Voici un travail des plus précieux pour qui veut comprendre les événements ayant conduit - il y a bientôt vingt-cinq ans - au massacre de 8000 Bosniaques par les forces militaires et para-militaires du pouvoir serbe de Bosnie - Milovan Karadzic et Ratko Mladic pour l'essentiel.
Le livre de la journaliste
Sylvie Matton, paru en 2005, dix ans après des faits que beaucoup de gens s'étaient empressés d'oublier, est une formidable enquête malheureusement passée à peu près inaperçue au moment de sa parution - à l'image de ces 8000 personnes dont on s'est inquiété, bien tard, de la disparition, par un bel été, à Srebrenica. A noter que cela ne se passait pas dans une contrée inconnue à l'autre bout du monde mais en Europe, à quelques centaines de kilomètres de la frontière italienne dans ce beau pays de Yougoslavie où l'Europe entière avait pendant trente ans aimé à se prélasser au soleil de ses plages.
Sylvie Matton fait une peinture révélatrice d'un échec collectif, celui de l'ONU, de l'Europe, des puissances militaires européennes - singulièrement de la France - dans les tentatives de trouver une solution au conflit ex-yougoslave dans son ensemble, lequel avait éclaté en 1991, avatar imprévu de l'effondrement du communisme en Europe.
Elle décrypte parfaitement les conditions qui font que le monde entier a les yeux tournés vers Sarajevo mais ne sait ou ne veut véritablement mettre un terme à une féroce guerre civile. Trop peur d'y laisser des plumes, peur de ne rien y comprendre (cf. les fameuses "tribus" de Mitterrand, lequel s'était illustré aussi tragiquement, un an auparavant, avec sa lamentable non-gestion du génocide rwandais dans lequel la France était pourtant trempée jusqu'au cou), peur déjà probablement de l'islam, etc.
Si le siège de Sarajevo a tant bien que mal été "régulé" par les Casques bleus (français mais pas uniquement) dépêchés sur place, au prix de dizaines de milliers de victimes civiles bombardées jour et nuit pendant quatre années, l'impuissance des plus grandes puissances, la gabegie et l'indifférence décisionnelles de l'ONU, enfin l'incompréhension, voire l'impéritie du commandement militaire - essentiellement français et britannique -, à l'exception notable du général Philippe Morillon, ont trouvé leur paroxysme à Srebrenica et sont éclairées par les analyses circonstanciées et documentées de
Sylvie Matton.
On ne sait si la honte de Srebrenica a empêché durablement quelques-uns de ces responsables, Boutros-Ghali, patron de l'ONU, Yasushi Akashi, son émissaire spécial pour l'ex-Yougoslavie, quelques hommes politiques et généraux français, néerlandais, etc, de dormir.
Concrètement, que pouvaient peser la centaine de Casques bleus néerlandais et bien juvéniles du "Dutchbat" présents à Srebrenica (dont une partie avaient été eux-mêmes pris en otages !) devant un Mladic, adepte accompli de la Blitzkrieg et des coups de poker diplomatiques ? Et le malheureux colonel Karremans, leur chef, à qui le commandement des forces de l'ONU et de l'OTAN refuse, quand il était encore temps, tout soutien terrestre ou aérien, malgré ses appels réitérés à l'aide, et qui se voit obligé de passer sous les fourches caudines des milices serbes, aidant involontairement celles-ci à faire le tri entre ceux qui allaient en réchapper et ceux qu'elles voulaient exterminer (comme d'autres le faisaient dans les camps de Pologne cinquante ans auparavant ) ?
Triste année que 1995, triste époque que celle où l'épuration ethnique, mot alambiqué qui aseptisait tout ce que ce dessein avait d'aussi destructeur que la Solution finale nazie, battait son plein au coeur de notre continent.
A considérer aujourd'hui ce qui se passe et se dit en Hongrie, en Pologne et en trop de lieux encore en Europe, à constater notre impéritie collective en période de crise (sanitaire), on se demande ce qu'il risquerait un jour d'advenir si le contexte des années 1991-1995 venait à se reproduire.
Add. Juin 2022 : qu'il n'y ait eu quasiment aucune contribution relative à ce livre sur le site que nous partageons est symptomatique, mais de quoi ? de notre indifférence ? de notre aveuglement ? de notre complicité tacite ? le choix est ouvert...