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EAN : 9782070244508
375 pages
Gallimard (24/04/1944)
4.28/5   110 notes
Résumé :
Lorsque paraît en 1944 L'Espace du dedans, d'Henri Michaux (1899-1984), le poète et le peintre, d'origine belge, ne sont encore connus que d'un petit nombre. Michaux a publié cependant sept livres chez Gallimard, et un nombre plus important de plaquettes et de petits recueils chez d'autres. Quelques appuis l'encouragent à mettre au point, seul comme à son habitude, une première anthologie de son parcours poétique, dès 1943. André Gide a publié en 1941 Découvrons Hen... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
Michaux (Henri) : La vie d'Henri Michaux (Namur, 24 mai 1899 – Paris, 19 octobre 1984), poète et peintre de génie d'origine belge, bascule lorsqu'il perd son épouse. La douleur de ce décès tragique ne cicatrisera jamais, et il portera le deuil jusqu'à sa propre mort. Mais c'est sans doute grâce à ce terrible événement que sa carrière bifurque vers des travaux de tous styles, emprunts de la véritable essence de l'âme tourmenté du veuf inconsolable. Mais déjà, avant cela, ses confrontations à l'Abîme étaient fréquentes et, depuis son enfance, on peut dire que Michaux aura avalé sa part de ténèbres.
Cet homme, qui deviendra un Maître dans ses domaines de prédilection, la poésie et la peinture, a connu une adolescence difficile, entre angoisse et dépressions. A cette époque, ses premiers travaux voient le jour, influencés sans aucun doute par ses plus jeunes années durant lesquelles il a connu les pensionnats et l'éducation à la dure des jésuites, mais surtout à la fréquentation des auteurs russes Léon Tolstoï et Fiodor Dostoïevski. Tout en faisant ses premiers pas dans la littérature, il s'orientera vers la médecine pour l'abandonner assez vite, prenant la mer entre 1920 et 1921. C'est peu de temps après, en découvrant Lautréamont, qu'il se décide à se lancer corps et âme dans la littérature.
Durant les Années Folles, il arrive à Paris, une ville dont il tombera éperdument amoureux. Dès lors, il n'aura de cesse de renier tout ce qui le rattache à son pays natal et se considérera parisien. Même si, par la suite, il voyagera dans le monde entier, la capitale française restera son berceau. Il sera d'ailleurs, avec la plus grande fierté, naturalisé français en 1955. Aussi rédigera-t-il ses "Carnets de Voyages", réel ou fictifs, qui feront partie intégrale de son oeuvre colossale, lancé par son éditeur et ami proche, Jacques-Olivier Fourcade. En plus de l'écriture, Henri Michaux commence à s'intéresser de plus en plus à l'art pictural dont il entamera des travaux, restés longtemps secrets.
C'est en 1948 que la vie de l'auteur prendra un tournant radical, suite au décès tragique de Marie-Louise Termet, son épouse, suite à d'atroces brûlures dues à un accident domestique. Michaux en rendra compte violemment avec l'écriture de "La Vie dans les Plis" (1949), l'un des textes les plus viscéraux qu'il aura écrit.
Suite à cet évènement, il se considèrera comme un mort en sursit et comme n'ayant plus rien à perdre, commencera les expériences littéraires sous l'influence des drogues, principalement la mescaline, le LSD et la psilocybine. Ces plongeons dans l'abîme des hallucinogènes commenceront tardivement, à l'âge de 55 ans, alors qu'il n'avait jamais touché auparavant aux produits stupéfiants, mis à part l'éther qu'il consomma plus jeune. Ces expériences psychédéliques renoueront Michaux et la médecine, principalement la psychiatrie, et donneront naissance à des travaux sous l'influence des drogues, avec l'assistance d'un médecin qui calculera les dosages avec précision. Il en ressortira des textes impressionnants, mélangés avec des dessins sur des carnets spécialement utilisés pour ce que l'auteur voulait comme des approches scientifiques des effets des substance et de la créativité littéraire et picturale pouvant en découler. Les toiles qu'il a laissé derrière lui sont autant de bijoux d'art atypique qui ne peuvent pas laisser indifférent. Notons certaines oeuvres picturales significatives :
Henri MICHAUX "Têtes"
Henri MICHAUX "Clown"
Henri MICHAUX "Paysages"
Henri MICHAUX "Prince de la Nuit"
Henri MICHAUX "Dragon"
Henri MICHAUX "Combats"
Henri MICHAUX "Couché"
Henri MICHAUX "Parcours"
Henri MICHAUX "Description d'un trouble"
Henri MICHAUX "Arrachements"
Henri MICHAUX "Composition"
Henri MICHAUX "Frottage"
Henri MICHAUX "Mouvements"
Henri MICHAUX "Repos ans le Malheur"


Vers la fin de sa vie, Henri Michaux vivait en reclus et était perçu comme un personnage public fuyant son lectorat et la presse. Il meurt seul à Paris, sa ville d'enracinement, le 19 octobre 1984
La bibliographie de l'auteur étant colossale – 63 ouvrages dont 6 posthumes – on retiendra surtout ses recueils de textes poétiques modernes dont voici une liste non-exhaustive :

MICHAUX Henri "Connaissance par les Gouffres"
MICHAUX Henri "La Vie dans les Plis"
MICHAUX Henri "Epreuves, Exorcismes"
MICHAUX Henri "L'Infini turbulent"
MICHAUX Henri "Poteaux d'Angles"
MICHAUX Henri "L'Espace du Dedans"
MICHAUX Henri "La Nuit remue"
MICHAUX Henri "Plume"
MICHAUX Henri "Ecuador"
MICHAUX Henri "Lointain Intérieur"
Henri MICHAUX "Misérables miracles"

Ghislain GILBERTI
"Dictionnaire de l'Académie Nada"
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Ce livre est en fait un recueil d'écrits piochés dans les différentes oeuvres de Michaux, une sorte de "best of" donc (même si cet anglicisme est particulièrement moche). Il est difficile de ranger Michaux dans la poésie ou dans la prose, il serait plutôt à cheval entre les deux, ou aurait même déjà sauté plus loin, car Michaux est plus qu'un simple équilibriste, il crée son propre monde.

Il pourrait y avoir une ressemblance avec Antonin Artaud mais sans le côté excessif, le style de Michaux est au contraire assez "bonhomme". Bien que déroutante, sa faculté d'écrire une langue nouvelle paraît déconcertante de facilité, c'est là qu'est la force de Michaux, ce nouveau langage qu'il arrive à créer, pourtant inconnu de nous, reste agréable à lire, aéré, et en aucun cas hermétique. La plupart des néologismes qu'il fabrique semblent ainsi exister depuis toujours dans la langue française (lire par exemple son poème le grand combat).

Bien que je ne sois pas expert en la matière, je considérerai peut-être Michaux comme mon poète préféré. Son inventivité, ce que l'on ressent et devine à travers ses drôles d'écrits, à la fois donc légers et percutants, lui donnent vraiment un style unique et reconnaissable dont l'originalité semble parfaitement maîtrisée.
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Ce que j'aime bien, quand je lis de la poésie, c'est que j'ai l'impression d'être au musée. On passe à peu près autant de temps à lire un poème qu'à regarder un tableau, et surtout, on abrège ou on prolonge si ça nous plaît ou pas. Telle croûte nous agresse les yeux ; on passe au reste et on l'oublie à jamais. Telle oeuvre nous touche ; on s'arrête et on essaye de comprendre pourquoi. C'est d'autant plus intéressant lorsque la croûte et l'oeuvre sont du même artiste, cela prouve que l'on a détesté la croûte en vertu d'un vrai jugement et pas sous l'impulsion misanthropique et impitoyable de la certitude que ledit artiste est par principe détestable. D'ailleurs, on s'arrête parfois moins pour envisager l'inscription de l'oeuvre dans sa mémoire que pour observer ce que ce jugement de valeur spontané dit de nous. Pour en venir au livre, je ne crois pas avoir déjà lu un recueil de poésie où cette impression s'est autant manifestée.

Autant le dire d'emblée, les trois-quarts des poèmes ne m'ont soit pas intéressé, soit carrément pas plu. On nage dans un délire absurde plus ou moins dense, dont le caractère poétique est loin d'être évident puisqu'il ne s'agit quasiment que de prose. On retient quelques thèmes récurrents : le mépris du corps, la confusion entre le réel et l'imaginé, la violence gratuite macabre, la personnification des concepts, la conceptualisation du concret. Beaucoup de têtes coupées, beaucoup de viscères qui volent, beaucoup d'assassinats cordiaux... On passe un bon moment. Il y a un travail sur la langue qui consiste à inventer des mots qui sonnent français pour traduire une idée assez floue, mais qui excellent à retranscrire leur caractère glauque. Invention également de tout un bestiaire plus ou moins fantastique qui aurait le mérite de révolutionner les collections d'un Muséum d'histoire naturelle fantasmé si le poète caractérisait lesdites espèces au lieu de les énumérer et de n'en donner que quelques traits comportementaux sous forme d'énigmes. le poète reconnaît lui-même, à la fin d'un texte particulièrement complexe, où les incohérences succèdent aux invraisemblances, qui occasionne chez le lecteur une lutte acharnée et souvent vaine contre la passivité, que les éléments naturels sont plus à même de comprendre son écriture que l'homme ; autant vous dire qu'on n'en sort pas bouleversé par une nouvelle vision du monde. On passe son temps à essayer d'établir un diagnostic sur l'état mental du poète, traversé de passions morbides, d'obscénités grotesques et de masochisme dépressif.

Les seuls passages que j'ai apprécié sont paradoxalement les moins poétiques de l'oeuvre. Ce sont les mésaventures absurdes de Plume, assez amusantes, où une naïve victime éternelle se laisse martyriser par une société qui semble incapable d'éprouver autre chose que de la haine à son endroit ; et le voyage en grande Garabagne, où l'on se croit au milieu d'un chapitre Du Livre des Merveilles de Marco Polo, qui consiste, selon un principe cher à la science-fiction, à imaginer les moeurs de peuples inconnus que le poète visite. Seule exception : le poème "Ecce homo", le tableau où j'ai dû m'arrêter, qui écrase complètement le reste du recueil pour moi et m'a bien rassuré à un moment où je commençais à me demander si je n'étais pas en train de tout détester par principe. On y trouve un regard plein de verve sur l'homme, avec un recul approprié et des images qui font mouche, et dont on saisit les références et les observations dans la société. Un bien beau poème rapide à lire, qui fait réfléchir et que j'invite à découvrir sans attendre.
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Ecce homo: l'un des grands textes de ce recueil.
« Ecce homo » sont les mots par lesquels Ponce Pilate présente au peuple le Christ couronné d'épines. Ce très long poème en prose constitue la fin du recueil Exorcismes paru en 1943. Comment s'étonner de sa noirceur, de la colère dont il témoigne, alors qu'il est écrit en plein conflit mondial, une guerre totale, monstrueuse, dont nul n'entrevoit encore l'issue. Cette vision amère de l'humain, de sa nature, de sa condition, de ses hauts faits et méfaits, malgré une fin quelque peu apaisée, sonne comme un jugement dernier.
Lien : https://www.youtube.com/watc..
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Citations et extraits (86) Voir plus Ajouter une citation
LES ÉMANGLONS
Mœurs et coutumes

Le travail est assez mal vu des Émanglons, et, prolongé, il entraîne souvent chez eux des accidents.
Après quelques jours d'un labeur soutenu, il arrive qu'un Émanglon ne puisse plus dormir.
On le fait coucher la tête en bas, on le serre dans un sac, rien n'y fait. Cet homme est épuisé. Il n'a même plus la force de dormir. Car dormir est une réaction. Il faut encore être capable de cet effort, et cela en pleine fatigue. Ce pauvre Émanglon donc dépérit. Comment ne pas dépérir, insomnieux, au milieu de gens qui dorment tout leur saoul ? Mais quelques-uns en vivant au bord d'un lac, se reposent tant bien que mal à la vue des eaux et des dessins sans raison que forme la lumière de la lune, et arrivent à vivre quelques mois, quoique mortellement entraînés par la nostalgie du plein sommeil.
Ils sont faciles à reconnaître à leurs regards vagues à la fois et insistants, regards qui absorbent le jour et la nuit.
Imprudents qui ont voulu travailler ! Maintenant il est trop tard.

VOYAGE EN GRANDE GARABAGNE - 1936
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Ecce homo Henri Michaux

Qu'as-tu fait de ta vie, pitance de roi ?

J'ai vu l'homme.

Je n'ai pas vu l'homme comme la mouette, vague au ventre, qui file rapide sur la mer indéfinie.

J'ai vu l'homme à la torche faible, ployé et qui cherchait.
Il avait le sérieux de la puce qui saute, mais son saut était rare et réglementé.

Sa cathédrale avait la flèche molle.
Il était préoccupé.

Je n'ai pas entendu l'homme, les yeux humides de piété, dire au serpent qui le pique mortellement : « Puisses-tu renaître homme et lire les Védas! »

Mais j'ai entendu l'homme comme un char lourd sur sa lancée écrasant mourants et morts,
et il ne se retournait pas.

Son nez était relevé comme la proue des embarcations Vikings,
mais il ne regardait pas le ciel, demeure des dieux ; il regardait le ciel suspect,
d'où pouvaient sortir à tout instant des machines implacables, porteuses de bombes puissantes.

Il avait plus de cerne que d'yeux, plus de barbe que de peau, plus de boue que de capote,
mais son casque était toujours dur.

Sa guerre était grande, avait des avants et des arrières, avait des avants et des après.
Vite partait l'homme, vite partait l'obus.
L'obus n'a pas de chez soi. Il est pressé quand même.

Je n'ai pas vu paisible, l'homme au fabuleux trésor de chaque soir
pouvoir s'endormir dans le sein de sa fatigue amie.

Je l'ai vu agité et sourcilleux.
Sa façade de rires et de nerfs était grande, mais elle mentait.
Son ornière était tortueuse. Ses soucis étaient ses vrais enfants.

Depuis longtemps le soleil ne tournait plus autour de la Terre. Tout le contraire.
Il continuait à s'agiter comme fait une flamme brûlante, mais le torse du froid,
il était là sous sa peau.

Je n'ai pas vu l'homme comptant pour homme.
J'ai vu « Ici, l'on brise les hommes ».
Ici, on les brise, là on les coiffe et toujours il sert.
Piétiné comme une route, il sert.

Je n'ai pas vu l'homme recueilli, méditant sur son être admirable.
Mais j'ai vu l'homme recueilli comme un crocodile qui de ses yeux de glace regarde venir sa proie et, en effet, il l'attendait, bien protégé au bout d'un fusil long.
Cependant, les obus tombant autour de lui étaient encore beaucoup mieux protégés.
Ils avaient une coiffe à leur bout qui avait été spécialement étudiée pour sa dureté,
pour sa dureté implacable.

Je n'ai pas vu l'homme répandant autour de lui l'heureuse conscience de la vie.
Mais j'ai vu l'homme comme un bon bimoteur de combat répandant la terreur et les maux atroces.

Il avait, quand je le connus, à peu près cent mille ans et faisait aisément le tour de la Terre.
Il n'avait pas encore appris à être bon voisin.

Il courait parmi eux des vérités locales, des vérités nationales.
Mais l'homme vrai, je ne l'ai pas rencontré.

Toutefois excellent en réflexes et en somme presque innocent : l'un allume une cigarette ;
l'autre allume un pétrolier.

Je n'ai pas vu l'homme circulant dans la plaine et les plateaux de son être intérieur,
mais je l'ai vu faisant travailler des atomes et de la vapeur d'eau, bombardant des fractions d'atomes, qui n’existaient peut-être même pas,
regardant avec des lunettes son estomac, sa vessie, les os de son corps
et se cherchant en petits morceaux, en réflexes de chien.

Je n'ai pas entendu le chant de l'homme, le chant de la contemplation des mondes,
le chant de la sphère, le chant de l'immensité, le chant de l'éternelle attente.

Mais j'ai entendu son chant comme une dérision, comme un spasme.
J'ai entendu sa voix comme un commandement, semblable à celle du tigre,
lequel se charge en personne de son ravitaillement et s'y met tout entier.

J'ai vu les visages de l'homme.
Je n'ai pas vu le visage de l'homme comme un mur blanc qui fait lever les ombres de la pensée, comme une boule de cristal qui délivre des passages de l'avenir,
mais comme une image qui fait peur et inspire la méfiance.

J'ai vu la femme, couveuse d'épines, la femme monotone à l'ennui facile,
avec la glande d'un organe honteux faisant la douceur de ses yeux.
Les ornements dont elle se couvrait, qu'elle aimait tant, disaient
« Moi.
Moi.
Moi ».

C'était donc bien lui, lui, toujours l'homme, l'homme gonflé de soi,
mais pourtant embarrassé et qui veut se parfaire et qui tâtonne,
essayant de souder son clair et son obscur.

Avec de plus longs cheveux et des façons de liane, c'était toujours le même à la pente funeste, l'homme empiétant qui médite de peser sur votre destin.

J'ai vu l'époque, l'époque tumultueuse et mauvaise travaillée par les hormones de la haine
et des pulsions de la domination,
l'époque destinée à devenir fameuse, à devenir l'Histoire, qui s'y chamarrerait de l'envers de nos misères, mais c'était toujours lui, ça tapait toujours sur le même clou.

Des millions de son espèce vouée au malheur entraient en indignation au même moment
et se sentaient avoir raison avec violence, prêts à soulever le monde,
mais c'était pour le soulever sur les épaules brisées d'autres hommes.

La guerre ! l'homme, toujours lui, l'homme à la tête de chiffres et de supputations sentant la voûte de sa vie d'adulte sans issue et qui veut se donner un peu d'air,
qui veut donner un peu de jeu à ses mouvements étroits, et voulant se dégager, davantage se coince.

La Science, l'homme encore, c'était signé.
La science aime les pigeons décérébrés, les machines nettes et tristes,
nettes et tristes comme un thermocautère sectionnant un viscère
cependant que le malade écrasé d'éther gît dans un fond lointain et indifférent.

Et c'étaient les philosophies de l'animal le moins philosophe du monde,
des ies et des ismes ensevelissant de jeunes corps dans de vieilles draperies,
mais quelque chose d'alerte aussi et c'était l'homme nouveau, l'homme insatisfait,
à la pensée caféinée, infatigablement espérant qui tendait les bras.
(Vers quoi les bras ne peuvent-ils se tendre?)

Et c'était la paix, la paix assurément, un jour, bientôt, la paix comme il y en eut déjà des millions, une paix d'hommes, une paix qui n'obturerait rien.

Voici que la paix s'avance semblable à un basset pleurétique et l'homme plancton,
l'homme plus nombreux que jamais, l'homme un instant excédé,
qui attend toujours et voudrait un peu de lumière...


Printemps 1943
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QUI JE FUS (1927)
L'ÉPOQUE DES ILLUMINÉS.

Quand le crayon qui est un faux frère ne sera plus un faux frère.
Quand le plus pauvre en aura plein la bouche, d’éclats et de vérité.
Quand les autos seront enterrées pour toujours sur les bords de la route.
Quand ce qui est incroyable sera regardé comme une vérité de l’ordre de « 2 et 2 font 4 ».
Quand les animaux feront taire les hommes par leur jacasserie mieux comprise et inégalable.
Quand l’imprimerie et ses succédanés ne seront plus qu’une drôlerie, comme la quenouille ou la monnaie d’Auguste l’Empereur.
Quand aura passé la grande éponge, eh bien ! sans doute que je n’y serais plus, c’est pourquoi j’y prends plaisir maintenant et si j’arrête cette énumération, vous pouvez la continuer.
Il ne faut pas se mettre en bras de chemise pour rompre une allumette, et le poteau indicateur reste dans son rôle en ne faisant jamais la route lui-même, et la vie est précieuse à qui en a déjà perdu 26 ans, et les cheveux tombent rapidement d’une tête qui s’obstine, et les pleurs ne viennent jamais que le travail une fois fini, et les genres littéraires sont des ennemis qui ne vous ratent pas, si vous les avez ratés au premier coup.
Il faut toujours être en défiance, Messieurs, toujours pressé d’en finir, le jurer et remettre son serment en chantier tous les jours, ne pas se permettre un coup de respiration pour le plaisir, utiliser tous ses battements de cœur à ce qu’on fait, car celui qui a battu pour sa diversion mettra le désordre dans les milliers qui suivront….

p.16-17
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LA RALENTIE


Oh! Fagots de mes douze ans, où crépitez-vous maintenant?

On a son creux ailleurs.

On a cédé sa place à l'ombre, par fatigue, par goût du rond. On entend au loin la rumeur de l'Asclépiade, la fleur géante.

…ou bien une voix soudain vient vous bramer au cœur.

On recueille ses disparus, venez, venez.

Tandis qu'on cherche sa clef dans l'horizon, on a la noyée au cou, qui est morte dans l'eau irrespirable.

Elle traîne. Comme elle traîne! Elle n'a cure de nos soucis. Elle a trop de désespoir. Elle ne se rend qu'à sa douleur. Oh, misère, oh, martyre, le cou serré sans trêve par la noyée.

On sent la courbure de la terre. On a désormais les cheveux qui ondulent naturellement. On ne trahit plus le sol, on ne trahit plus l'ablette, on est la sœur par l'eau et par la feuille. On n'a plus le regard de son œil, on n'a plus la main de son bras. On n'est plus vaine. On n'envie plus. On n'est plus enviée.

On ne travaille plus. Le tricot est là, tout fait, partout.

On a signé sa dernière feuille, c'est le départ des papillons.

On ne rêve plus. On est rêvée. Silence.

On n'est plus pressée de savoir.

C'est la voix de l'étendue qui parle aux ongles et à l'os.

Enfin chez soi, dans le pur, atteinte du dard de la douceur.

p.217-218
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EXTRAIT DE PASSAGES
DESSINER L'ECOULEMENT DU TEMPS

… Au lieu d’une vision à l’exclusion des autres, j’eusse voulu dessiner les moments qui bout à bout font la vie, donner à voir la phrase intérieure, la phrase sans mots, corde qui infiniment se déroule sinueuse, et, dans l’intime, accompagne tout ce qui se présente du dehors comme du dedans.

Je voulais dessiner la conscience d’exister et l’écoulement du temps. Comme on se tâte le pouls. Ou encore, en plus restreint, ce qui apparaît lorsque, le soir venu, repasse (en plus court et en sourdine) le film impressionné qui a subi le jour.

Dessin cinématique.

Je tenais au mien, certes. Mais combien j’aurais eu plaisir à un tracé fait par d’autres que moi, à le parcourir comme une merveilleuse ficelle à nœuds et à secrets, où j’aurais eu leur vie à lire et tenu en main leur parcours.

Mon film à moi n’était guère plus qu’une ligne ou deux ou trois, faisant par-ci par-là rencontre de quelques autres, faisant buisson ici, enlacement là, plus loin livrant bataille, se roulant en pelote ou ― sentiments et monuments mêlés naturellement ― se dressant, fierté, orgueil, ou château ou tour … qu’on pouvait voir, qu’il me semblait qu’on aurait dû voir, mais qu’à vrai dire presque personne ne voyait.

p.309
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Vidéo de Henri Michaux
Sacha Guitry, Victor Hugo, Henri Michaux, Raymond Devos... Tous ces noms furent les auteurs de textes illustres, qu'André Dussollier convoque et ressuscite sur la scène des Bouffes parisiens depuis le 18 janvier. Rencontre avec cet acteur à trois césars et récompensé du Molière du comédien.
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