LXXXV
Plongé dans le livre, page après page, à lire cette histoire ancienne,
le temps sans pesanteur a passé, qui fait oublier le sommeil.
Et soudain cet appel sans voix, cette inquiétude
à travers l'air : là-bas cette liqueur, c'est l'aube,
et c'est presque un effroi que de voir
le ciel se vider de ses astres, et la lune d'été qui s'enfuit.
Oui, c'est l'appel de l'aube à la voix blanche, dans ma mémoire
ivres les mots de cette nuit dansent encore, et je dédaigne
le sommeil. Je sors dans la campagne, prêt au départ.
p.97
Sommeil, mon confident que je crains de trahir,
silencieusement près du puits de sagesse
où chaque être s'accorde à son désir, tu pose
tes mains sur l'innocence du visage, tu désarmes
le mensonge et l'orgueil, rallume dans le cœur
le feu qui le maintient en vie. Sommeil ô
montreur d'ombre ! mémoire de la terre,
donneur de force qui enseignes
aux yeux absents le prix d'une heure de lumière.
(P13)
II
Veilleur veilleur j'attends dans une chambre sombre
et ma garde est sans peur. Un enfant nu sommeille
dans ma crypte de temps. Il a la clé de mon empire.
J'attends, je vous attends, siècles neufs, nouveaux âges,
je sais des philtres insolents
pour qu'encore les lèvres chantent.
Je réveille le nom du plus ancien désir. Je suis
né d'aujourd'hui, je suis le fis de mon attente :
ouvre-toi, mon pays ! au nom de l'avenir.
p.14
XCVI
La sagesse a des doigts de lavande, elle parfume les armoires,
elle cueille au jardin les fruits et préfère les fruits aux fleurs,
elle ne coupe pas les fleurs et ne les met pas dans des vases.
La sagesse a des yeux de chat, car elle voit mieux dans le noir,
son sommeil est épris du monde et l'univers est sa maison.
La sagesse chérit les blés et sait le prix de la patience.
La sagesse a des mains de fier courage et nous révèle sa tendresse,
elle est la fille du silex, servante et maîtresse à la fois.
La sagesse avance masquée, sachant qu'un dieu parle en nos songes.
p.108
XXXV
Vous que je vois passer sous les arbres du soir,
promeneurs qui cherchez peut-être votre image
au fond de cette nuit où la lune décroît,
vous veufs de tout sommeil, marcheurs nocturnes qui venez,
l'angoisse au cœur, vous blottir dans cette ombre
en écoutant le bruit de l'eau, ou peut-être le chant de la grive,
faites taire vos pas. Quittez toute espérance
et tout regret. C'est ici le pays charitable de l'ombre
où se prépare la saison neuve d'après l'enfer.
p.47
Roman traduit de l'allemand par Philippe Giraudon.
Collection « der Doppelgänger », dirigée par Jean-Yves Masson.
Premières pages et recensions à lire sur le site des éditions Verdier : https://editions-verdier.fr/livre/stern-111/
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Vidéo adaptée avec l'aimable autorisation des éditions Suhrkamp (photos : © Andreas Münstermann).