Afin de vous inciter à le lire (et un peu comme une enquête policière commence par une énigme), Minkine vous pose une question au début du livre : « Quelle est la surface de «
La Cerisaie » ? » Ni des acteurs, ni des metteurs en scène de la pièce n'ont été capables d'y répondre. Or elle est donnée dans le texte, mais il faut la trouver ou plutôt la calculer. Ce n'est que la première pièce du puzzle.
Cette propriété fait plus de 1 100 hectares. Minkine fait la démonstration que l'on a absolument pas la même approche de la vie lorsqu'on a été élevé sur un domaine aussi vaste que dans une maison actuelle à l'horizon fermée, et, pas la même compréhension de la pièce et des personnages, en ignorant ce fait.
Puisque ce petit détail de plus de 1000 hectares, m'a échappé, qu'y-a-t-il d'autre dans l'oeuvre de
Tchekhov que je n'aie pas perçu ? Immédiatement cette question vous vient à l'esprit. Et on se laisse prendre par la lecture.
Pas à pas Minkine nous conduit dans le monde d'Anton Pavlovitch. Comme un guide, dans
une vieille maison, braque sa torche électrique sur des traces du passé que l'on n'aurait jamais remarquées, il vous explique pourquoi c'est là et à quoi cela servait, parce que le ça-va-de-soi de l'époque et la classe sociale des personnages ont disparus !
Il analyse les trois pièces et cherche à nous les montrer telles qu'il pense que
Tchekhov les a conçues. Il relève toutes les erreurs de mise en scène, de choix des acteurs, d'interprétation du texte. Pour cela il s'aide de la Correspondance du romancier.
Il veut nous démontrer que pour comprendre
Tchekhov il faut avoir un certains niveaux de culture sur cette époque-là et aussi en générale, culture que possédait l'aristocratie russe du 19e siècle,
Shakespeare,
Maupassant.. Pour regarder ses pièces il faut même connaître le jeu des acteurs d'il y a plus d'un siècle...
A travers l'exemple de trois pièces de
Tchekhov, dont le sens profond s'éloigne chaque jour un peu plus de nous, Minkine fait le procès de l'inculture actuelle. Mais, en même temps, il démontre aussi que la fin d'une génération c'est la fin de sa culture propre et que la suivante ne garde des générations précédentes que ce qui peut s'intégrer à sa nouvelle façon de voir le monde. Ainsi, par exemple, les pièces de Hugo ne sont-elles plus d'actualité.
En lisant Minkine on ne peut s'empêcher de penser à
Montaigne. Comme lui il s'adresse à ses lecteurs, mais surtout il comprend qu'une citation dans une pièce de théâtre ne peut être comprise que par un public averti tout comme
Les Essais ne peuvent pas être lu sans un solide appareil de notes.
Un tel livre ne se lit pas seul. Vous devez de front ouvrir ceux de l'auteur russe et même de bien d'autres :
Tourgueniev,
Maupassant,
Shakespeare... Minkine met la barre très haute, comme Lavillenie (ou Bubka), il oblige son lecteur à venir instruit ou à s'instruire le long du chemin.
Minkine redonne une épaisseur aux oeuvres de
Tchekhov, un poids. Non ce ne sont pas des pièces poétiques, elles sont, d'une certaine façon codées !
La leçon que l'on tire d'Une âme douce, c'est que l'on lit trop vite, que bien souvent le sens exact d'un texte nous échappe en même temps que certains détails. Finalement qu'avons nous compris d'
Eschyle?