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EAN : 9782810703333
342 pages
Presses universitaires du Midi (12/12/2014)
3.67/5   3 notes
Résumé :
La nationalité française et les voies de son acquisition constituent en France un enjeu politique majeur depuis une vingtaine d'années. Cet ouvrage cherche à saisir ce que signifie être français «par acquisition», à partir de l'expérience qu'en ont ceux qui se soumettent à la naturalisation. Il s'agit ici d'articuler des trajectoires d'étrangers devenus français, ou en passe de le devenir, aux cadres historiques de la constitution de l'État et de son action, dont le... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Ce livre, issu d'une thèse de doctorat en anthropologie sociale, est le fruit d'une recherche qui s'appuie sur une enquête menée entre 2000 et 2007 auprès de vingt-huit naturalisés à Paris et à Toulouse. En introduction, le lecteur trouvera un certain nombre de précisions, loin d'être superflues, sur les conditions singulières d'un tel travail, aux limites de la sociologie et de l'anthropologie, et sur la méthodologie adoptée.

"Devenir Français ?" est une étude qui s'intéresse aussi au travers du filtre de l'expérience d'un certain nombre de naturalisés, d'origine et de statuts très divers, aux aspects les moins visibles mais les plus paradoxaux et les plus contradictoires des politiques d'Etat plus générales, dans lesquelles s'insère un processus juridique (la naturalisation) façonné par l'histoire. Mais parce que la demande de naturalisation renvoie le candidat à ses origines et que ce moment est celui où le possible citoyen rencontre symboliquement l'Etat, l'impact de la procédure n'en sera que plus grand sur lui ; agissant souvent comme puissant révélateur d'une altérité génératrice de méfiance et de soupçons de la part d'une administration qui, prenant acte de le naturaliser, lui fait surtout sentir tout le poids de son statut d'étranger et le mérite qu'il doit y avoir à devenir français. Devenir Français est une faveur (la jurisprudence ne cesse de le répéter) et être Français se mérite. L'impétrant se voit également offrir la possibilité de franciser ses nom et prénom.

Il faut avoir présent à l'esprit que tout candidat à la naturalisation réside souvent depuis de longues années sur le territoire et se sent déjà un peu appartenir à la communauté nationale du fait qu'il y travaille et y remplit un certain nombre d'obligations, comme un français "de souche". Sa démarche vise le plus souvent à en finir avec l'insécurité, avec une situation de "provisoire qui dure", surtout s'il a des enfants. Or, pour l'administration, dont le pouvoir discrétionnaire est affirmé en cette matière depuis 1809, la procédure relève d'une vérification très poussée, confinant à l'intrusion, où la preuve devra être apportée qu'il correspond bien à un certain nombre de critères, démontrant ses bonnes moeurs et son assimilation culturelle, rien de moins. Pas de rituel cérémonieux comme dans certains pays en fin de procédure, bien que des modifications légales soient actuellement en cours, mais un entretien face à un fonctionnaire préfectoral pour mesurer la maîtrise de la langue, est un exercice obligé prévu par la loi, qui laisse des traces profondes parmi tous ceux qui y ont été soumis, quelles que soient leurs origines.

Qu'est-ce que la nationalité ? c'est la question que ce livre pose d'emblée. Qu'en fait l'Etat et quel regard pose-t-il sur l'étranger ? telles sont les réflexions qui s'ouvrent à l'issue de cette lecture. La première partie du livre qui peut sembler rébarbative est cependant tout à fait essentielle. Elle dresse de manière critique les grandes étapes de l'histoire de la nationalité en France, de l'ancien régime jusqu'à nos jours et le cadre juridique de son évolution : un mélange subtil de droit du sol et de droit du sang. La deuxième partie s'appuie sur les interviews réalisées auprès des vingt-huit naturalisés : les conditions personnelles de leur prise de décision, l'impact de la procédure sur leur vie, jusqu'à l'obtention ou non de la nationalité française, leurs espoirs et leurs désillusions mais aussi leurs contradictions, au fil du déroulement administratif du processus d'acquisition ; un pas à pas essentiel, fait d'entretiens restitués dans leur jus - assez passionnant - où les enquêtés livrent avec plus ou moins d'aisance leurs motivations personnelles, et où l'auteur procède au décryptage de ces données en les replaçant dans la perspective de son analyse, montrant combien l'accès à la nationalité est encore empreint aujourd'hui de caractéristiques historiques constantes : un certain degré d'arbitraire et une forte dimension méritocratique et honorifique (chapitre VI)

La partie historique éclaire d'une lumière tout à fait crue, voire cruelle, les politiques menées par l'Etat en cette matière. de la guerre de 1870 qui a exacerbé le nationalisme, à la loi de 1889, première codification juridique de la nationalité, la distinction entre le national et l'étranger s'impose définitivement à l'ordre social. L'empire colonial révèle une conception pour le moins contestable de la nationalité avec le statut de l'indigénat. Les réglementations concernant l'acquisition de la nationalité restent éminemment tributaires du politique. Cela commence avec l'affaire Dreyfus, quand en 1886 plusieurs propositions de lois sont déposées visant les incapacités touchant les naturalisés puis, après la dégradation du capitaine en 1895, quand une proposition vise à écarter les naturalisés des fonctions publiques. Plusieurs autres suivront dans les mois qui suivent allant toutes dans le même sens, se focaliser sur les "naturalisés", signes de "l'invasion étrangère" (p.91). Les années trente sont des années de xénophobie. Vichy et sa législation, en rupture avec les principes de la république, discriminant très vite les étrangers et les naturalisés, s'inscrit comme une prolongation presque naturelle de telles prémisses, en s'engouffrant dans les ambiguïtés républicaines, hésitations entre le principe d'intégration et soupçons récurrents de déloyauté pesant sur l'étranger.

La question éminemment politique de l'élargissement de la citoyenneté posée par la naturalisation s'inscrit dans celle plus vaste des politiques d'immigration. L'analyse de François Masure, c'est ce qui fait son intérêt, associe les deux sujets en un ensemble indiscutable et objectif. Derrière la figure de l'immigré se profile un probable naturalisé. Si l'ordonnance du 19 octobre 1945 offre un cadre juridique durable à la nationalité et à l'immigration, elle comporte cependant aussi une orientation ethnique visant l'immigration orientale et méditerranéenne. C'est l'immigration algérienne qui est visée. Les législations s'établissent le plus souvent dans des contextes économiques où la question de la main-d'oeuvre est prégnante, c'est le cas en 1918 ou en 1945, au sortir des deux guerres. Elles oscillent plus ou moins entre des logiques natalistes ou populationnistes et de protection du marché du travail (lois de 1926-1927). Ces législations allant de pair avec des réformes du droit de la nationalité, mêlent de façon ambivalente améliorations des conditions d'accès à la nationalité et limitations des droits des naturalisés. Perméables au principe "d'assimilabilité" et aux logiques sélectives, elles n'ont fait que participer à la définition d'une figure de l'étranger concurrent sur le marché du travail et ont ouvert la porte au principe d'une immigration choisie sur des bases implicitement ethniques. Les débats publics d'aujourd'hui en sont toujours l'écho dans un contexte politique tendu de montée du Front National.

Dans ces conditions, la figure du naturalisable tel que le conçoit l'Etat, en dit long sur une conception du Français idéal définie en creux et que la construction européenne va certainement bousculer. le hiatus entre les attentes individuelles, non dénuées d'ambivalences d'ailleurs, de l'impétrant et les stratégies administratives divergentes et totalement asymétriques dont il prend soudain la mesure et dont les enjeux le dépassent, est approché ici de façon concrète et emblématique. L'histoire de Ramin, iranien de naissance, devenant Français après trois demandes de naturalisation ou celle de Houssen, né Français en 1968, puis devenu Comorien à l'indépendance de l'archipel en 1975, demandant ensuite sa "réintégration", illustrent bien cet écart, plus ou moins problématique selon les cas. Mais l'exemple d'autres naturalisés, dont ceux d'origine africaine qui représentent la majorité des cas en 2006 (68 %), est tout aussi frappant. le livre restitue tous les contours de trajectoires aussi diverses que singulières, avec une attention particulière accordée, aux enfants de l'immigration maghrébine, compte tenu du précédent colonial incontournable. Cette approche ethnographique, un peu ardue parfois dans la partie juridique, dont la grille d'analyse s'articule entre l'histoire et le droit en y incorporant les parcours biographiques de ceux qui ont fait un jour l'expérience de l'acquisition de la nationalité française, m'a littéralement happée pendant de longues heures. Ceci est une première lecture qui en appellera certainement une autre, tant l'intérêt qu'elle a soulevé pour moi a été vif. Voilà un livre de référence dont je dois la découverte à Babélio que je remercie au passage.
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Je ne serai pas aussi prolixe que Alzie, je ferai l'essentiel : est-ce que j'ai aimé ce livre ? OUI
Voilà c'est fait...

Non bien sûr je vais poursuivre un peu.

Donc comme d'hab quand je reçois un livre Babelio :

Déjà la forme. Chouette présentation, photo très bien choisie. Ridan avec le bonnet Phrygien et le drapeau tricolore, c'est un choix judicieux, cela interpelle, cela interroge et en même temps cela répond au questionnement.

Le reste est sobre, bien pensé. Les couleurs attirent le regard, et on a envie de le prendre ce livre, de savoir ce qu'il dit.

On l'ouvre, et là : c'est écrit tout petit et les pages sont pleines... C'est le lecteur qui se sent tout petit du coup, et on se dit, "oulala, je vais digérer ça ?"

On passe donc au fond : Avant-propos, et préface très intéressants sur le pourquoi de ce livre, sur le background de l'auteur.
C'est enrichissant et cela replace le contexte de la recherche anthropologique de François MASURE.

On voit que le bonhomme avait un amour de ses études, François MASURE semblait clairement être ce qu'on appelle "une pointure".

On se demande donc si on va bien tout comprendre, et c'est là que que c'est merveilleux (oui, je sais le mot est un peu fort mais je n'en ai pas trouvé de plus approprié) on comprend tout.

Le premier chapitre est un peu ardu, on rentre dans les explications du pourquoi de l'approche anthropologique du questionnement sur la naturalisation et sur le pourquoi de l'enquête de François MASURE. C'est très annoté, il faut un peu s'accrocher, mais cela vaut le coup.

On passe rapidement tout de même à l'introduction et on rentre dans le vif du sujet :
- Petite histoire de la nationalité en France,
On replace dans le contexte des différentes époques le terme de nationalité, de nationalisation. C'est limpide et bien écrit, les explications sont claires et on comprend mieux "l'utilisation" de cette nationalité.

Les témoignages viennent enrichir le texte, ils ne sont pas anodins, on prend la mesure de la difficulté de devenir "un autre" de laisser ce qu'on est pour devenir quelqu'un d'autre en conformité juridique, mais pas sociale...
Car c'est là que le bats blesse, tous les efforts consentis par les "naturalisés" ne semblent toujours pas suffire.

Bref on ressort de ce bouquin avec plein de réflexions en tête, mais beaucoup de réponses aux questions que l'on avait, c'est là que le travail pédagogique de François MASURE fait son oeuvre, on a compris, on ressort plus intelligent (enfin j'espère...)

Je recommande vivement, merci à Babelio pour la découverte de cet auteur de ce livre qui mérite clairement le détour.
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On peut naître français ou acquérir cette nationalité. Mais que signifie être français « par acquisition » ? Pourquoi choisir de devenir français alors que l'on est né algérien, allemand, marocain ou israélien ? Et une fois naturalisé, se sent-on pour autant un français « comme les autres » ?

C'est ce que tente de comprendre François Masure dans cet ouvrage très intéressant, qui étudie ces questions sous un angle inédit, en évitant toute stigmatisation. Il nous rappelle d'abord l'histoire de la nationalité française, qui reste une création assez récente. C'est la partie la plus classique de l'ouvrage. Elle demeure assez théorique, apprend peu de choses aux lecteurs historiens, et on peut la trouver un peu longue.

La deuxième partie est la plus novatrice et la plus agréable à lire. Étayée de nombreux exemples et anecdotes, elle s'appuie sur une série d'entretiens menés par l'auteur avec 28 français naturalisés. On y découvre le parcours des personnes interrogées, comment elles expliquent leur décision, leur manière d'investir leur nouvelle nationalité. Et, parfois, leur sentiment, même s'ils possèdent des papiers d'identité français, de demeurer des étrangers.

Même si Devenir français ? n'est bien sûr pas exhaustif, c'est un ouvrage qui aborde la naturalisation de manière originale et intéressante, en nous poussant à nous interroger : si les français « par acquisition » doivent prouver qu'ils méritent la nationalité française, qu'est-ce que signifie « être français » lorsqu'on l'est de naissance ? Merci, en tout cas, à Babelio et aux Presses universitaires du Mirail pour la découverte de cet ouvrage issu d'une thèse de doctorat.
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Citations et extraits (7) Voir plus Ajouter une citation
La construction européenne, fondée au lendemain de la Seconde guerre par des États nationaux, est dès sa genèse marquée par l'aspiration à dépasser les frontières nationales, donc de la nationalité : le principe d'une liberté de circulation des personnes, en premier lieu des travailleurs, à l'échelle de l'Europe est posé dès le Traité de Rome de 1957. Ce principe suppose "l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres".Il y a pourtant une tension contradictoire : le principe heurte les fondements sur lesquels sont constitués les États qui souhaitent cette construction, États dont toute l'action est orientée par la nationalité : par la distinction entre le national et l'étranger - la France en est exemplaire. Pour preuve de la résistance qu'opposent les États nationaux aux principes européens qu'ils ont contribué à forger, la discussion sur la liberté de circulation est neutralisée jusqu'au milieu des années quatre-vingt par des discussions pour savoir si elle doit s'appliquer exclusivement aux ressortissants européens ou si elle doit aussi s' appliquer aux ressortissants de "pays tiers" présents sur le sol européen.
(p.123)
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Idéalement, le droit ne permet de naturaliser que des "déjà français", des étrangers qui offrent toutes les apparences du Français même s' ils n'en ont pas encore le statut. Au cours de la procédure d'acquisition, tout l'être du candidat à la naturalisation est interrogé et surveillé : depuis son activité professionnelle jusqu'aux dimensions les plus intimes de sa vie - est-il "de bonnes moeurs" ? -, en passant par sa maîtrise du français. Tout ce qui pourrait continuer de le désigner comme étranger fait l'objet d'une attention particulière. Dans ce jeu d'apparences, le nom occupe une place particulière. Peut-on être Français avec un nom trop ostensiblement étranger ?
(p.233)
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Houssen fait corps avec son nom : il en est inséparable. Et si l'on suit Norbert Elias, c'est bien une particularité du nom propre dans une "société étatique" que d'être un support du sentiment de soi. s'il est un vecteur essentiel d'identification pour l'Etat, s'il signale l'appartenance à un groupe - la famille -, il est pour l'individu qui le porte le signe indiscutable de son unicité. [...] L'attachement que manifeste Houssen à l'égard de son nom, en dépit de sa "consonance étrangère", fait de lui, de ce point de vue, un Français parfaitement ordinaire...
(chapitre VII, sur la francisation du nom, procédure complémentaire proposée au futur naturalisé).
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Cette universalisation de la scolarité est d'une importance considérable. D'une part, l'école devient un puissant vecteur d'unification linguistique : l'école élémentaire obligatoire fera des jeunes Français des francophones. La langue nationale devient la langue "maternelle". D'autre part, en soustrayant l'enseignement aux congrégations religieuses et en fixant les programmes, l'Etat s'approprie la maîtrise des contenus de l'enseignement, qui se renforcent les uns les autres. Apprendre la langue, c'est apprendre l'histoire, et réciproquement. Les manuels scolaires sont d'une importance décisive dans l'exaltation du sentiment national et patriotique. Au-delà de la stricte dimension linguistique, l'école obligatoire et laïque est donc aussi un outil extrêmement efficace d'inculcation d'une "culture nationale".
(p.80)
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Avec la naturalisation, la "réalité" de la présence en France est susceptible d'être radicalement transformée. L'installation, confinée à la discrétion, presque au secret, qu'exigeait le statut juridique jusque là, peut enfin apparaître. C'est aussi l'acquisition de tous les droits attachés à la condition de citoyen - de "national" -, et des plus symboliques d'entre eux, les droits politiques, qui manifestent avec le plus d'évidence la sortie du statut d'étranger et la fin de la neutralité. La naturalisation est une opération de changement de "substance" - un acte de "transsubstantiation" dit Sayad (1987 : 128).
(p.197)
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