« Rien de nouveau sous le soleil », c'est à cette expression de l'Ecclésiaste que m'a fait songer le roman d'
Horace McCoy paru en 1935 et porté à l'écran en 1969 par Sidney Pollack. «
On achève bien les chevaux » frappe en effet par une forme de modernité étonnante, tant les thèmes abordés sont encore et toujours d'actualité : dénonciation de l'avidité sans limites d'un capitalisme dénué de scrupules, mise à nu de l'hypocrisie d'une société protestante qui défend des valeurs morales qu'elle n'a de cesse de bafouer.
Si les thèmes abordés n'ont pas pris une ride, la structure romanesque est également résolument moderne. le roman commence en effet par la fin, c'est-à-dire le jugement pour homicide volontaire de Robert Syberten, accusé d'avoir assassiné Gloria Bettie. le narrateur, qui est également l'accusé, nous conte dans un récit en forme de long « flash-back » les événements qui ont conduit au dénouement tragique dévoilé dès la première page.
Horace McCoy insère habilement entre chaque chapitre quelques phrases révélant progressivement le verdict que la cour est en train de prononcer à l'encontre du narrateur.
Hollywood avant la seconde guerre mondiale. Robert Syberten rencontre Gloria Bettie. Tous deux sont figurants au cinéma et ont vu leurs rêves de grandeur se fracasser contre le réel. Désoeuvrés et à court de billets verts, ils s'inscrivent à un « marathon de danse » qui promet mille dollars de récompense au duo vainqueur et offre l'occasion de se faire remarquer par un producteur présent dans le public des soirées orchestrées pour l'occasion.
Cent quarante-quatre couples sont inscrits au marathon de danse qui consiste à danser pendant une heure cinquante avant de profiter d'une pause de dix minutes puis de recommencer, sous la supervision d'un maître de cérémonie, de plusieurs arbitres et d'un médecin. Pour pimenter l'affaire, les organisateurs ont choisi d'ajouter les fameux « derbys », où les couples doivent courir de concert sur une piste, tels des chevaux réincarnés dans des corps humains. L'objet de cette épreuve à la cruauté indicible est d'éliminer, soir après soir, le dernier couple arrivé.
Écrit après la grande dépression de 1929, «
On achève bien les chevaux » est une fable cruelle qui met à nu l'envers du rêve américain. Noir comme l'ébène, ce classique de la littérature américaine suinte le désespoir de ses protagonistes prêts à vendre leur âme dans l'espoir de remporter les mille dollars promis au couple vainqueur. Les pauvres bougres signent ainsi un pacte faustien d'un nouveau genre, qui les conduit à échanger leur dignité contre le mince espoir d'une improbable victoire.
« - le deuxième couple à être patronné, dit Rocky, c'est le n° 34, Pedro Ortega et Lilian Bacon. Ils sont patronnés par le Garage Speedway. Et maintenant, un petit bravo pour le garage Speedway, qui est situé au n° 1134 du boulevard Santa Monica. »
Les organisateurs ont pensé à tout et ont notamment organisé un système de sponsoring à la modernité étonnante, qui permet à un garage ou à un institut de beauté local de « patronner » un couple en lice, s'offrant ainsi, à moindre coût, une publicité percutante.
« - C'est en général ce qui se passe avec les filles des gens qui veulent réformer les autres, poursuivit Gloria. Tôt ou tard elles y passent toutes et elles ne sont pas assez dessalées pour éviter de se faire coller un gosse. Vous les chassez de chez vous avec vos maudits sermons sur la vertu et la pureté, et vous êtes trop occupées à fouiner dans les affaires des autres pour leur apprendre les choses qu'elles devraient connaître. »
C'est ainsi que Gloria, qui n'a pas sa langue dans sa poche, tance les représentantes de la Ligue des mères pour le relèvement de la moralité publique, qui se font fort de tenter d'interdire la poursuite du marathon de danse. À travers cette saillie haute en couleur, c'est toute l'hypocrisie d'une société qui prêche sans relâche une vertu sans cesse dévoyée, que dénonce
Horace McCoy avec une vigueur étonnante.
«
On achève bien les chevaux » est un petit bijou intemporel, qui prend la forme d'une fable aussi noire que désespérée.
Horace McCoy ne se contente pas de dénoncer la soif inextinguible de profit et l'hypocrisie effrontée d'un « rêve » américain aux allures de cauchemar. le caractère inexplicable du meurtre absurde de Gloria Bettie préfigure en effet le désespoir qui hante « L'Étranger », le chef-d'oeuvre existentialiste d'
Albert Camus, qui paraîtra sept ans plus tard.