L’idiot ne se connaît pas mais croit se connaître et tient pour idiote l’injonction du « Connais-toi toi-même ». Pour lui, le monde n’est pas douteux. Il distingue parfaitement et du premier coup d’œil le vrai du faux, le réel de l’irréel, le rêve de l’éveil. L’idiotie est donc bien une des formes que prend la bêtise, mais cette bêtise-là ne provient pas d’un manque d’intelligence. L’idiot n’est pas handicapé mental, il est seulement aveuglé par son égocentrisme, et c’est ainsi que beaucoup de gens « intelligents » peuvent être des idiots ou plutôt que chacun de nous peut proférer des idioties dès qu’il élève, sans esprit critique, au rang de vérité ce qui n’est qu’une expérience singulière.
Un véritable sage ne peut transmettre sa connaissance que par sa manière de se comporter dans la vie quotidienne, pragmatique et opportune, juste dans la façon d’agir mais détachée des résultats de l’action. Beaucoup plus attentive aux autres finalement que celle qui veut faire leur bien ou, pis, le faire malgré eux.
S’il enseigne, c’est comme à son insu. Il donne l’exemple de mieux vivre sans exemplarité, sans cacher qui il est, ses bons côtés comme ses moins bons. Il ne dévoile aucune vérité transcendantale ou essentielle. Il ne délivre pas de message.
De tous les personnages qui s’agitent dans ces petites comédies humaines, il est celui qui a l’attitude la plus détestable, la plus exaspérante, celle de la mauvaise foi, qui lui fait tenir tête envers et contre tout, l’amène à mettre sa main au feu plutôt que de reconnaître son erreur. C’est que la mauvaise foi, cet art de soutenir l’insoutenable quand tout démontre le contraire, est la défense ultime, invincible, des vaincus par l’évidence. C’est le droit inaliénable pour un homme de refuser au vainqueur l’aveu de sa défaite...
Nourrir sa vie, c’est aussi en rire – tant et tant de récits en donnent la preuve –, rire du médiocre quotidien ou dans les situations difficiles pour ne pas sombrer, pour sauvegarder son identité, y compris et peut-être surtout rire de soi-même, de ses propres faiblesses, de ses propres échecs, et partager ce rire avec ses semblables, car le rire crée et renforce le lien social de façon lucide et constructive s’il n’est pas dirigé contre les autres.
Dans le monde contemporain, où plus rien n’est sacré, sauf l’obligation de désacraliser, où l’esprit subversif n’a plus grand-chose à subvertir, où il est de bon ton au contraire de ne rien respecter, le comique social a beaucoup perdu de son âpreté et surtout de sa portée. Les « humoristes », comme on dit à tort, ne risquent pas beaucoup en regard du succès qu’ils remportent. Les raillés sont devenus, bon gré mal gré, beaux joueurs et ils en redemandent même pour augmenter leur notoriété. Quant aux rieurs, nous tous, nous nous défoulons sans danger, sans avoir jamais l’impression que la dérision pourra corriger les mœurs.
"Nasredin et la voie de la sagesse" conté par Kamel Zouaoui