l'on flotte entre totalité assassine et spéculation absolue, le doute sur la salubrité mentale du personnage se confirme une fois de plus. le livre qui est pur langage n'est qu'une logorrhée ininterrompue, dense et sans respiration, de pensées et de paroles qui semblent crachées sans réflexion par Jérôme. le besoin de dire est incessant. Si la fonction de communication du personnage au lecteur ne pose parfois aucun doute, il est d'autres pages plus incertaines au cours desquelles le langage se morcèle et se fait le reflet de l'instabilité mentale du personnage :


« Alors ? Alors, je ne devais pas m'affoler, et. Car enfin, je n'avais qu'à m'arranger pour faire disparaître le cadavre de Monsieur Cloret, ce n'était pas. La magie des frontières : quand on les franchit, on repart à zéro. Ni l'herbe ni le ciel n'ont la même couleur. Ce n'était pas une tâche insurmontable, après tout. »


Nous-mêmes serions sans doute à l'image de Jérôme si nous avions partagé son vécu. Son histoire est d'une cruauté édifiante, qui dépasse à peine celle qui caractérise l'indifférence voire le plaisir masochiste que prend Jérôme à la raconter. Enfant né d'un « caoutchouc percé », « moisissure », il grandit sans père dans le sillage d'une mère amère dont les seuls souvenirs de bonheur se résument aux coups de bite que son mari infligeait à des monticules de noix ou aux truites qu'il lui fourrait par hasard dans le vagin. Entouré de peu de compagnons, Jérôme n'a jamais appris à mener des relations valorisantes avec autrui. Arrivé à l'âge adulte, il se cherche depuis longtemps, ne se trouve jamais. le livre Jérôme décrit un tournant de cet homme qui, seulement névrosé, s'extirpera de sa langueur pour devenir actif et donner une forme à son existence. Mais quelle forme donner à un tel matériau lorsque ses idéaux sont devenus éloignés des normes et des valeurs d'une majorité qui, sans grands besoins affectifs, ne projette que des ambitions sentimentales et émotionnelles médiocres ?


Pédophile, violeur, assassin, s'en prenant aux hommes comme aux animaux, pratiquant l'onanisme dans les pots de yaourt ou dans les bus, Jérôme semble improbable, cumulant trop de tares pour être crédible. Mais sitôt qu'on le connaît un peu mieux, à peine aura-t-on commencé à partager ses obsessions, à fréquenter les individus qui l'entourent, à connaître ses idéaux et ses rêves, on s'étonnera de ne pas le voir céder à plus de comportements autodestructeurs. Né de grandes souffrances (« La souffrance c'est pas beau à voir. On plonge dans des profondeurs vertes et quand on remonte on est tellement mort que plus personne vous reconnaît. Les cernes violets sous les yeux, l'air absent, aussi quelques rides gravées dans des endroits bizarres, là où elles auraient pas dû, forcément, ça étonne, et puis les mains vides, forcément » ), ce roman en génère d'encore plus terribles. Visions sans espoirs et cyniques d'une destinée individuelle qui ne promet plus rien s'opposent au paradigme rêvé d'une fusion de tous les êtres humains dans la plus grande harmonie (« Tu te rends compte de ça, Jérôme ? TOUS les gens ont des visages différents. La vie fabuleuse, quoi. Pas un qui se ressemble. Et à l'intérieur alors, comment ça doit être ! Encore plus différent ! Encore plus étonnant ! C'est ça, la vraie merveille. Dommage qu'on s'en rende compte que quand il est trop tard et qu'on n'a plus personne à qui causer. Si on avait su on aurait vécu autrement, mais voilà. On voudrait bien recommencer, on les laisserait pas passer tous ces visages, on les questionnerait, on mettrait des choses en commun, les pas belles et les elles, seulement voilà »). Mais impossible, pas possible, et c'est là la souffrance suprême.

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Si je devais choisir quel livre mériterait une critique, ce serait sans conteste le Jérôme de Martinet. En effet, j'en suis encore resté sidéré.
Cela fait plus de un an et demi que Jérôme trône sur ma table de chevet en tyran de mes lectures : insupportable à finir et impossible à abandonner. J'ai donc scrupuleusement inspecté mon humeur et dès qu'une embellie s'affirmait, je me permettais une incursion au pays de Bauche. Mais …
Mais commençons par le début : les boeufs ne s'en porteront mieux et sauront par conséquent encore mieux tirer la charrue. Jérôme, c'est Jérôme Bauche : personnage central aux facettes multiples, plus sombres les unes que les autres, détestable à l'excès. Soyons honnêtes, rien en Jérôme ne peut être qualifié en termes de mignon, joli, tendre. Dire que c'est un monstre serait le plus juste … et même un bon point de départ d'analyse pour montrer justement en quoi il s'échappe malgré tout à son modèle. Donc Jérôme est un monstre déjà par son physique : plus de deux mètres de haut, cent cinquante kilos, imberbe et pourvu d'un appendice sexuel qui semblerait même ridicule sur le Manneken-Pis. Mais l'habit ne fait pas le moine et plus d'un auteur nous a déjà divertis par un physique à l'opposé de la grandeur d'âme. Mais ici non … La stature du personnage serait même plaisante en comparaison à ses pensées, ses actes … Non il rêve de petites filles sur lesquelles il pourrait assouvir ses pulsions, de meurtre, de torture … Quand je vous disais un monstre, Jérôme en est un vrai … Même plus que cela ….
En fait, il est humain, profondément et irrémédiablement, même plus que tous les gentils et bons qu'il rencontre dans ses pérégrinations. Car lui ne se cache pas derrière de beaux discours, les bons sentiments : il est un monstre mais il a besoin qu'on l'écoute, qu'on lui prête attention, qu'on le touche, qu'on l'aime. Parmi tous les protagonistes il est le plus humain : on parvient à comprendre et surtout ressentir comme Jérôme même si c'est insupportable et sordide. Et rien ne nous est caché : son obsession des petites filles, ses petites tortures, ses meurtres, ses étreintes avec une pute amazone pitoyable au coeur aussi grand que son ablation du sein.
N'oublions pas de parler du style si particulier, qui m'a beaucoup fait pensé à Céline au point d'imaginer que Jérôme était une sorte d'enfant monstrueux de Bardamu, plus désespéré, moins révolté et ayant subi une monstrueuse (encore une fois ce qualificatif …) transformation génétique, mi cloporte mi homme.
Quelques citations glanées de çi de là :
« La charcutière en a profité pour m'écraser de sa pitié : mon pauvre Jérôme, mon pauvre enfant, tu diras à ta maman que je lui souhaite un prompt rétablissement. Elle a glissé dans ma poche un sac de bonbons. Une bonne occasion pour m'effleurer la queue au passage. Ce n'était pas la première fois que madame Parnot se livrait sur moi à ces attouchements furtifs. Je me suis reculé instinctivement. Elle a tapoté sa perruque blonde d'un geste désinvolte tandis que je la remerciais humblement. Moi : merci, madame. Je vais les garder pour ce soir pour les manger en regardant mon feuilleton à la télé. Et aussi pour mon lit en lisant Mickey. »
« J'ai commencé à gifler la siamoise sur le museau, gentiment d'abord, comme pour jouer, puis un peu plus fort. Pourtant, il n'y avait rien au monde que j'aime plus que les chats, mais elle non, il n'y avait rien à faire, elle me narguait, elle ne voulait pas m'avouer qui était son amant, elle se contentait d'essayer d'attraper mon nez avec sa patte, comme si j'étais là pour m'amuser. Sale chatte. Il n'y a rien de plus vicieux que les siamoises, toujours en chaleur. Je ne pouvais pas tolérer plus longtemps cette obstination à se moquer de moi. D'une main je lui ai fermé la gueule, pour qu'elle ne miaule pas, et de l'autre je l'ai étranglée. C'est si mince le cou d'un chat, si fragile, on peut le broyer entre ses mains comme un poussin. »
« Décidément. J'avais un goût prononcé pour le ridicule. Je croyais vivre un drame romantique, mais il ne s'agissait peut-être que d'un vaudeville minable, aux relents de draps sales, une caleçonnade sinistre, où le cocu déclenche les rires gras en se cachant dans l'armoire ou sous le lit pour assister aux ébats de sa femme. Solange me répétait souvent : nous cherchons partout l'absolu, et nous ne rencontrons que le grotesque et la dérision. »
Si Jérôme est monstrueux, il peut également générer un rire à son image, lourd, qui vous prend la bouche comme un rictus salvateur. Mais ce rire, cet humour se sont pour moi trop souvent rapidement dissipés pour ne laisser place qu'à une certaine nausée, de plus en plus prégnante au long des pages. Je n'ai jamais pu lire plus de vingt pages d'une traite sans m'arrêter et passer à un ouvrage tourne-page.
Car je dois bien l'avouer, Jérôme, c'est trop fort pour moi et même si c'est un des meilleurs livres que j'ai lu dernièrement, ses relents nauséeux m'empêchent de m'épancher à sa lecture. Mais à toute personne ayant apprécié Céline, je conseille fortement sa lecture : il y trouvera sûrement son bonheur !
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Comment le monde littéraire français avait-il osé, sans rougir, faire disparaître Jean-Pierre Martinet? Comment Jérôme ne compte-t-il pas encore parmi les chefs d'oeuvre du 20° siècle?

Ce roman monstre s'avère un délicieux cloaque dans lequel j'ai pataugé avec délectation. J'ai pensé à Céline et ses éructations, à Dostoievski et ses culpabilités baveuses; Martinet soutient la comparaison avec une plume qui n'appartient qu'à lui.

Pris au piège d'une prose serrée qui ne respire jamais (l'altitude n'appartient pas à l'univers de Martinet), le lecteur ne peut que poursuivre sa lecture en apnée et suivre le gros Jérôme en bas. Toujours plus bas. Dans des obsessions gluantes et des pérégrinations alcooliques. En ne cessant d'admirer son créateur.
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Vous connaissez, vous, Jean-Pierre Martinet ?

Personnellement, cet écrivain était pour moi un parfait inconnu, jusqu'à ce que mon intérêt soit fortement éveillé par un article élogieux publié sur un blog ami...

Je me suis alors précipitée dans la librairie la plus proche (à 300 mètres de mon lieu de travail ; si j'avais voulu le faire exprès...), et me suis procurée "Jérôme", l'un des rares romans que cet auteur eut le temps d'écrire avant son décès prématuré en 1993 (alors qu'il n'était âgé que de 49 ans).
Rien qu'en soupesant l'objet -un bel ouvrage, réédité en 2008 trente ans après une première parution couronnée d'insuccès-, je me suis surprise à penser : "Ça, c'est du lourd !"
Je ne croyais pas si bien penser...
Après quelques heures de lecture - évidemment étalées sur plusieurs jours- passées dans l'univers à la fois sordide et fantasmagorique de Jérôme Bauche, héros de cet impressionnant roman, je ne peux en effet que confirmer ce que m'avaient permis d'imaginer les louanges chantés par Edwood, à savoir que Jean-Pierre Martinet était un écrivain hors norme.

D'emblée, le lecteur est immergé dans le flot ininterrompu des pensées de Jérôme, qui nous livre ainsi, avec une volubilité qui suscite assez vite un certain malaise, ses angoisses, les manifestations de sa paranoïa, ses fantasmes, et l'obsession qui hante jour et nuit son cerveau malade, qui a pour nom Paulina Semilionova, adolescente de 15 ans qu'il traque sans répit dans un Paris devenu tentaculaire et dangereux, qu'il imagine être un faubourg de Saint-Pétersbourg. Précisons que Jérôme est quant à lui un grand garçon de 42 ans, de stature plutôt imposante (il pèse 150 kilos pour 1m90), qui vit toujours chez sa "mamane"...

Appréhender le monde par les yeux de Jérôme, c'est le voir à travers la toile élaborée d'un délire entretenu par une sorte d'hyper sensibilité à tout ce qui l'entoure et l'agresse (les odeurs, les couleurs) et construit sur la base des interprétations hallucinatoires qu'il retire de son environnement, et des individus qu'il croise ou qui l'entourent.
Dans son univers, tout perd son éventuel caractère sacré, pour se parer d'une nature sale et délétère : la maternité, l'amour, le sexe, même la vie est considérée comme vaine et laide... les petites filles y sont vicieuses et perverses, les sentiments y sont souillés. La compassion, l'espoir n'y ont pas de place.

"Il n'y a rien de plus obscène que les sentiments. Toutes ces paroles. Que l'ombre d'un ange, un jour, s'approche de toi, alors que tu fais consciencieusement ton travail de pute, les pattes écartées, comme toutes les salopes de cette planète pourrie, les mères, les soeurs, les fiancées, baisées, bourrées, enfilées, défoncées, démolies, haletantes, toujours à essayer de prolonger en jouissant le cauchemar de la vie, comme si ça ne suffisait pas comme ça, déjà, mais non, encore, encore, haletantes, trempées, retournées, malaxées, concassées, déshabillées, en hiver, en été, toujours dans des chambres étouffantes, gigotant, sautant, bavant, hurlant, oh oui que l'ombre d'un ange, par n'importe quel temps, s'approche, dans le silence absolu, et décrète la fin de cette mascarade. Car la vie n'est pas douce, et elle n'est pas bonne, contrairement à ce qu'on essaie de nous faire croire un peu partout. Pas de raisin dans la vigne, pas de figue au figuier. Les feuilles sont flétries, les eaux empoisonnées. La création est ratée, Solange le disait souvent, et les grandes villes sont des repaires de chacals, maintenant : une sale brume recouvre tout."

Jérôme nous entraîne dans une spirale qui se nourrit de sa suspicion et de son mal-être ; il devient au fur et à mesure du récit de plus en plus difficile de distinguer le réel de l'imaginaire et d'ailleurs, le héros lui-même, dont on ne sait plus par moments s'il est doté d'une intelligence supérieure ou atteint d'une grave psychose, s'y perd.
Sans laisser au lecteur le temps de reprendre son souffle, Jean-Pierre Martinet lui impose subrepticement le rythme mental de son personnage qui, le temps de la lecture, nous habite et nous plonge dans l'enfer qu'est son existence.

"Jérôme" est un récit à la fois sombre et superbe, glauque et fécond, dont l'aspect burlesque de certaines situations ne parvient pas à alléger l'atmosphère. D'ailleurs, ce n'est pas le but : il sourd de ce roman un désespoir sans fond, un dégoût de la vie qui font de cette lecture une expérience forte mais presque douloureuse.

"(...) moi, Jérôme Bauche, je savais bien que c'était du faux, du vent, putasserie fardée, que jamais rien ne rachèterait la souffrance d'être enfermé dans une montagne de chair de cent cinquante kilos appelée Jérôme Bauche, une forteresse imprenable, bouclé là-dedans, oui, et torturé tous les jours, avec une cruauté raffinée, aucune issue, pas le moindre souterrain pour revoir la lumière du jour, j'avais beau essayer de gratter le sol, parfois, je n'arrivais qu'à m'écorcher les mains, les repas à heure fixe, pas le moindre rai de jour, je grattais la terre comme les bêtes, j'embrassais le salpêtre des murs, je me barbouillais avec mon propre sang (...)".

L'écriture de Jean-Pierre Martinet -cette verve infatigable, dont le caractère parfois lancinant vous happe et vous heurte- n'est pas sans évoquer Céline. La trame du roman, et l'atmosphère qui le baigne, m'ont en revanche fait penser à certains auteurs russes, notamment Gogol, avec son "Journal d'un fou", ou encore Dostoïevski, auquel l'auteur fait référence à de nombreuses reprises.
Ceci dit, ne nous méprenons pas : le talent de Jean-Pierre Martinet est bel et bien original ; il rend certes hommage, tout au long de ce récit, à quelques-uns des écrivains qu'ils admiraient, mais lorsque l'on referme "Jérôme", on a la certitude de n'avoir jamais rien lu de semblable.
Lien : http://bookin-ingannmic.blog..
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critiques presse (2)
Actualitte
10 septembre 2018
Il peut arriver qu’une œuvre vienne à éclore trop tôt. Mais trop tard, jamais ! A vous de découvrir la violence et la pureté d’un texte qui a gardé le goût du grandiose, du morbide et de la sédition. De la littérature comme outre-genre.
Lire la critique sur le site : Actualitte
LeMonde
25 mai 2018
Puisse la réédition de ce roman aussi violent qu’incandescent, quarante ans après sa parution quasi ignorée au Sagittaire, nous empêcher à tout jamais de confondre lecture et villégiature.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (76) Voir plus Ajouter une citation
[…] C’était une chaussure de femme à talon plat. La semelle était légèrement décollée. Une chaussure blanche. Pointure moyenne. J’ai fondu en larmes, brusquement, j’ai lâché la chaussure et je suis parti en courant. Impossible de savoir qui avait porté cette chaussure ? une blonde, une brune, une jeune femme ? En quelle année ? Et combien de temps ? Sous quel ciel ? Avec quels rêves ? Amours déçues ? Amours comblées ? Morte, peut-être ? Ou en train d’agoniser sur un lit d’hôpital ? Folle ? Tuberculeuse ? Ou, au contraire, pleine d’entrain, de joie de vivre ? Des enfants ? Une petite file, peut-être ? Des garçons ? Où donc était l’autre chaussure ? Pourquoi cette séparation cruelle ? Perdue dans un terrain vague ? Jetée dans un vide-ordure ? Attachée à sa sœur ? Je n’arrivais pas à arrêter l’hémorragie. Toute l’horreur, toute la beauté du monde, toute l’horreur de vivre dans ce morceau de cuir blanc. Toute l’horreur. Toute la joie.
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A cause d’un caoutchouc percé, on donne naissance hu hu. Naissance, c’est-à-dire moisissure, et aussi cet assassin qui grandit dans vos propres entrailles, en donnant des coups de pieds, histoire, déjà, de vous faire mal. Vous dévorant, déjà. Car moi, entre nous, l’amour, c’était pas pour avoir un enfant. Il grandissait en moi, il grandissait, me bouffait, cognait, il s’augmentait de ma propre vie, mais je n’y tenais pas tellement. Ratage intégral : il naît. Trop tard pour le tuer. Vit. Gigote. Tant pis. On ne peut plus. Grandir, eh oui. Sans doute trop forte la pression du foutre sur le caoutchouc. Ou alors, mauvaise qualité. Ça arrive. Alors, à un moment, il faut bien. Voilà. On l’appelle Jérôme Bauche. C’est un genre de malentendu, toute cette histoire, voilà. Il est là. On dit… C’est un genre d’histoire courant. Je me moquais bien des radotages de mamame. Il y avait bien longtemps que je savais à quel misérable miracle je devais la vie (d’après pas mal de gens, et puis d’après des statistiques, et puis d’après mes lectures, la prison contre les murs de laquelle je me cognais la tête tous les jours, c’était ce qu’on appelle, en général, la vie. Oui, c’est comme ça, qu’on l’appelle, à ce qu’il paraît…).
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Devant les urinoirs, un couple d’hommes, dans la pénombre, faisait l’amour debout, en silence. Ils n’avaient même pas pris la peine de se déshabiller complètement, ils s’étaient contentés de laisser glisser leur pantalon sur leurs cuisses et je fixais stupidement ces fesses blanchâtres qui s’agitaient mécaniquement, sans la moindre frénésie, sans la moindre joie apparente, et qui s’agiteraient encore des heures et des heures, et pourquoi pas, jusqu’à la fin des temps peut-être. […] Je ne m’étais jamais aussi bien rendu compte que ce soir à quel point les gestes de l’amour, sous toutes leurs formes, me faisaient horreur. Ces gesticulations de suppliciés, ces soubresauts de corps tétanisés. Vraiment. Notre misère, notre solitude. La dernière fête des condamnés à mort. Mais qui donc nous viendra en aide ? Ils appellent ça le plaisir. Il y en a qui écrivent des livres entiers là-dessus. Mais qui donc nous viendra en aide ? Qui donc aura pitié de nous ?
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Un léger réchauffement s'annonçait: le retour du printemps, peut-être. On irait vers l'été, les brumes se dissiperaient, elle emporteraient avec elles la cité pourrie, visqueuse, les marécages, les cercueils gluants de boue du cimetière Kolokovo, tout cela s'évanouirait dans l'air tiède comme un mauvais rêve, et on irait vers l'été, les jours interminables, la joie interminable, les rires de fillettes sous les marronniers, boucles d'or, petits riens, feuilles, cailloux blancs, rubans, papier crépon, tarlatane, fanfreluches, trésors dérisoires des placards et des tiroirs. Chandails endormis, corsages des mortes. Oreillers brodés avec la forme d'une tête chérie. La joie verte le ciel vert les femmes avec leur corps unique solitaire, on irait vers l'été les collines la mer les odeurs d’œillets sauvages dans les dunes.Soudain, j'ai eu l'impression que Solange, encore une fois, chuchotait à mon oreille. Le pou a dévoré l'univers. Oui il a. Il l'a fait. Il a a a.
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J’ai caressé doucement les chemisiers de Solange, et j’y ai posé ma tête, un bref instant. C’étaient des chemisiers bon marché, en tissu synthétique, comme on peut en acheter dans les prisunic. Solange n’aimait guère dépenser, et elle n’était pas coquette. Deux jupes, un pantalon, un imperméable. Il n’y avait rien d’autre, à part un peu de linge de corps. Ce dénuement m’a donné envie de pleurer. Il n’y a que deux qui n’aiment plus la vie, ou qui l’ont quittée depuis longtemps, pour avoir une garde-robe aussi vide. Comme si plaire aux autres, les aguicher, les fasciner, ne serait-ce qu’une seconde, ne leur disait plus rien. Comme s’ils rêvaient d’un autre pouvoir, d’un VRAI pouvoir. Comme si cette puissance ne pouvait s’exercer qu’au prix de leur propre disparition.
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« […] Je ne valais », écrit t'Serstevens (1886-1974) dans Regards vers la jeunesse, « que par des illusions que je n'ai plus, des enthousiasmes qui agonisent, une ardeur mystique qui me portait au-dessus de moi-même. Je préfère mes erreurs et mes sottes impulsions d'autrefois à mon intelligence prudente, à l'esprit critique dont je suis accablé. » […] […] t'Serstevens n'a cessé d'être poursuivi par son double, comme dans les cauchemars. […] La course-poursuite, malgré tout son entêtement, il l'aura perdue : l'horrible vieillard l'aura rejoint, il l'aura serré contre lui, il lui aura souri avec l'air doucereux et indulgent de ceux qui n'aiment plus la vie. […] […] On peut trouver contradictoire, en vérité, l'attitude d'un homme qui a su trouver les accents les plus vibrants pour célébrer la jeunesse, cette jeunesse qui se confond un peu […] avec l'esprit d'aventure, et sa férocité à l'égard de toutes les utopies, qui sont un peu la jeunesse des idées, leur adolescence. Cette contradiction, t'Serstevens en a eu conscience, et il l'a vécue dans le déchirement, du moins dans les premières années de sa vie d'écrivain. […] La tour d'ivoire où prétendent s'enfermer certains littérateurs pour échapper à la médiocrité de leurs contemporains, il n'y voit qu'une prison dérisoire : il lui faut l'air du large, la rumeur des ports, le sourire des femmes, l'odeur des acacias. Oui, ce qu'exprime en profondeur la première partie de l'oeuvre de t'Serstevens, c'est l'horreur de ne croire en rien. Cela n'a rien à voir avec le scepticisme, c'est, précisément, tout le contraire : la douleur de se sentir ballotté dans un monde où l'on ne comprend rien, où l'on n'a aucun repère, où toutes les idéologies s'effritent les unes après les autres […] : amertume ricanante, et non pas scepticisme souriant. […]
Il aura manqué, en somme, à t'Serstevens, d'avoir su se mettre en valeur, ce qui est une faute impardonnable dans notre petite république des lettres, qui oublie facilement les errants, les navigateurs, les ivrognes, les rêveurs, ou, tout simplement, les modestes. […] » (Jean-Pierre Martinet, « Un Apostolat » d'A. t'Serstevens, Éditions Alfred Eibel, 1975)
« Né […] en Belgique d'un père flamand et d'une mère provençale, Albert t'Serstevens, après un voyage en Égypte, s'installe en France en 1910 ; il est successivement employé de librairie, puis secrétaire d'un banquier, avant de publier en 1911 son premier ouvrage Poèmes en prose. […] » (universalis.fr)
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Image d'illustration : https://www.alamy.com/stock-image-albert-tserstevens-belgian-novelist-1910-1915-photo-taponier-creditphoto12coll-164523513.html
Bande sonore originale : Lacrymosa Aeterna Industry - Je te vois Je te vois de Lacrymosa Aeterna Industry est référencée sous license Art Libre.
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#AlbertSerstevens #PoèmesEnProse #PoésieBelge
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