Allez savoir pourquoi, je repense à ce roman qui n'est pas russe, mais écossais, et très bien traduit par
David Fauquemberg.
1919. La guerre contre les Allemands est terminée et une révolution est en marche. Une guerre différente. le genre de guerre où on ne sait jamais qui est dans quel camp."L'ancienne guerre, contre les Allemands et les Autrichiens, c'était nous contre eux.Maintenant, ce serait plutôt nous contre nous."
La Sibérie, quelque part entre Omsk et Krasnoïarsk, le long du Transsibérien, Jasyk, dont les habitants ne savent de l'évolution de la guerre que ce que le télégraphe, qui fonctionne rarement, veut bien leur transmettre.
Dans cette petite ville, la légion tchèque, une centaine d'hommes partis de Prague en 1914 commandée par un capitaine qui rêve de royaume , Matula.
L'autre partie de la population de cette ville est composée d'une secte de castrats, et leur guide spirituel est un ancien lieutenant de hussards,Balschov parti à la guerre en laissant femme et enfant derrière lui, et déclaré disparu.
De la forêt sort un homme, que l'on a déjà croisé étudiant dans le premier chapitre du livre. Il s'appelle Kyrill Ivanovitch Samarin. Dit s'être évadé du bagne appelé le Jardin blanc et être poursuivi par un cannibale.
A ce stade là du livre, je me suis dit que cet écrivain avait vraiment beaucoup d'imagination.......Et bien pas vraiment, il l'explique en post-face.
La secte russe des castrats , malgré la répression subie de la part des autorités soviétiques a survécu pendant toute la première moitié du XXème siècle.
La Légion tchèque a bien occupé une partie de la Sibérie, et ne l'a quittée qu'en 1920
Et enfin....
"Des documents attestent de l'existence de la pratique consistant ,chez les évadés des bagnes russes puis soviétiques, à emmener avec eux un compagnon naïf en guise de nourriture. L'un des articles du Manuel du Goulag de
Jacques Rossi , intitulé Vache ( "Korova") débute par ces mots:
"Personne choisie pour être mangée; ne se doutant de rien, tout criminel inexpérimenté ,invité par ses aînés à s'évader avec eux, est prêt à remplir cette fonction...Si, au cours de leur fuite, les évadés se retrouvent à court de vivres et sans aucun moyen de ravitaillement, la "vache sera égorgée......"
Ce roman raconte l'histoire de cinq personnages, Samarin , Matula et Balschov donc, mais aussi Joseph Mutz, lieutenant juif de l'armée tchécoslovaque, et Anna Petrovna, qui a débarqué un jour avec son fils pour des raisons mystérieuses.
Et tous attendent les troupes révolutionnaires.Thème classique, on attend les tartares, les barbares, ici ce sont les Rouges. Et dans l'attente, la tension monte et chacun se dévoile. Enfin, non, il y a un menteur.
Nous sommes en 1919, et les propos du chef du canton deviennent prophétiques:
"Nous avons été trop indulgents. Trop gentils. Nous avions trop peur de la populace , des sans-grade, alors que c'est eux qui auraient dû nous craindre. Quand tout ce chaos sera terminé et que nous aurons renvoyé chez eux les étrangers, nous saurons quoi faire. Peu importe qui sera au pouvoir, un prince de sang ou un marxiste, du moment qu'il est russe et que les paysans ont peur de lui comme ils auraient dû avoir peur de nous. La crainte les éblouira comme une lumière vive ,un soleil de peur s'élevant au matin ,une peur réchauffant leur dos l'après midi, une peur électrique les illuminant tout au long de la nuit, une peur claire et resplendissante, si bien que même si le nouveau dirigeant vient à mourir pour être remplacé par une autre mauviette, la terreur ne les quittera pas,eux, leurs enfants et leurs petits enfants. Même quand l'origine de la peur aura disparu, ils continueront à la chercher du regard, ils ne pourront vivre sans elle."
C'est un éblouissant roman d'action, une réflexion politique mais également un livre dans lequel est minutieusement analysé ce que l'on nomme amour. Et actes faits sous prétexte d'amour...