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Citations sur Mauricio ou les élections sentimentales (6)

 Mauricio regagna sa table. Sur la nappe, couverte de taches, de miettes de pain et de cendres, s’amoncelaient les assiettes sales, les verres vides et les serviettes froissées. Il ramassa par terre une serviette souillée de nourriture et de rouge à lèvres ainsi qu'un châle de moire qui avait glissé du dossier d'une chaise.
   Raurell dansait avec sa femme, et celle de Fito somnolait, affalée sur sa chaise, les jambes écartées sans vergogne. L'adolescente timide  s'était absentée. Fito et Tony discutaient. En voyant Mauricio arriver, Fito le mit au courant de la question dont ils débattaient.

   - Je n'ai rien contre les homosexuels, tu penses bien. Je dis seulement que je ne comprends pas leur manie de vouloir se marier. Après toutes ces années de lutte contre le système, et maintenant que leur condition est dépénalisée, voilà qu'ils voudraient être femmes au foyer.

   - Nous ne luttions pas contre le système, mon chou. C'était le système qui luttait contre nous.

   Mauricio se rendit compte qu'ils étaient soûls tous les deux, mais sans être agressifs.
   - Et ils veulent aussi être gardes civils, tu te rends compte ? insista Fito.

   - Je ne veux pas être garde civil. Je demande seulement qu'aucune porte ne me soit fermée parce que je suis ce que je suis.

   - Ça me semble une revendication raisonnable, dit Mauricio.

   - La société n'est pas prête, dit Fito, et on ne peut pas légiférer contre le sentiment de la communauté.
   - En suivant ce critère, vous pourriez aussi bien supprimer l'impôt sur le revenu, dit Mauricio.

   - Écoute, si c'est pour entendre ce genre de conneries, je préfère me tirer, dit Fito.

  Il se leva et quitta la table en titubant.

   - Ce n'est pas mon jour, dit Mauricio.

   -  Ne te bile pas. Il leur suffit de deux verres pour que le facho qui est en eux se réveille.

   - Tu parles des hétéros ?

   - Des politiques. Commander, c'est être fasciste. Le parti et le programme, ils s'en balancent. Au fond, tout ce qui les intéresse est de dicter aux autres ce qu'ils doivent faire. N'importe quoi, sauf laisser les gens en paix 
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J'ai la chance de ne pas dépendre de l'initiative privée : avoir des caries ne demande pratiquement pas d'effort personnel.
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"Je ne suis peut-être pas un citoyen exemplaire. Tant pis. Je me contente de ne pas être un citoyen ennuyeux. L'ennui me préoccupe beaucoup. Ce pays a perdu le sens de l'humour et la joie de vivre. Nous nous ennuyons et nous ennuyons les autres. La presse est ennuyeuse, la télévision est ennuyeuse, et les conversations, avec tout le respect que je vous dois, sont débiles. Et ne parlons pas du discours politique. Je ne voudrais pas me livrer à une attaque personnelle, d'ailleurs je ne vous connaît pas. Mais quand j'entends un homme politique causer à la télé, je pense toujours : Bon Dieu, tu ferais mieux de nous pousser la chansonnette"



Eduardo Mendoza , extrait de " Mauricio ou les élections sentimentales" Seuil, 2007
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 - Je ne tomberai pas dans le lieu commun qui consiste à dire qu'il est facile de critiquer de l'extérieur, dit Fito. On œuvre pour obtenir des résultats et, en dernière instance, c'est la seule chose qui compte. Les résultats. Ce qui se passe dans les cuisines n'intéresse personne. Je voulais juste dire ceci : les résultats ne sont pas seulement ceux qui se voient, ceux que l'on peut comptabiliser. Il y a aussi ceux que l'on ne voit pas. Suis-je assez clair ?

  - Pas vraiment.

  - Je parle de ce qui n'a pas lieu. Des choses qui auraient pu avoir lieu mais qui n'ont pas eu lieu. Ce que l'on empêche est aussi important que ce que l'on fait, au pouvoir comme dans l'opposition. Le travail d'endiguement. Dans ce pays, il y a beaucoup de forces contraires. C'est pareil dans tous les pays, mais c'est probablement plus grave chez nous. La transition est encore récente et beaucoup de questions n'ont pas été résolues. La bataille n'est pas gagnée. Je ne parle pas de la bataille décisive, mais de la bataille de la normalité. Chaque jour qui passe sans coup d'État ou sans menace de crise est une victoire, comme l'est chaque journal qui exprime librement une opinion sans être fermé par ordre du gouvernement : chaque prévenu qui exerce ses garanties légales... Enfin, des choses que nous donnons aujourd’hui pour acquises, des choses qui nous permettent de vivre en oubliant le passé...

   - En oubliant le passé ? Comment pourrons-nous l'oublier si on nous le rappelle à chaque instant ? À la moindre contrariété, vous nous sortez le Caudillo du placard, et hop ! Pour un oui et pour un non.

   - Nous vivons une trêve. D'un côté la droite récalcitrante, dans l'attente d'une occasion propice ; de l'autre le nationalisme réactionnaire, toujours prêt à jouer les victimes, déguisé en progressisme et en révolte. Regardez le Pays Basque, ou ici même, dans les secteurs les plus radicaux du catalanisme : un tas de skinheads bénis par l'Église.

  - Il ne faut pas exagérer, dit Toni.

Par son ton et son attitude, on voyait qu'il n'intervenait pas pour porter la contradiction mais pour calmer les esprits. Pourtant, tous les regards convergèrent vers lui et il dut donner des explications.

   - Je ne dis pas que c'est vrai ou que ça ne l'est pas. Je revendiquais seulement le droit d'être au-dessus de tout ça. C'est ma position : je suis un gay. J'ai un travail qui me plaît, et je tâche de mener ma vie sans déranger personne. Je paye mes impôts. En râlant, mais enfin je les paye, avec l'espoir qu'ils seront bien utilisés. Je n'aime pas l'idée que mes impôts servent à acheter des armes et à entretenir une armée qui nous encadre au lieu de nous défendre, et une police qui, si elle le pouvait, me passerait à tabac parce que je suis homo, mais je me résigne. Je ne proteste pas non plus parce qu'une partie de l'argent que j'ai gagné peut aller dans les poches de quelques politiciens ripous ou financer la bureaucratie de partis dont je n'ai absolument pas besoin. Je demande juste que, en plus, il y ait davantage d'écoles et d'hôpitaux, et que, si un jour je tombe malade, je ne me retrouve pas à la rue. Mais toute ma vie ne tourne pas autour de ça. Je vis en pensant à mes affaires, aux choses qui me concernent directement. Je ne suis peut-être pas un citoyen exemplaire. tant pis. Je me contente de ne pas être un citoyen ennuyeux. L'ennui me préoccupe beaucoup. Ce pays a perdu le sens de l'humour et la joie de vivre. Nous nous ennuyons et nous ennuyons les autres. La presse est ennuyeuse, la télévision est ennuyeuse, et les conversations, avec tout le respect que je vous dois, sont débiles. Et ne parlons pas du discours politique....

   Les femmes l'écoutaient avec un sourire complice. Les hommes avec un sourire hargneux. Il éclata de rire.

   - J'ai trop parlé. Je ne suis pas seulement une folle, je suis une pie. J’espère ne pas vous avoir blessés.

   - Non, non, bien au contraire, dit Raurell.

   Mauricio ne dit rien mais, intérieurement, c'était vrai qu'il, se sentait blessé. Cette profession de foi apparemment sincère, débitée sur un ton théâtral et accompagnée de gestes doucereux, lui paraissait être une façon déguisée d'exprimer le plus grand mépris pour l’opinion des autres sans prendre le risque d'être contredit. Ce genre de tirades n'amuse que les femmes, pensait-il.

   Le dîner avançait à un bon rythme. La direction de l'établissement tenait à liquider le plus rapidement possible cette partie de la soirée afin de fermer la cuisine et de réduire le personnel de service.

   À une table éloignée, un invité proposa d'une voix forte de porter un toast aux nouveaux époux. Ceux-ci se mirent debout et levèrent leurs verres. Un chœur burlesque exigea qu'ils s'embrassent et, quand ils l'eurent fait, ce fut une tempête d'applaudissements, de vivats et de sifflets..
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- Ils ne m'embarqueront pas dans les bonnes oeuvres de la social-démocratie. - Il but une gorgée et poursuivit, comme s'il s'adressait à lui-même : - Je suis déjà passé de l'autre côté.
Mauricio ne put déduire de cette dernière affirmation s'il se référait à son état de santé, à son état d'esprit ou à son état d'imprégnation éthylique. Il avait le regard opaque. Mauricio dit :
- Alors on laisse les choses comme elles sont. C'st ce que vous voulez ?
- Ah non, répliqua le prêtre-ouvrier, non, ce n'est pas pour ça que je suis venu dans ce quartier sous cette pluie... Et puis je ne renonce à rien. Mon engagement politique est toujours le même. Il faudrait qu'il se passe beaucoup de choses avant que je renonce à... à tout ça, putain ! Par ailleurs, mon fils, n'oubli pas que je suis prêtre. Et comme prêtre j'ai l'obligation absolue, oui, absolue, de veiller à ton salut, dans ce monde et dans l'autre. Dans les deux.
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C'est un buffet. Chacun se sert en prenant ce que laissent les autres.

Tu n'as plus rien à faire d'autre que peigner la girafe.

… et ma mère parle beaucoup et ne dit rien.

… mais je crois qu'il faut conformer la pensée à la réalité et non travestir la réalité pour la faire coïncider avec nos idées.
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