Luc Lettelier, 30 ans. « Gentil » homme simple, discret, un brasier de mots. Attends d'être publié depuis 8 ans et 6 ouvrages. Coincé entre le désir de s'accomplir au travers de ses écrits, d'être publié et le désespoir de ne pas être contacté par un éditeur, de douter de ses désirs. Il erre caustique. Un goût d'amertume rend inintéressant le pays qui l'agite dans un shaker au mélange insensé, le monde dans lequel il végète. L'esprit sombre, il transpire l'« à quoi tout cela sert ? ». Nihiliste ? de l'inintérêt qui le motive à écrire. Son souffle de vie, son inspiration, sa confidence « wordienne » sont son sacerdoce. Rhésus, une
maison fondée en 1959 lui ouvre les portes vers la lumière. Rhésus « + » empêche Luc de coaguler dans sa dépression… Telles au printemps, les couleurs s'animent, c'est du Whoopi Goldberg qui lance le gospel dans l'édifice morne et plat d'une vie merdique. L'extase retombée, le « logos » (discours) de Luc devient inspiré, vivace. Un logos qui concourt à sa propre survie et qui le ronge a contrario. Une « toxicon » (une flèche empoisonnée) tirée au centre de sa cible sans retour possible. La « toxicologie » de ses dernières heures a commencé. Un attachement vénéneux. Écrire pour vivre jusqu'à la mort… Où mènera le fruit de la passion de Luc ? La voix est secrète…
D'emblée, le ton m'a plu. Blasé, sarcastique…
«
Maison fondée en 1959 n'est pas le plus facile d'accès, car je l'ai voulu déroutant (à la fois marrant et grave), mais au moins, l'avantage avec celui-ci, c'est que tu me connaîtras vite : comme on dit, il annonce la couleur pour les autres bouquins » Michael M.
Dès les premières pages je m'identifiais déjà au personnage principal, rongé entre son besoin d'écrire, son envie d'exprimer son ressenti.
« Content que tu te sentes "proche" de Luc... je voulais un perso à la fois cool et un peu con, comme moi... et beaucoup d'entre nous d'ailleurs (même ceux qui s'en défendent) » Michael M
Pour ma part, j'ai trouvé que Luc était loin d'être un vrai con. Plus vrai que con…
Le décor et l'ambiance imagés, simples, directs. D'ailleurs à un moment une réserve se dessinait au fur et à mesure de la lecture. J'en aurais voulu plus sur certains points. Par exemple une explication plus « scientifique » ou « malsaine » pendant le premier rendez-vous avec Oscar, directeur d'éditions Rhésus. Une curiosité inutile peut-être. Un manque dont j'ai trouvé l'explication par Luc en page 195 :
« … j'ai toujours privilégié le récit au détriment du sensoriel, par peur de perdre le fil et donc le lecteur. »
Le lecteur découvre le parcours d'un écrivain, son besoin d'écrire, l'attente d'une réponse (d'autres auteurs deviennent maniaques du nettoyage de leur boîte mails. Celle-ci, vérifiée pour espérer y trouver une date de publication, un rendez-vous, des paranos de la surveillance Hotmail, SMS, téléphone fixe), l'insignifiance de tout ce qui est quand une attente gouverne notre quotidien.
On pénètre dans la dimension de la compréhension de l'auteur, sa vision, son projet. Une personne qui n'étant pas connue ou reconnue est souvent snobé. Pointé de vampire à la recherche de la sucess story. Une story qui chantent d'arrêter de hurler « je suis un écrivain incompris ». On parle d'un auteur qui subît le dédain de pontes du milieu qui visent d'autres objectifs comme la performance au-delà du thème et de l'inspiration de l'auteur, un objectif comme le phénomène de mode, le buzz… Au final des « jet setters » qui omettent l'éventualité que ce soit un avenir qui se dessinerait en tant que métier d'auteur et qui va bien au-delà de taper dans le best-seller. Des snobinards qui lentement empoisonnent la qualité de la littérature ambiante…
En conclusion, un roman intimiste, un huit clos aux airs de Misery (SK 1987), où le poison est Annie Wilkes. Une confrontation entre le fanatisme, la passion, la survie, le fantastique… L'acharnement, la névrose, la connerie imposée. L'auteur signe, non seulement, un autoportrait intelligent, courageux, une idée astucieuse. Il présente aussi le travail qu'il y a derrière un manuscrit, le sérieux d'une telle tâche, ce qui anime le tapeur de touche, sa rigueur. Il offre également un dessin triste en noir et blanc d'un état des lieux d'une littérature hypocrite, engrossée de simplisme, de coup commercial au rapport qualité-prix « vomito »…
Une excellente découverte. D'office à suivre…