La v'là donc, la fameuse suite du bouquin qui portait le nom alléchant de « Mouvements individuels de vie et de mort ». Atmosphère sadomasochique –comme qui dirait- nous y voilà.
Précédemment, Pierre Marty s'était tu sur l'observation d'un cas de névrose de comportement avec signaux psychosomatiques du plus grand intérêt. Tout ceci se déroulant à la fin des années 80, ça nous envoie dans le pif un léger goût de suranné avec des troubles, des manifestations, des angoisses et des personnalités qui n'existent sans doute plus désormais. Mais admettons que les principes restent les mêmes.
Ici, ça commence à nouveau par du théorique dans ta face, et pas du plus léger. Après l'étude des névroses de comportement dans le volume précédent, ce sont les névroses de caractère qui nous intéressent ici. La principale difficulté réside dans la description à la fois très détaillée de chacune de ces structures et pourtant –très évasive quant à leur perception pratique. Pour ma part, si je n'avais pas peur de paraître expéditive, je résumerais chacune de ces structures de façon un peu barbare en disant que les névrosés du comportement me semblent franchement plus cons que les autres –du type à dérailler sans en comprendre les raisons pourtant évidentes, limite crétinisme des alpes.
Les névrosés de caractère semblent un peu plus intéressants parce qu'ils ont des chaînes de fixations majeures et latérales qui leur donnent la possibilité d'entreprendre des régressions pour arrêter les mouvements de désorganisation. Par exemple, plus loin dans le bouquin, on nous citera l'exemple d'une femme qui souffre de céphalalgies et de crises de foie à chaque fois qu'un mouvement de désorganisation mentale se produit, suite à un événement affectif, dans l'ordre : activité fantasmatique et sentiment de culpabilité ; conscience de l'abandon de la responsabilité qui autorise l'automatisme du comportement de manger ; barrage régressif de la crise de foie (car, en effet, en étant malade, la femme est obligée de quitter l'automatisme alimentaire et de reprendre ses responsabilités, c'est-à-dire un fonctionnement comportemental correspondant aux exigences de la réalité).
Pierre Marty nous parle aussi des névroses mentales. C'est comme un genre de dérivé de la névrose de caractère, mais avec sidération de l'élaboration mentale « dans ce qu'il a de chaud et qui lui vient de l'inconscient ». « C'est une tonalité dépressive qui domine ces moments de faillite des organisations de la première topique et qui évoque déjà certains aspects de la dépression essentielle et de la vie opératoire ». Ça ressemble donc un peu à la psychose froide qu'on décrit parfois, et c'est assez intéressant de lire les descriptions de cette dépression essentielle et de cette vie opératoire. Là, on ne pourra pas dire que le Pierrot nous a pondu du démodé : ces deux phénomènes semblent prévaloir aujourd'hui. La dépression essentielle, contrairement à la dépression classique, se reconnaît par une symptomatologie négative, c'est-à-dire : plus d'engagement pulsionnel, plus de relation objectale investie, plus de désirs, actes automatiques, vie opératoire, plus de représentations, plus d'associations d'idées, plus de projets, disparition des qualités fondamentales du verbe, impossibilité d'acquérir de nouvelles valeurs, de faire des intériorisations. Ça fait envie. Bof, en fait, nous avons tous connu ça au moins une fois, non ? Allez, faites pas genre que votre vie est mieux que celle des autres. Cette dépression essentielle marque le point critique de la désorganisation progressive et est susceptible de se prolonger dans la chronicité opératoire –cette apparente guérison qui satisfait tout le monde sauf vous. Vous mangez, vous dormez, vous travaillez, vous fréquentez à l'occasion : tout le monde vous applaudit sauf vous et si vous en aviez la motive, vous les buteriez tous pour qu'ils enlèvent leurs peaux de sauc' de devant leurs yeux. Vous survivez, plus que vous ne vivez.
Pour plus de précision, voici l'équation conduisant à la dépression essentielle :
Conflits intrapsychiques (exemple : entre les fonctions du ça et du surmoi) + appareil mental incapable d'élaborer les traumatismes antérieurs > divers stades de désorganisation mentales + éloignement des conflits du processus mental > impossibilité de manipuler les représentations préconscientes + disparition de ces représentations + déliaison de l'inconscient avec l'activité mentale secondaire + substitution du faire à l'être + écrasement par le Moi-idéal + transformation des conflits intérieurs en conflits de réalité > dépression essentielle.
Ce qui pose question ici c'est : comment qu'il est possible de voir la rupture entre inconscient et organisation mentale alors que l'inconscient reste encore sensible aux stimuli extérieurs ? Pourquoi reste-t-il encore des automatismes de vie opératoire alors que tout le reste semble bel et bien mort ? Pif-paf-boum, Pierrot émet l'hypothèse de l'existence de deux principes dans l'inconscient : l'automation (archaïque, principe de vie automatique) et la programmation (plus évoluée, mise en train de l'avenir). La désorganisation nique sa race à la programmation, forcément plus faible car plus récente, mais laisse l'automation intacte. Pas que l'automation bénéficie de l'immunité mais si elle disparaît, en fait, c'est l'individu qui crève avec. Un problème en moins.
Avec ça, Pierrot est content parce qu'il peut enrichir notre panorama des régressions. Freud –il n'aimait pas les régressions, oulàlà non, d'ailleurs il avait reproché à Jung d'en trop causer-, Freud donc avait toutefois fait l'effort d'en énumérer trois catégories : topique, temporelle, formelle. Bon, on sait pas trop ce que ça veut dire mais on s'en fout. Ici, ce qui nous intéresse c'est de voir celles que Pierrot rajoute : régression fonctionnelle classique rejoignant des événements somatiques prénataux (genre chute immunitaire), régression intrasystémique (d'un système de palier supérieur à un système de palier inférieur [genre vous n'osez plus sortir de chez vous et vous passez votre vie devant la télé à manger des pots de glace comme un gros bébé]), régression dans le noyau de l'inconscient (passage de la programmation à l'automation [si on frappe à votre porte, vous n'êtes plus chez vous]). Voilà qui nous éclaire la chandelle (LOL).
Tout ça, ça sert surtout aux médecins de la psychosomatique. Pierrot nous dit bien qu'il cherche pas à inventer l'eau chaude ici mais à clarifier les données comme ça, lorsqu'un malade arrive et pose sa gueule en face de lui, deux-trois questions et hop, il coche ses petites cases et sait plus ou moins où faut ranger le bonhomme. Pas qu'on aime numéroter dans les fichiers du F.B.I. mais enfin, ça permet de poser le pronostic vital et de mettre en place une petite thérapie pas dégueulasse pour aider le type à reprendre du poil de la bête. C'est ce qu'on voit dans les trois études pratiques de fin de livre avec l'interviouve de trois femmes toutes plus ou moins dérangées –ce qui ne veut pas dire que les femmes sont généralement plus tarées que les hommes mais enfin, y a rien qu'elles qui semblent avoir le courage de porter le fardeau final sur leurs épaules.
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