À Tokyo, un homme dans un costume tout blanc (avec cape et masque) s'apprête à donner le coup de grâce au chef de la police. Il est assisté de 2 hommes. le chef de la police est ligoté et
Nemesis a annoncé qu'il l'exécuterait à 10h35. Pour passer le temps, il énumère les crimes qu'il a commis avant cette mise à mort finale : l'empoisonnement d'un réservoir d'eau, une attaque au gaz dans une salle de spectacle et le vol d'un bijou précieux. Cette scène se termine par un carnage provoquant la mort de plusieurs centaines de d'innocents. Deuxième scène : Blake Morrow (un policier haut gradé) se salit les mains en mettant un terme à une prise d'otages dans une effusion de sang (le sang des preneurs d'otages). À l'issue de son action d'éclat, un policier lui remet un carton indiquant qu'il est la nouvelle cible de
Nemesis qui a projeté de le tuer le 12 mars courant.
Nemesis arrive aux États-Unis et il commence par attaquer Air Force One.
Mark Millar (le scénariste) est devenu à la fin des années 2000, le roi de l'esbroufe dans le monde des comics. En 2008, il a créé Kick-Ass (dessiné par
John Romita junior) dont il a vendu les droits directement au cinéma avec le film réalisé dans la foulée (Kick Ass). Fort de ses succès passés (
Wanted également adapté en film, et Ultimates) Millar a le droit d'avoir quelques prétentions et Marvel a publié 2 de ses séries en 2010 ("
Nemesis" et "Superior" avec
Leinil Yu). "
Nemesis" correspond également à sa troisième bande dessinée avec
Steve McNiven, les 2 premières s'étant également classées dans les premières ventes (Civil War en 2006 et Old Man Logan en 2008/2009). Impossible d'ignorer un tel pédigrée.
À la lecture "
Nemesis" s'avère une histoire assez courte, complète, initialement 4 épisodes, soit environ 90 pages de bande dessinée.
Némésis est le nom de la déesse de la vengeance dans la mythologie grecque. le lecteur apprend rapidement (dans le premier quart) quelle vengeance lie les 2 personnages principaux. Millar a claironné partout que cette histoire correspond à une version de Batman s'attachant à faire le mal plutôt que le bien, dans un monde où il n'y a pas de superhéros. Effectivement, la première rencontre avec
Nemesis le montre portant ce costume de superhéros ou supercriminel, tout de blanc vêtu comme un double inversé de Batman avec son costume sombre. Cet élément place d'emblée ce récit dans le registre des superhéros (sans superpouvoir) avec une exigence assez élevée de suspension consentie de l'incrédulité. Ne vous attendez pas à du réalisme ou du plausible ; par exemple dans une scène d'action enlevée,
Nemesis conduit une voiture qui s'ouvre en 2 pour révéler une moto futuriste que
Nemesis pilote avec les mêmes commandes que celles de la voiture. Coté crimes, le lecteur est servi par un
Mark Millar en verve. le premier cité (l'empoisonnement d'un réservoir) évoque évidemment le méfait perpétré par le Joker lors de sa première apparition. Les suivants s'avèrent plus cruels et sadiques avec une volonté perverse de briser l'esprit des victimes. En ceci, Millar s'inscrit dans une longue tradition des comics dans laquelle une partie du plaisir de lecture dérive de la fascination pour la barbarie des crimes commis.
Millar construit son récit sur l'horreur des crimes perpétrés et sur des scènes d'action spectaculaires dans lesquelles McNiven peut s'en donner à coeur joie. Il compose ses pages sur la base de 3 à 6 cases, une mise en page assez aérée. Il s'est éloigné de l'encrage minutieux de Dexter Vines pour "Old Man Logan", pour un style un tout petit peu plus lâche avec une légère influence manga dans la représentation des mouvements (fluidité et rapidité). À la vue des pages, le lecteur peut constater les influences d'Akira dans la mise en scène des mouvements et des impacts, et les influences de Gary Frank dans les dessins des visages (Supreme Power). le résultat dégage une énergie impressionnante. Ses choix graphiques inscrivent fortement cette histoire dans la tradition des comics de superhéros : il n'y a qu'à regarder le repaire de
Nemesis pour contempler une variation de la Batcave. le lecteur contemple un aménagement souterrain spacieux qui abrite une voiture sur une plaque tournante, ainsi qu'un avion de chasse dans une autre salle. Cette pleine page est représentative du ton du récit : la fantaisie adolescente. Dans la réalité un tel déploiement de technologie nécessite une armée de techniciens assurant la maintenance. Dans cette histoire, il tombe sous le sens que toutes ses merveilles n'ont pas besoin d'entretien ou de contrôle technique. McNiven réalise des planches très agréables à regarder, efficaces, fluides et brutales, en mélangeant un réalisme sec avec des influences superhéros. Il s'amuse également avec le blanc immaculé du costume de
Nemesis pour faire apparaître les fines traînées de sang des victimes.
Ce tome constitue une lecture agréable bien ficelée avec une chute qui ouvre une nouvelle perspective sur les événements contés et des illustrations précises et pleines de vie. le récit s'éloigne des comics de superhéros pour s'inscrire dans le registre du thriller, avec quelques éléments trop gros pour y croire. À différentes reprises, j'ai eu l'impression que Millar avait calibré ses ingrédients pour contenter son coeur de cible, un peu comme des auteurs comme
Douglas Preston et
Lincoln Child composent artificiellement leur roman en insérant telle et telle scènes afin de plaire aux lecteurs (je pense par exemple à
Danse de mort qui sent plus une recette toute faite qu'autre chose).