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EAN : 9782363710376
128 pages
Pierre-Guillaume de Roux Editions (22/08/2012)
3.69/5   21 notes
Résumé :
Faut-il se lamenter sur le sort du roman français, quasiment absent de la scène internationale ? Pas si sûr quand on mesure à quel niveau d'abêtissement conduit le roman dit "international ". Ainsi Umberto Eco n'a-t-il pas hésité à "réécrire" Le Nom de la rose à l'intention des lobotomisés du Culturel : suppression des citations latines, passages amputés des descriptions, appauvrissement du vocabulaire. Un processus de vulgarisation où seul subsiste le scénario, en ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
L'Eloge littéraire d'Anders Breivik n'est pas ce dont on l'accuse : une justification des crimes de Breivik. Millet s'en défend dès le début du livre. En revanche, il explique ce qui a pu pousser un homme tel que lui à agir en son nom seul en allant au-delà de la facilité de dire : "C'est un fou, c'est un psychopathe". Je rejette d'emblée l'ironie du titre. Il n'est pas ironique, il est plutôt métaphorique de ce que l'auteur a exprimé dans la première partie de Langue fantôme.
Il n'y a pas le racisme bien pratique qu'on accole à Millet dans ce livre, et ce n'est pas seulement de la rhétorique ou de la sophistique. Sa question est simple, sa réflexion est la suivante : l'Europe est-elle en train de perdre ses racines chrétiennes, de l'accepter, et de perdre sa langue, donc sa littérature, du même coup?

Un passage sur le multiculturalisme et ce culte de l'exotisme chez soi est assez parlant, qu'il appelle "l'exotisme à domicile", quand quelqu'un se réjouit et admire la mosquée qui se dresse sur le sol norvégien au nom de la beauté du multiculturel.

En tout cas, ce passage résume assez bien ce qu'il a voulu dire :

“Breivik nous rappelle, d'une manière dont la signature dessert la pensée (ou même l'abolit), qu'une guerre civile est en cours en Europe. Mais quelle distance, par exemple, avec le suicide, non moins spectaculaire, qu'un Mishima opposa à la décadence du Japon moderne! Ainsi Breivik serait-il un symptôme de notre décadence plus qu'un révélateur de sens - ce sens de l'histoire dont l'Europe est en train de s'abstraire. Et la récente islamisation politique du Maghreb, de l'Égypte et bientôt de tout le Proche-Orient vient nous le rappeler, après que d'iréniques “experts” en géopolitique ou des écrivaillons fascinés par les révoltes salafistes, en Libye comme en Syrie, eurent prédit la renaissance démocratique et laïque de ces nations, tout en oubliant la puissance de la servitude volontaire autant que le discrédit que l'idéal démocratique ne cesse de jeter sur lui-même, dans une Europe qui a renoncé à l'affirmation de ses racines chrétiennes.”

Il relève aussi certaines contradictions de nos sociétés, qui ne condamnent pas tous les terrorismes de la même façon :

"Cesare Battisti, reconverti en écrivain "français", soutenu par la gauche caviar et étalant ses états d'âme, s'autoamnestiant avec autant de complaisance que le journaliste [du Monde] en met à l'interroger, l'extrême-gauche jouissant en Europe, notamment en France, le plus socialiste des pays européens, d'une faveur et d'une indulgence qui ne posent de problème de conscience à personne mais qui expliquent aussi l'acte d'un Breivik - notamment sa volonté de lutter contre la "marxisation" de l'Europe."

Millet évoque aussi, sans le développer, "l'illusion oxymorique d'un "islam modéré"".

Il est vrai qu'il se sert surtout de Breivik pour montrer qu'il est le symptôme de cette Europe en perte de repère. On reprochera tout de même qu'il évacue totalement la folie du personnage, de l'assassin. On peut rendre abstraite la figure de Breivik en en faisant le révélateur de ce malaise, mais cela est forcément pris pour de la provocation par la majorité des gens qui préfèrent, plutôt que de penser à la question qu'il soulève, se ruer sur le mot de "facho" et "raciste" qu'on applique à l'auteur pour oser parler d'un personnage qui en est un, de facho ou de raciste, sans hésitation, et dont je ne lirai pas la prose de 1500 pages qui doit être un déversement de haine sans nom. La maladresse est peut-être d'avoir osé utiliser métaphoriquement cette figure d'assassin et de se servir de son nom pour un titre.
Mais il valait mieux crier au loup pour ne pas être exclu de la bulle médiatique et bien-pensante, ce qu'ont fait Annie Ernaux et Tahar Ben Jelloun en tête! L'écrivaine est à l'origine d'un texte/pétition qui demande quand même la tête de Millet. Elle incarne, par cette action, tout ce qu'on peut dénoncer à propos du prêt-à-penser sur certains sujets tabous (bien que son texte soit une prise de position cohérente) :

La lettre-pétition d'Annie Ernaux contre Richard Millet dans le Monde du mardi 11 septembre 2012 a paru accompagnée de 109 noms de personnes que le journal, par une sorte de prudence atavique gagnée au fil des années, se garde bien de qualifier d'écrivains. Les signataires déclarent simplement :
"Nous avons lu le texte d'Annie Ernaux et partageons pleinement son avis." Il s'agirait donc d'une liste de lecteurs dont le premier d'entre eux est, par ordre alphabétique, Olivier Adam. Suivi de Philippe Adam. Il y a donc deux Adam, comme il y a deux Besson. Une troisième chose qui me rapproche d'Olivier, avec l'enfance en banlieue et les échecs au Goncourt. du reste, il n'y a aucun Besson dans cette liste. Les Besson et la délation, ça fait deux. Parmi les 107 noms qui restent, il y en a pas mal qui ne me disent rien, alors que depuis l'enfance je passe beaucoup de temps dans les librairies et les bibliothèques, la lecture étant une passion plus facile à assouvir que l'écriture : on n'a pas besoin d'avoir de talent. Qui est, par exemple, Patrick Bard ? Vu le prénom, ça doit être un quinquagénaire. Poète, essayiste ou romancier ? Tahar Ben Jelloun, je sais qui c'est : un ancien ami d'Hassan II bien connu dans les prisons marocaines pour son esprit démocratique. Mais Laurence Cauwet - la soeur du comique Cauet qui a modifié son nom pour éviter toute confusion ? -, Jean-Patrick Courtois, Céline Curiol, qui est-ce ? Si ce ne sont pas des écrivains, ce dont je suis presque sûr, il aurait fallu indiquer leur profession à côté de leur nom. Chloé Delaume, je sais qu'elle écrit parce qu'elle est mon écrivain préféré, mais je n'aurais jamais cru qu'elle signerait un jour un texte d'Annie Ernaux, qui est un écrivain lamentable, ainsi qu'il le sera démontré dans mon "Précis incendiaire de littérature contemporaine" à paraître chez Fayard en janvier 2013. Michèle Gazier, elle, je sais qui c'est : elle était naguère dans un état critique à Télérama. Bertrand Leclair, je l'ai rencontré à L'Idiot international de Jean-Edern Hallier, où il était secrétaire de rédaction. Il y a un livre de lui que j'ai bien aimé, il sera dans mon précis. Mais qui sont Bernard Desportes, Lydia Flem, Arlette Farge ? Liliane Giraudon, Jean-Louis Giovannoni, Jérôme Lambert ? Ce n'est pas possible que je ne connaisse pas leurs noms. C'est troublant. Ah, quelqu'un que je connais : Alain Mabanckou, écrivain congolais vivant et travaillant aux Etats-Unis. C'est l'un des rares, sinon le seul, signataires africains de cette pétition où ne figurent ni Emmanuel Dongala, ni Tierno Monénembo, ni Henri Lopes, ni Scholastique Mukasonga : le quatuor d'élite de la littérature francophone. Tito Topin a écrit des romans policiers, c'est un peu normal qu'il veuille faire la police de la pensée. Surprise : Didier Daeninckx absent de cette liste exhaustive de dénonciateurs qui restera dans l'histoire des lettres françaises comme la liste Ernaux. Je ne vois qu'une explication : Didier est décédé. Je présente toutes mes condoléances à sa veuve. Il y a une autre signature que je connais, c'est celle de Jean-Noël Pancrazi, le plagiaire de Jean Ferrat : "La montagne", chez Gallimard. le même éditeur que Millet, par surcroît. Jean-Noël appartient au jury Renaudot. L'autre jour, chez Drouant, il nous a expliqué que c'était la première fois qu'il signait une pétition, sans que je parvienne à comprendre si c'était une excuse. Il aurait pu en choisir une qui ne soit pas dirigée contre un écrivain auquel la justice de notre pays n'a manifestement rien à reprocher. Pourtant, que la montagne est bête.

Extrait du Point, signé Patrick Besson

En aparté : Olivier Adam, le neuneu de service avec sa littérature sociale qui fait pleurer dans les chaumières. C'est devenu son fond de commerce...
Parmi les signataires connus et non cités: Agnès Desarthe, Stéphanie Hochet, Le Clézio, Mazarine Pingeot, Delphine de Vigan et beaucoup d'autres...) Peut-être qu'ils s'offusquent plus des attaques contre le roman contemporain, duquel ils participent, que du texte sur Breivik? Il est permis de le penser, surtout quand on sent comme une revanche la participation de le Clézio à cette pétition (lui qui s'en prend plein la tête dans Langue fantôme ; sa signature devient là aussi illustration de ce qui est dénoncé dans cette disparition de la littérature).

Le texte d'Annie Ernaux peut se lire ici :

http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/09/10/le-pamphlet-de-richard-millet-deshonore-la-litterature_1758011_3232.html

Richard Millet ne réclame pas le débat, peut-être parce qu'il sait déjà que le débat sur cette question est impossible et n'amène à rien. A-t-on juste le droit de chercher à savoir pourquoi le roman est devenu ce qu'il est aujourd'hui, cette facilité, ce consommable? A-t-on le droit de s'interroger, sans être raciste, sur la civilisation européenne, son identité? Je veux bien admettre ceci, dit par Annie Ernaux :

"Balayons d'abord la prétendue ironie du titre que, selon l'auteur, les lecteurs, bouchés à l'émeri, n'ont pas perçue. Et pour cause, elle n'y est pas et on en chercherait en vain une once dans la suite du texte. On soupçonne l'adjectif "littéraire" de n'être là que pour la douane – la loi –, comme la précaution liminaire, réitérée plus loin par deux fois, dans laquelle Richard Millet déclare ne pas approuver les actes d'Anders Breivik. Et pour se mettre solidement à couvert, il ne craint pas d'user d'un sophisme tellement aveuglant qu'il a ébloui ses défenseurs : 1. La perfection et le Mal ont toujours à voir avec la littérature ; 2. Anders Breivik, par son crime, a porté le Mal à sa perfection ; 3. Donc, je me pencherai sur "la dimension littéraire" de son crime. Inattaquable. Saluez l'artiste qui se flatte d'isoler et d'extraire d'un criminel de masse sa seule "dimension littéraire"."

Il est vrai que la deuxième partie de l'essai ne traite pas spécialement de la littérature, mais le mot "littéraire" du titre n'est pas pour autant un prétexte si on le replace dans l'ensemble de l'essai : Annie Ernaux doit bien voir que c'est la deuxième partie de Langue fantôme, que l'exemple de Breivik vient illustrer socialement ou politiquement ce qui a été montré dans la première partie. Ce n'est pas un texte autonome, il se lit dans la perspective de la première partie, provocateur, oui, mais qui énonce des pistes de réflexion qu'on interdit de prononcer à voix haute.
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Cet essai commence par une constatation effrayante : Umberto Eco s'est rasé la barbe! Que voir dans ce geste? Une métaphore de ce qu'il a rasé de son roman, le Nom de la Rose. Il a voulu "rafraîchir l'oeuvre et se rapprocher des technologies et des générations nouvelles". C'est donc, comme l'écrit Richard Millet, "débarrasser le roman des mots anciens, des digressions philosophiques et du latin, soit de tout ce qui donnait une dimension ou une apparence littéraire à un roman qu'on qualifiera au mieux de populaire, au pire de best-seller international, et qui, aujourd'hui rasé, appartient à cette zone où la post-littérature (le roman international) rejoint la sous-littérature historico-occultiste anglo-saxonne de Dan Brown et consorts".
Le ton est donné. Pour Millet, Eco est un "bon indice de cette régression littéraire, de cette paupérisation".

Le style n'existe plus dans la production littéraire contemporaine qui se distingue par les "apocopes, aphérèses et phrases nominales". Comme il le dit, le "style (est) perçu comme étant de droite".
"Si la syntaxe n'existe plus, tout est permis, c'est-à-dire le pire", et l'idée est que "tout le monde peut ou même doit être écrivain."

Richard Millet réfléchit à ce qu'implique la littérature : la solitude, par exemple, et pas l'échange ou la communication, mots venant de verbes devenus intransitifs : on échange, on communique... Ce qui opère, c'est l'"intéressant".

"La France, naguère pays littéraire par excellence, n'est plus qu'une république bananière de la littérature." Il explique comment l'écrivain français est devenu inexistant aux yeux de la littérature mondiale, qu'on lui préfère les grosses productions américaines souvent issues d'un travail collectif (inverse du processus de la vraie création), les auteurs francophones qui pourtant, selon lui, ne sont doués qu'en poésie, parfois. Mai 68 a été le démantèlement de la langue : en voulant jouer la révolution, on a renoncé à la langue "dont l'ordre même a été contesté pour libérer l'élève d'un carcan prétendu normatif, coercitif même, tout comme celui-ci a été délivré de la chronologie et de la dimension gréco-latine, sinon chrétienne, de la langue."

Richard Millet montre aussi combien s'est dégradé le prix Nobel, critiquant le discours de remerciement de Vargas Llosa, fait de lieux communs et de politiquement correct, et Le Clézio en prend aussi pour son grade, ce qui me fait très plaisir puisque je trouve cet auteur totalement insipide :

"son style est aussi bête que naïve sa vision manichéenne du monde. On trouve plus de choses dans un paragraphe de Claude Simon qu'en tout un livre de le Clézio". A croire que la bien-pensance de sa littérature a mérité d'être reconnue mondialement par ce prix.
Il parle aussi de saganogaryfication de la littérature française qui a érigé en idole des écrivains comme Sagan et Gary, plus remarquables par leur vie, l'anecdote, que leur oeuvre. L'absence de style est incarnée, selon lui, par Houellebecq ("négligences, fautes, tournures argotiques ou familières, langue-miroir ou mouroir"), et par Carrère dont le Limonov est descendu en flèche ("puissant récit-spéculaire de l'écrivain que ne peut pas être Carrère").

Sans oublier que le multiculturalisme et l'immigration extra-européenne intensifient cet oubli, ce démantèlement de la langue française.

Je n'ai pas totalement fini, mais dans l'ensemble, ses réflexions me plaisent et je partage ses constatations pessimistes.


A suivre : Eloge littéraire d'Anders Breivik
Lien : http://edencash.forumactif.o..
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Certes ce n'est pas un manifeste littéraire, c'est un constat, et en tant que tel il est tristement vrai.
Les contradicteurs à la petite semaine peuvent s'ébrouer tant qu'ils veulent dans le marécage de leurs certitudes globalisantes et beugler leur aversion de l'identité des peuples, Millet met le doigt dans une plaie qui brûle: notre effacement.
Et quoi de mieux, pour éradiquer une culture, jadis phare de bien d'autres, que de la "déconstruire" (mot à la mode qui cache bien mal l'impuissance à faire son contraire: construire) ?
Aujourd'hui, il faut encenser la "rébellion" normative édictée par les cercles égocentriques littéraires parisiens et pourfendre la moindre dissidence.
Quant à ceux qui prétendent haut et fort que Millet n'a que le talent de sa "bêtise droitiste", songez qu'il a été l'éditeur, chez Gallimard, de l'un romans les plus accomplis du début de ce siècle : "Les Bienveillantes", de Jonathan Littell. Pas mal tout de même!
Enfin, si je ne partage pas sa défiance à l'endroit d'Eco (tout en déplorant que ce dernier ait eu la tentation de remanier son texte pour le rendre lisible aux paresseux), si la mise sur un piédestal de la langue française est à mon avis excessive (celle-ci a sa vie propre et évolue nécessairement: on ne saurait la panthéoniser), Millet a ce courage de soulever le tapis et d'y constater la poussière accumulée!
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Qu'est-ce que Richard Millet, dont les plus fins lecteurs louent les vertus romanesques tout en prenant grandement soin de les séparer, fort pudiquement, de ses essais, censés incarner tout ce que la bien-pensance parisienne, peinturlurée en élite, déteste ? Richard Millet est un cacographe et un imposteur et, comme tels, il ne peut faire beaucoup de mal aux docteurs en pureté qui, identiquement, tout comme lui mais de l'autre côté d'une barrière qu'un chaton pourrait escalader, sont des cacographes et des imposteurs.
Cacographe, Richard Millet l'est parce que ses essais sont mal écrits, ce qui n'est après tout guère étonnant si l'on comprend qu'ils sont, d'abord, mal pensés.
Lien : http://www.juanasensio.com/a..
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Intriguée par ces journalistes qui hier l'encensaient et aujourd'hui le brûlent. Parce que je doute de ces mêmes journalistes qui font du dernier livre d'un écrivain dépressif un chef d'oeuvre et la une de leur journal. Je n'avais pas envie de me contenter de quelques phrases bien tournées pour me faire ma propre opinion, d'un pseudo-débat ou il n'y a aucune argumentation...
Lien : http://sophiebib.blogspot.fr..
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
Cette mise au silence, Breivik l’avait sans doute redoutée, lui qui, avant de passer à l’action, avait pris soin de diffuser sur Internet un « compendium » de 1 500 pages : une sorte de manifeste dont les naïvetés, le caractère composite, la culture « Wikipedia », ne sont pas difficiles à souligner, et le rendent indigeste, quoique non dénué d’intérêt, par endroits, mais qui, ce manifeste, ne saurait se résumer à un violent refus du multiculturalisme, notamment de son fer de lance : l’islam.
[...]
Les choses ne sont pas aussi simples. Breivik est, au premier chef, un produit exemplaire de cette décadence occidentale qui a pris l’apparence du petit-bourgeois américanisé : enfant de divorcés, l’air d’un gendre idéal, il ne porte pas de piercing, de tatouages, de dreadlocks, de cheveux ras, ni de ces ridicules vêtements ethniques qui sont un des attributs de la jeunesse multiculturelle, avec un langage en décomposition, une inculture béate et un avachissement certain de la personne. Il est hétérosexuel ; il aime le snow-board, la bière Budweiser, les parfums Chanel, les chemises Lacoste (la marque, Spectaculaire oblige, a aussitôt protesté contre les photos sur lesquelles Breivik, en état d’arrestation, arbore, avec un étrange sourire, un polo muni de l’horrible petit crocodile, qui est un des emblèmes de l’infantilisme contemporain). Il a lu le Léviathan de Hobbes, le livre de Burke sur la révolution française, et 1984 ; on s’étonne de ne pas le voir mentionner la Société du Spectacle de Debord ou certains livres de Baudrillard. En bon enfant perdu, il s’est cherché des appartenances élargies : le Parti du Progrès (évidemment qualifié de « populiste et xénophobe » par la presse), la franc-maçonnerie, l’Ordre des Templiers d’Europe, ces deux dernières appartenances représentant, pour la première une des nombreuses dérives d’une démocratie pourtant éprise de transparence, et pour l’autre le kitsch du combat contre le multiculturalisme.

On peut donc dire que Breivik est un enfant de la ruine familiale autant que de la fracture idéologico-raciale que l’immigration extraeuropéenne a introduite en Europe depuis une vingtaine d’années, et dont l’avènement avait été préparé de longue date par la sous-culture de masse américaine, conséquence ultime du plan Marshall : du plan Marshall à la toute-puissance d’un Marché mondialisé, on peut suivre le mouvement par lequel l’Europe s’est déshistoricisée sur le plan économique, culturel et sans doute ethnique.
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“Breivik nous rappelle, d’une manière dont la signature dessert la pensée (ou même l’abolit), qu’une guerre civile est en cours en Europe. Mais quelle distance, par exemple, avec le suicide, non moins spectaculaire, qu’un Mishima opposa à la décadence du Japon moderne! Ainsi Breivik serait-il un symptôme de notre décadence plus qu’un révélateur de sens - ce sens de l’histoire dont l’Europe est en train de s’abstraire. Et la récente islamisation politique du Maghreb, de l’Égypte et bientôt de tout le Proche-Orient vient nous le rappeler, après que d’iréniques “experts” en géopolitique ou des écrivaillons fascinés par les révoltes salafistes, en Libye comme en Syrie, eurent prédit la renaissance démocratique et laïque de ces nations, tout en oubliant la puissance de la servitude volontaire autant que le discrédit que l’idéal démocratique ne cesse de jeter sur lui-même, dans une Europe qui a renoncé à l’affirmation de ses racines chrétiennes.”
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"La France, naguère pays littéraire par excellence, n'est plus qu'une république bananière de la littérature."
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“Nous écrivons seuls dans un monde en voie de surpopulation romanesque.”
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