Pierre Miquel, spécialiste incontestable de la Première Guerre mondiale, nous raconte ici la guerre des généraux, ceux qui commandèrent souvent des offensives meurtrières et bien peu efficaces au regard des résultats. Il montre aussi l'injustice criante frappant les simples soldats, fusillés parfois pour un rien, quand dans le même temps les généraux n'étaient pas ou peu inquiétés malgré leurs sanglantes erreurs.
Pour les évincer de leur commandement, Miquel parle de « mutation symbolique ». Jamais ils ne seront traduits en justice : « Les tribunaux militaires n'étaient pas faits pour eux ».
Et comme « en France, les généraux n'étaient pas seulement dominés par les politiques, ils tendaient par la force des choses à entrer dans leur jeu, ils en devenaient bien contre leur gré les complices », lorsqu'en Allemagne on avait affaire à une « dictature militaire de guerre », les politique les couvraient en se couvrant eux-mêmes.
On n'est plus à l'époque de la Révolution où les officiers qui avaient failli risquaient la guillotine. Ce qui, au commencement des hostilités ne plaît pas au gouvernement, qui entendait « la faire révolutionnairement, comme en 1793 » cette guerre. Cependant : « Jusqu'au 6 septembre 1914, près de trois cents soldats sont fusillés pour cause de déroute, après avoir comparu sommairement devant des cours martiales improvisées. le commandement a la main lourde pour la troupe, mais il ne fusille pas ses généraux. » Deux poids, deux mesures…
Notons aussi l'impéritie de certains fonctionnaires qui jugèrent bon d'ignorer, avant-guerre, l'artillerie lourde – comme le recours à l'industrie privée dans la production d'armes – contrairement aux Allemands ; ce qui sera « la principale faiblesse de l'armée » française. La ville de Maubeuge, entre autres, sous le tir incessant de l'artillerie lourde allemande, en fera les frais entre fin août et début septembre 1914. Cette ville pourtant fortifiée sera obligée de se rendre pour éviter un bain de sang inutile. Autre exemple, criant celui-là : le 21 février 1916, premier jour de la bataille de Verdun, face aux 7 000 canons allemands les Français n'opposent que…89 canons de 75 et 14 pièces lourdes !
Au-delà des manquements des généraux, ce livre montre leur insensibilité au sort des soldats, qui trinquent. Pour la seule année 1915, « Joffre avait accumulé cent jours d'offensives meurtrières. L'absence de résultats contre les lignes bétonnées allemandes, hérissées de barbelés, avait conduit le commandement français à changer fréquemment les chefs d'unité, sans jamais les condamner ».
Le même Joffre qui avait fait désarmer le fort de Douaumont avant la bataille de Verdun, exigeant, une fois tombé aux mains de l'ennemi pendant la bataille, qu'il soit repris aux Allemands, au prix de pertes humaines considérables. Que dire du Chemin des Dames, initiative mal préparée et effroyablement meutrière, sous le commandement du général Nivelle, qui avait reçu carte blanche du pouvoir politique ?
Malgré cela, un général « ne peut être sanctionné que par le renvoi : au pire le retour à la vie civile, au mieux le poste de l'arrière ».
Les poilus fusillés pour l'exemple s'en souviennent outre-tombe. Aussi, quelle hypocrisie que ces monuments exaltant les « morts glorieux » après coup, après les avoir traités comme de la chair à canons, sauf quelques officiers supérieurs plus vertueux, dont le général Pétain…
Une fois encore, le regretté
Pierre Miquel montre toute sa rigueur historique et son humanité dans cet ouvrage impeccable.