Il aurait suffi d’un pas de plus pour que l’animal, porteur d’une énorme quantité de venin en raison de sa taille exceptionnelle, se détende comme un ressort pour mordre sa jambe nue. Elle serait morte sans même avoir le temps d’appeler à l’aide. Son pied, heureusement pour elle, resta en deçà de la distance fatale. Mais assez près, tout de même, pour amener le serpent à lancer un avertissement. Il ne tenait pas à attaquer cette étrange créature, tellement plus grosse que ses proies habituelles, mais il était prêt à le faire si elle approchait encore. Et il émettait un bruit si puissant et si insistant que la jeune femme s’immobilisa, pétrifiée par la crainte et la surprise : elle n’identifiait pas ce son et ne savait pas d’où il venait, mais elle sentait parfaitement qu’il la prévenait d’un grave danger.
Vous serez peut-être surpris d’apprendre, monsieur l’ambassadeur, que trois veuves vivent ici dans des studios après avoir occupé de luxueux duplex quand leurs époux étaient encore en vie. Pour ces pauvres femmes, la roue de la fortune a tourné dans le mauvais sens. Leurs époux n’étaient pas aussi riches qu’elles le pensaient, et qu’ils le croyaient eux-mêmes, et il ne leur est resté, une fois la succession réglée, que très peu d’argent pour subsister. Mais nous avons estimé que notre entreprise, après avoir réalisé dans un premier temps des bénéfices substantiels sur les pensions de ces couples, pouvait consentir des prix plus bas – très bas, en vérité, aux veuves dans le besoin.
Je trouve stupéfiant que notre société autorise, quand elle ne l’encourage pas, un système injuste qui pousse hors de leur profession de jeunes médecins comme moi, alors qu’on a tellement besoin d’obstétriciens. Ici même, à Chicago, nous sommes six, à peu près du même âge, qui avons renoncé à exercer. Certains abandonnent purement et simplement la médecine, d’autres s’orientent vers diverses spécialités. Nombreuses sont les femmes qui ne trouvent plus de médecin accoucheur. Peur, mensonge, faux témoignages… comment un système de santé peut-il fonctionner dans des conditions aussi lamentables ?
— Il n’y a qu’un python, pour être aussi gros !
Et d’en déduire qu’elle s’était laissé terroriser par le plus inoffensif des serpents. Elle n’insista pas : elle n’avait rien à gagner, en tant que fille, à contredire ces jeunes gens si sûrs d’eux et persuadés d’en savoir plus qu’elle. Mais elle savait parfaitement ce qu’elle avait vu, et entendu. Pendant le court et terrible instant où ils s’étaient regardés, elle avait eu tout le temps de juger de la taille du serpent, et elle savait qu’il était toujours là-bas, près de la mare aux eaux d’émeraude.
Les Américains ne sont pas à l’aise avec la mort. La seule idée de la mort fait trembler de peur la nation tout entière, du simple citoyen aux juges de la Cour suprême. C’est un acte que nous ne pouvons pas définir, contre lequel nous ne pouvons pas nous prémunir. Nous sommes incapables d’aider un tant soit peu les familles à y faire face. Ici, nous cachons la mort sous cet euphémisme : soins intensifs – comme si ce qui comptait était le fait de s’accrocher à la vie, et non de passer calmement de vie à trépas.
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Les livres dans l'ordre :
"Le dernier des Camondo" de Pierre Assouline, Éditions Folio
"Les Camondo ou L'éclipse d'une fortune" de Nora Seni et Sophie le Tarnec , Éditions Babel
"La rafle des notables" de Anne Sinclair, Éditions Grasset
"Pourquoi les Juifs ?" de Marek Halter, Éditions Michel Lafon
"Je rêvais de changer le monde" de Marek Halter, Éditions J'ai lu
"Ellis Island" de Georges Perec, Éditions POL
"Il est de retour"de Timur Vermes, Éditions 10/18
"Le charlatan" de Isaac Bashevis Singer, Éditions Stock
"La Source" de James A. Michener, Éditions Robert Laffont
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