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Critique de Gwen21


Ah la la... J'aimerais tellement n'avoir à dire que du bien d'un roman de Robert Merle. Son écriture, son érudition, sa précision dans la narration, le charme qui se dégage de sa plume, le confort de lecture qu'il offre à ses lecteurs, tout concoure à faire de lui l'un de mes auteurs favoris. Il m'a fait rêver avec son « Idole », il m'a subjuguée avec sa « Fortune de France » et il m'a tétanisée avec son mémorable « la Mort est mon métier »...

Malevil est un roman post-apocalyptique dont Robert Merle situe l'action en France. Nous sommes dans les années 70, à cette période complexe où le monde connaît des difficultés économiques et politiques avec le premier choc pétrolier et la Guerre Froide, entre autres, et où, en France, s'essoufflent les Trente Glorieuses ; à cette période où le Mur est encore solidement debout et où l'on craint à chaque instant que Russes et Américains ne pressent le bouton rouge... Au fil des 630 pages de la collection Folio, Robert Merle m'a déroutée, m'a fascinée mais m'a également irritée. Question d'honnêteté intellectuelle, je dois bien l'admettre, je n'ai pas été totalement séduite par un roman dont j'attendais beaucoup, peut-être trop.

Je ne révélerai rien de la trame du roman en disant qu'une bombe atomique a rayé de la surface de la Terre tout ce qui vivait, humains, animaux et végétaux, c'est écrit en 4ème de couverture. Qui, des Russes ou des Américains a pressé le bouton rouge ? Bien malin celui qui désormais peut le savoir, plus personne ne vit pour en témoigner. Plus personne ? Un groupe d'irréductibles périgourdins, occupés à mettre en bouteille le vin en fût dans une cave médiévale, a pourtant survécu... Situation qui engendre autant d'optimisme que de pessimisme car, dans un monde où plus rien ne subsiste et où la seule femelle survivante compte 75 printemps, comment envisager de transformer la survie en existence ?

***ALERT SPOILER***

Le roman est très dense, vraiment très dense et, globalement, sa lecture m'a plutôt satisfaite.

L'histoire est bien construite, l'auteur nous plonge dans le quotidien et les intérêts personnels des protagonistes, des gens qui vivent à la campagne, dans une bourgade rurale du Périgord où chacun se connaît, s'apprécie ou se déteste selon ses liens avec ses voisins, concitoyens, parents, etc. A proximité de ce village se dresse la fière silhouette pleine de noblesse de Malevil, un château fort en ruines qu'Emmanuel, le héros, va acheter et restaurer. La vie est paisible, dans l'ensemble, pour la petite communauté villageoise, entre élections municipales qui se préparent, élevage des chevaux, artisans au travail, accidents de la vie courante, etc. Evidemment, aucun des habitants ne se doute qu'il vit ses derniers instants et que d'ici peu, la folie humaine va déclencher un cataclysme nucléaire et anéantir toute trace de vie dans ce joli coin de Dordogne.

L'histoire a vraiment de quoi séduire. Nous sommes très en amont de romans de type « La Route » de Cormac McCarthy et pourtant le thème est similaire. Fermez les yeux et imaginez une seconde que vous vous retrouviez seul survivant sur une terre qui ne compte plus un brin d'herbe, avec au-dessus de la tête un ciel où pas un seul oiseau ne vole et sous les pieds un sol stérile qui ne vous offre aucune chance de survie. C'est une pensée terrifiante, pas de nourriture, pas d'espoir, pas d'avenir, aucun sens à donner à votre existence, vous avez tout perdu.

J'étais vraiment très attirée par ce thème et j'ai vraiment apprécié le traitement qu'en fait Robert Merle, mettant au coeur des préoccupations de la poignée de survivants ayant échappé à la mort, avec Emmanuel à leur tête, le pouvoir, la sécurité et la spiritualité. La subsistance n'est pas tout, une fois les réserves de nourriture recensées, il faut penser à s'organiser, se structurer pour tenir sur le long terme. L'organisation sociale des survivants de Malevil devient pour le lecteur le fil ténu qui les lie à la civilisation et chaque fibre de son attention vibre au gré de leurs aventures, découvertes et déconvenues... On s'attache à chacun des personnages, ils deviennent familiers, ils sont précieux, ils sont les derniers êtres humains !

Ce que j'ai moins aimé et ce qui, par conséquent, mitige mon opinion finale, ce sont tout d'abord les longueurs, bien réelles, de la narration. Vraiment, l'auteur s'est fait plaisir, il a dû beaucoup travailler autour de la psychologie de ses personnages et de ce fait, il n'épargne à son lecteur aucun cheminement, aucune justification, aucune explication avant de poser les actes de ses protagonistes ; cela alourdit l'action qu'on aurait imaginée plus fulgurante, plus chirurgicale voire plus violente.

C'est Emmanuel qui raconte les évènements et son récit est à peine entrecoupé des notes de Thomas, un autre survivant, qui, tels des points d'orgue, viennent apporter une justification supplémentaire à ses actes. Emmanuel, propriétaire de Malevil et doté d'un ego plutôt solide, va assez naturellement prendre les rênes du pouvoir et occuper au fil des chapitres toutes les fonctions : exécutive et spirituelle. Cet état des choses ne m'a pas toujours semblé aller de soi. le pompon est atteint avec le pouvoir de séduction d'Emmanuel qui ira jusqu'au culte de la personnalité, voire la déification. Too much.

Les survivants de Malevil sont bien des survivants mais ils ne sont pas si démunis que cela. Avec une logique souvent dissonante, l'auteur a veillé à ce qu'ils ne manquent pas complètement du nécessaire et disons que les murs de Malevil renferment un kit complet et quasi prêt à l'emploi de tout ce qu'il faut pour faire renaître de ses cendres une civilisation en péril. Des bougies (qui n'ont pas fondu malgré la brusque nappe de chaleur de l'explosion qui a tout détruit sur son passage), au foin heureusement remisé avec quelques animaux dans une cavité du roc, en passant par le papier qui permet à Emmanuel d'écrire son récit, au final, les fournitures dont ils disposent sont légion et là encore, méchante fille que je suis, j'aurais préféré les imaginer dans un dénuement véritablement apocalyptique...

Enfin, (et je m'arrêterai là car je ne voudrais pas vous détourner de ce roman qui reste une bonne dystopie à découvrir pour les amateurs du genre et également pour les adeptes de l'auteur) il faut quand même que je dise un mot sur la place des femmes dans le récit. Vous pourrez difficilement trouver moins féministe que moi et pourtant, j'ai tiqué à la lecture de Malevil sur les rôles dévolus à ses héroïnes. Soit vieilles et bonnes à faire la vaisselle, s'assujettissant d'elles-mêmes dans une dévotion muette et résignée envers la gent mâle. Soit jeunes et ayant difficilement droit à la parole pour exprimer idées et opinions. Aucune ne m'a paru bien crédible dans son comportement et dans ses choix.

Robert Merle a donc choisi de faire de Malevil un roman viril, il l'est sans conteste mais, en pareilles circonstances, on ne saurait nier que la femme est plus que jamais l'avenir de l'Homme. Cela méritait, à mon sens, un peu plus de considération.
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