Pangolin habite l'un de ces appartements sans grâce et sans soleil qui sont souvent le propre, si j'ose dire, de certains logis de médecin d'une crasseuse dignité. Le salon est vaste et terne, grisâtre ou verdâtre, mais certes ni vert ni gris; des meubles dépareillés y ont été entassés dans un souci de respectabilité professionnelle et un parfait dédain pour le bon goût. Des théories de patients ont lustré le velours rouge sombre des sièges, les bras des fauteuils luisent d'usure mais le piano à queue et quelques portraits d'aïeux, vrais ou faux, donnent à l'ensemble un air de gravité empesée. En revanche, les rideaux sont mous et sales. Je sais déjà que lorsque Pangolin ouvrira la porte de son cabinet je tomberai dans le faux Empire vert au cuir très culotté.
Il y aurait une thèse bien réjouissante à soutenir sur les appartements de médecin mais les psychiatres, au moins, devraient être assez psychologues pour savoir ce que peut représenter leur environnement aux yeux de la clientèle. Apparemment, Pangolin s'en soucie comme d'une guigne : son appartement manque de fantaisie, d'humour et de charme; il sent le pingre et l'omelette froide à trois heures de l'après-midi; l'air frais et les bombes désodorisantes doivent y être ordonnés avec parcimonie.
Comment est-ce arrivé ? Mon âme n'était pas spécialement exposée, je ne la portais pas en écharpe. D'ailleurs l'âme, quand tout va bien, allez donc la localiser. L'âme ne se révèle, ne se situe qu'en peine, en berne. Le mot lui-même est triste - ô chère âme, vague à l'âme -, triste comme les mânes.
Voyez le coeur : le coeur en fête, c'est joyeux, ça veut dire gaieté, bonheur. Vous imaginez l'âme en fête ? Non, quand on est en fête, l'âme flotte autour de vous, légère comme un ectoplasme, elle ne vous effleure même pas, c'est juste un halo qui délimite vos contours en mouvement comme dans les dessins animés ( anima-âme, on n'en sort pas ). Surgissent le malheur, la souffrance, alors l'âme entre en vous par la brèche et elle s'en paie, la garce, de son effacement passé. Elle s'étale, déborde, étouffe, torture.