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Critique de Malaura


Il s'appelle Bernard mais tout le monde en ville le surnomme Feu-de-Bois, tellement l'odeur âcre du charbon, du tabac, de la crasse, de l'alcool et de la négligence ont imprégné son grand corps d'homme à la dérive.
Ici, tous se méfient de lui, de son regard mauvais, de ses gestes erratiques d'alcoolique notoire, de ses accès d'humeur et ses débordements.
Trop brutal, trop rustre, trop sale, solitaire et taciturne, voilà ce qu'est Feu-de-Bois, cet homme de 63 ans vivant comme un clochard, aux crochets des uns et des autres, et voilà pourquoi on se défie de lui tout en le craignant, l'évite tout en le tolérant.
Pourtant, le soir de l'anniversaire de sa soeur Solange, il a fait un effort.
Tous l'ont vu entrer dans la salle des fêtes et ont pu constater que, pour une fois, il ne sentait pas trop mauvais et avait l'air sobre.
Dans son gros poing serré, Feu-de Bois tenait une petite boîte de velours bleu, un cadeau pour sa soeur. Un présent, source de drames, qui va attiser les curiosités, délier les langues, raviver les vieilles rancoeurs et faire resurgir un passé qu'on croyait à jamais enfoui.
Un temps depuis longtemps révolu que Feu-de Bois n'a pourtant jamais oublié, à l'instar de tous ceux qui ont fait l'expérience de la guerre.
Un passé qui a gravé sa marque dans les chairs, le coeur et l'âme du jeune homme qu'il était alors, lorsqu'il s'appelait Bernard…. il y a plus de 40 ans, sous le ciel d'Algérie…

Au fil d'ouvrages remarqués, forts et profonds, Laurent Mauvignier a construit une oeuvre riche et dense et fait désormais partie des auteurs français avec lesquels il faut compter.
Dans « Apprendre à fuir », couronné par le Prix Inter 2001, « Loin d'eux » ou « Dans la foule », l'auteur avait déjà pleinement manifesté une sensibilité à fleur de peau, s'inscrivant dans une langue singulière, chaotique, étonnamment puissante et évocatrice.
Ce septième roman de l'auteur, s'il prend pour cadre la guerre d'Algérie, n'est pas pour autant un ouvrage sur la guerre, mais plutôt un livre sur le pouvoir destructeur, les blessures secrètes et les marques indélébiles que la guerre laisse dans les consciences des hommes. Ces hommes qui « pleurent dans la nuit parce qu'un jour, ils ont été marqués par des images tellement atroces qu'ils ne savent pas se les dire à eux-mêmes »
Les mots de Mauvignier jaillissent comme des jets de pierre, heurtés, bousculés, à la façon de pensées fulgurantes qu'on tenterait de mettre en ordre.
Un flot rapide et saccadé, haletant, précipité…souffle rauque de l'urgence dessinant les contours de drames anciens jamais occultés ; qui dit à flux tendu, les choses horribles qui se devinent au fond des yeux embués d'alcool. Fantômes et spectres qui hantent les consciences et qui finiront par surgir, sourds et mugissants, souvenirs traumatiques trop longtemps contenus.
Ce sont ces douleurs anciennes, réprimées, serrées, grossissantes que Laurent Mauvignier, de son écriture hachée, syncopée comme un coeur qui s'emballe, donne à voir, à palper, à toucher avec cette impression d'arme froide et lourde entre les mains et le sentiment d'être sans cesse sur la corde raide, surplombant l'abîme que l'on sait pourtant inéluctable.
Cette atmosphère contractée à l'extrême, cette tension survoltée, électrique, annonciatrice de tragédies, si elle est souvent oppressante et vous coupe parfois le souffle, n'en est pas moins puissamment suggestive des traumas que peut causer la guerre…qu'elle soit d'Algérie…ou d'ailleurs.
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