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EAN : 9782757833780
714 pages
Points (21/02/2013)
4.04/5   482 notes
Résumé :
Adam Ewing est un homme de loi américain, embarqué à bord d'une goélette partie de Nouvelle-Zélande et faisant route vers San Francisco, sa ville natale.

Il n'a rien à voir avec Robert Frobisher, lequel, un siècle plus tard, se met au service d'un compositeur génial pour échapper à ses créanciers.

Ni l'un ni l'autre ne peuvent connaître Luisa Rey, une journaliste d'investigation sur la piste d'un complot nucléaire, dans la Californie ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (101) Voir plus Ajouter une critique
4,04

sur 482 notes
Une adaptation cinématographique peut-elle nuire à l'appréciation d'un livre ?
En plus d'en pourrir la couverture — l'art de l'affiche de films s'étant depuis longtemps perdu — à l'occasion de son obligatoire ré-édition, peut-elle influencer l'image que l'on gardera d'un roman, même sans l'avoir visionnée, autre que leur stérile et mécanique comparaison ?

Dans ce cas, il n'est même pas la peine de les confronter : le visionnage de la bande-annonce ne faisant que confirmer ce que la fiche technique préfigurait, les Wachowski étant reconnus pour la sûreté et la constance de leur mauvais goût, acquis depuis le légendaire Matrix, dont l'esthétique publicitaire marquera pour des générations les lunettes de soleil et les téléphones Nokia ( paix à leurs âmes, moi qui leur suis resté fidèle… ), exploit d'agrégat de bonnes idées, tant visuelles que narratives, venant d'autres personnes, vilainement gâchées par certains codes manichéens du genre hollywoodien ( le sempiternel traitre, etc. ), mais qui reste malgré tout, et de très loin, leur meilleur oeuvre — hissée au rang de film générationnel, le tout-mercantilisme ne s'étant jamais aussi bien porté — le reste faisant office de défouloir pour maquilleurs, costumiers et scénaristes insomniaques.

Egalement « à grand spectacle », ce roman offre une kyrielle d'actions le long de ses six histoires gigognes, les liens les reliant plus ou moins ténus ; c'est sûrement là son principal défaut, abondamment relevé, alors que l'auteur avait réussi le plus dur : rendre chaque volet également intéressant et consistant, tout en y variant profondément le style, ce dont la traduction s'accommode très bien.

Ecueil de cette publicité, un certain bouche à oreille s'étant transformé en téléphone arabe : il n'existe pas plusieurs traductions ou versions françaises, simplement différentes couvertures, passant d'un sobre piano bâché à une effrayante et peu crédible bande de saltimbanques trop maquillés.
C'est la version originale qui est double : l'anglaise, puis l'américaine, retouchée postérieurement, faisant foi pour sa transposition dans notre langue.
Certains blogs, en sus d'autres coquilles dans leurs textes, ont colporté cette prétendue différence, elle qui ne s'arrête qu'aux apparences.

Le plaisir du divertissement de qualité est bien présent, servi avec une certaine finesse, loin des pièges de la post-modernité, chausse-trappes dans lesquels le cinéma est tombé, à se demander si on a lu le même livre…

Le talent de David Mitchell saute au visage, mais impossible de se départir de cette appréciation croisée, ou comment répondre à sa propre question : oui, l'âme de ce livre ( mais pas celle des horloges ) est entachée par sa balourde adaptation, dissipant le souvenir de ces pages tournées à toute vitesse, l'épilogue ne venant pas soutenir le générique de fin.
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Une fois n'est pas coutume, j'ai vu et adoré le film avant de lire le livre. du coup, hérésie suprême, j'avais peur d'être déçue par le livre ! Bien évidemment et heureusement, cela n'a pas été le cas, même si les deux oeuvres sont assez différentes.

Pour commencer, parlons de l'histoire. Ou plutôt, DES histoires. Car oui, ce livre est composé de six histoires, se déroulant à des époques différentes avec six personnages principaux.

Nous avons Adam Erwing, homme de loi du XIXème siècle ; Robert Frobisher, un talentueux compositeur en 1931 ; Luisa Rey, une journaliste dans les années 70 ; Timothy Cavendish, un éditeur dans les années 2000 ; Sonmi-451, une clone dans un futur pas si lointain ; et enfin Zachry, qui vit dans un futur post-apocalyptique.

Ces personnages sont bien sûrs liés, et on découvre comment au fil de la lecture.

Le grand talent de l'auteur est d'avoir réussi à écrire ces six histoires dans des styles complètement différents. du journal de bord au récit oral en passant par le roman épistolaire ou l'interview, chaque type de narration correspond parfaitement à l'époque où se situe l'histoire.

L'auteur a même fait évoluer la langue au cours des époques, passant du langage châtié de Erwing à celui, plus familier, de Cavendish, avant d'en inventer des évolutions possibles dans les deux époques futuristes. Cela donne une tangibilité incroyable à ces deux époques, même si le récit de Zachry en devient parfois difficile à comprendre (d'ailleurs, chapeau au traducteur, il a dû s'arracher les cheveux sur cette période ! ).

Bien que j'aie mes petits chouchous (Cavendish et Sonmi-451), toutes ces histoires sont aussi intéressantes les unes que les autres. le même thème revient dans chacune d'entre elles, à savoir la révolte contre une injustice, mais cette lutte est toujours racontée différemment, et de manière très talentueuse.

On a également une impression de fatalité, voire de pessimisme. Les gens peuvent peut-être changer des choses au cours de leur vie, mais l'humanité, elle, progresse dans une direction déterminée et rien de pourra dévier sa course.

Ce pessimisme est d'ailleurs à mon sens ce qui différencie le plus profondément le livre du film. En effet, les histoires ont été modifiées dans le film, notamment leurs fins, afin d'apporter une touche d'espoir que ne possède pas vraiment le livre.

Quoi qu'il en soit, j'ai adoré ce livre. Il n'est peut-être pas d'un abord très facile, surtout si l'on n'a pas vu le film, car on peut se demander où l'auteur veut en venir. de même, les changements d'époque sont parfois déstabilisants, le récit pouvant être coupé au beau milieu d'une phrase. Mais la récompense est à la hauteur de l'effort fourni, car il s'agit d'un roman vraiment riche et passionnant, et une expérience littéraire inoubliable.

Je pense que je vais beaucoup le faire lire autour de moi, et je vous le conseille chaudement, même (et surtout) si vous n'avez pas aimé le film.
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Pfiou... Quel choc !!

Cartographie des nuages… c'est le nom donné à son sextuor par Robert Frobisher en 1931. le jeune homme est installé dans le château de Zedelghem, et sert d'assistant au vieux Ayrs, un compositeur anglais de renom. Il écrit de longues lettres à son ami Sixsmith dans lesquelles il lui narre son quotidien et lui décrit les affres de la création musicale.

Et voilà qu'il découvre une moitié de livre qui l'intéresse fort, contant les pérégrinations d'Adam Ewing, homme de loi anglais qui voyage dans les Iles Chatham en 1850. Ce dernier assiste, impuissant et résigné, à l'esclavage pratiqué par des autochtones sur d'autres tribus. C'est la première histoire de ce livre incroyable qui m'a émue et captivée, un vrai coup de coeur !

Le ton est en effet donné dès le premier récit - il y en a 6, tour à tour drôles, tragiques, émouvants, dont 5 sont découpés en deux parties. Ces derniers sont tous imbriqués (vous découvrirez comment on passe de l'histoire d'Ewing à celle de Frobisher, puis Luisa Rey, Sonmi 451 et Zachry…), se passent à des époques différentes certes mais ont un commun des individus étrangement reliés par une tache de naissance, et mettent en lumière un destin individuel, un homme ou une femme ayant à lutter contre des événements plus ou moins dramatiques.

Qu'ils soient englués dans un monde terrifiant (qui peut prendre bien des aspects, de la maison de retraite à la société du futur) ou en butte à l'hostilité de leur milieu, chacun est seul. Luisa Rey, mon personnage préféré, combat une installation nucléaire dans les années 70, Sonmi 421 est un clone qui s'est rebellée et qui a découvert l'horrible destin de ses semblables, Cavendish est un vieux bonhomme mis au rebut dans une maison qui n'aurait rien à envier à l'établissement de Vol au-dessus d'un nid de coucou…

Le constat est donc amer. L'humanité est perdue. Il n'y a plus rien à en espérer pour la simple et bonne raison que personne ne tire les leçons du passé, chacun répète les mêmes erreurs. voilà, c'est un éternel recommencement.

La civilisation elle-même est un leurre. Il suffit d'un grand « boum » nucléaire pour que l'homme retourne à l'état de barbare. le récit "La croisée d'Sloosha pis tout c'qu' a suivi" est plutôt édifiant. C'est le seul qui soit "entier" et qui constitue le point d'orgue de cette histoire de l'humanité. C'est la réponse de Mitchell à la naïve question d'Ewing : "Prétendez-vous que la race blanche ne domine point par la grâce divine mais par le mousquet ?"

C'est un roman bourré de références ciné et littéraires si on sait lire entre les lignes, construit de manière brillante, qui m'a vraiment estomaquée. La traduction est excellente, cela a dû constituer un tour de force pour reproduire ces styles littéraires différents, SF, thriller, récit de voyage du 19ème, genre épistolaire et surtout le langage imaginaire de l'histoire centrale. Chapeau.

Génie et inventivité de l'écrivain qui imaginé toutes ces boites gigognes pour amener le lecteur à réfléchir sur nous, jeu de miroirs, voyage dans le temps qui laisse songeur. Je ressors étourdie de cette lecture, éblouie par la virtuosité de Mitchell et son implacable logique. Légèrement tempérée par la dernière phrase...

Le 13 mars sort l'adaptation ciné. J'ai vu le trailer récemment, en suis tombée amoureuse, je fonce le voir la semaine prochaine. Evidemment.
Lien : http://lectures-au-coin-du-f..
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Le livre de David Mitchell, Cartographie des nuages est paru aux éditions de l'Olivier.
J'ai beaucoup aimé ce livre si curieux par la construction et intéressant au niveau du récit qui fait s'entrecroiser plusieurs vies à des époques différentes. Si certaines de ces nouvelles sont situées dans le passé ou dans le présent, les autres appartiennent à la littérature de science-fiction .
Le protagoniste d'une des histoires, musicien, compose “un sextuor de solistes empiétant les uns sur les autres ” : piano, clarinette, violoncelle, flûte, hautbois, violon;”.
Ce qu'il en dit résume bien la construction de ce livre : ” Dans le premier mouvement, chaque solo est coupé par le suivant; dans le second, les soli reprennent successivement là où ils se sont interrompus.”
Effectivement il y a six histoires dans ce livre, six vies qui s'interrompent pour laisser place a une autre avant d'être reprises par la suite. “Véritable révolution ou simple procédé?” s'interroge l'artiste. Je ne saurais le dire mais en tous cas c'est une réussite.
“Chaque instrument parle une langue définie par une clé, gamme et couleur.” ajoute le musicien.
Ce qui est remarquable, en effet, c'est que chaque récit est comme une partition qui changerait de style selon le personnage, le siècle dans laquelle il vit, la destinée qu'il affronte. Chacun a une tonalité qui lui est propre, triste ou nostalgique, cruelle ou âpre, humoristique, férocement satirique, chacun est un prétexte a explorer une époque, à en saisir l'essence, en montrer les faiblesses, dénoncer les horreurs. Brillantes variations selon qu'il s'agit d'une femme ou d'un homme, d'une personne âgée ou jeune, de notre passé lointain ou récent, de notre présent ou de notre futur car David Mitchell s'essaie aussi à la science-fiction dans deux des récits. On s'intéresse aux personnages, on peut s'identifier à certains d'entre eux ou en rejeter d'autres selon notre sympathie pour eux car les récits sont prenants.
Piano : Adam Ewing rédige le journal de sa traversée du Pacifique. C'est un homme de loi américain, honnête et scrupuleux, bon croyant. Il manifeste parfois les préjugés de sa classe sociale et de sa religion mais son humanité, l'intérêt qu'il porte aux autres y compris aux indigènes des pays qu'il visite (nous sommes en Nouvelle-Zélande dans l'archipel de Chatham) le rendent sympathique. Nous sommes au XIXème siècle, colonisation, asservissement des races au nom de la religion et de la prétendue supériorité des blancs.
Clarinette : Robert Frobisher, rejeton d'une bonne famille anglaise, déshérité par son père, se met au service du grand compositeur Vivyan Ayrs trop malade pour continuer à composer. du château Zedelghem en Flandre il écrit à son ami Sixsmith des lettres datées de 1931. Rapports humains qui se fondent sur l'appartenance à une classe sociale et la fortune. Exalté, sans scrupules, cynique, voleur, il voue à la musique une passion qui le consume et qui représente ce qu'il a de mieux en lui. L'art paraît être la seule porte de sortie.
Violoncelle : Luisa Rey, journaliste américaine, idéaliste et courageuse, risque sa vie pour déjouer un complot nucléaire dans les années 70 en Californie. le récit montre la corruption du pouvoir qui n'hésite pas à sacrifier les êtres humains à l'argent et au profit.
Flûte : Timoty Cavendish vit dans un présent qui nous ressemble où les vieux sont enfermés dans des maisons de retraite, antichambres de la mort. Début inquiétant d'une déshumanisation, solitude.
Hautbois : Somni-451 est une clone. Dans la dictature où elle vit les clones sont des esclaves au service des Sangs-Purs. La liberté individuelle est niée. La science sans conscience a créé une société sans espoir qui fonctionne à la manière du nazisme en éliminant ce qu'il y a d'humain dans l'Homme.
Violon : Zachary, est un survivant de cette civilisation, dans un futur encore plus lointain, après la Chute c'est à dire après la destruction de la civilisation de Somni. C'est le retour à une forme de barbarie où prévaut la loi du plus fort dans une civilisation éclatée qui porte encore des traces de l'ancienne. Pourtant , la solidarité possible entre les peuples,est un léger espoir dans la survie de l'Humanité.
La langue parlée évolue avec les époques et il faut saluer la vive imagination et le style protéiforme de David Mitchell qui parvient même à créer un langage du futur, contemporain de Somni , et un autre contemporain de Zachary , ce dernier n'étant qu'une corruption de la langue parlée à l'époque de Somni.
Ingénieux aussi comment ces récits se transmettent de l'un à l'autre malgré l'éloignement dans les siècles et comment les personnages sont reliés entre eux par un fil qui assure la cohésion de l'ensemble.
Lien : http://claudialucia.blog.lem..
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En 600 pages, six histoires se déroulant sur plusieurs siècles se succèdent. Chacune pourrait être lue indépendamment des autres, tant l'auteur manie à la perfection les différents styles littéraires. Les intrigues, les personnages ont une valeur en eux-mêmes.
Cependant ce sont les échos entre elles qui révèlent le message philosophique du livre. La construction peut dérouter mais semble moins complexe que celle de l'adaptation cinématographique (que je n'ai pas encore vue) : cinq histoires sont scindées en deux, les premières parties se suivant dans un ordre chronologique. Au sommet du livre, l'histoire centrale est narrée dans son entier, puis les secondes parties des autres épisodes se succèdent de nouveau, cette fois dans un ordre antéchronologique. Cette construction en miroir permet de tisser des liens, explicites ou ténus, entre les protagonistes et leurs destinées.

Les histoires
1. Journal de la traversée du Pacifique d'Adam Ewing
Au XIXe siècle nous suivons les aventures néozélandaises et le voyage maritime d'Adam Ewing, homme de loi américain. Ce dernier, sous la coupe du douteux Dr Goose, voit croître son hypocondrie. Sur les îles Chatham, il apprend comment le pays a été colonisé, d'abord par les Maoris, peuple ayant décimé les pacifiques Morioris, puis par les Européens. Ewing se trouve obligé de protéger un esclave indigène, descendant des Morioris.
Le style soutenu reflète l'élocution d'un homme bourgeois de l'époque. Nous sommes en présence d'un journal de bord proche du roman d'aventures.

2. Lettres de Zedelghem
Dans les années 1930, un jeune Anglais arriviste, Robert Frobisher, s'introduit auprès d'un compositeur sur le déclin. Adopté par le vieil homme, il retranscrit sa musique. En même temps, il séduit son épouse et le dépouille de ses biens. Mais il se trouvera lui-même pris sous la coupe de son hôte. Frobisher raconte tout cela à son ami et amant Rufus Sixsmith. L'auteur suit ici la forme du roman épistolaire.

3. Demi-vies, la première enquête de Luisa Rey
Dans la Californie des années 70, une journaliste tente de mettre au jour un scandale industriel et financier autour d'une centrale nucléaire. Fait d'espionnage, de dossiers secrets, de meurtres sordides et de poursuites haletantes, cet épisode nerveux est construit comme un thriller.

4. L'épouvantable calvaire de Timothy Cavendish
Nous sommes de nouveau en Angleterre, à l'aube du XXIe siècle. Timothy Cavendish est un éditeur vieillissant. Il parvient à s'enrichir sur un fait-divers glauque, le meurtre commis par l'un de ses auteurs. Bientôt poursuivi par les frères de ce dernier, Cavendish se retrouve contre son gré enfermé dans une maison de retraite. Tout cela est narré par le personnage principal avec beaucoup d'ironie et d'humour noir.

5. L'oraison de Sonmi-451
Dans un futur relativement proche, le monde est devenu une dystopie dans laquelle l'argent et les gènes purs sont rois, dans laquelle Orwell et Huxley (et sans doute Bradbury également, bien que la référence n'apparaisse que dans le nom du personnage) sont des auteurs "utopistes".
La Corée domine la planète et son "Juche" impose une loi implacable. La consommation contrôle les humains, les objets ne sont plus nommés que par des marques.
Sonmi-451 est une clone destinée, comme tous ses frères, à une fonction précise (en l'occurence serveuse). Mais douée d'une conscience et d'une culture hors du commun, elle devient un objet d'étude pour étudiants frivoles avant d'être prise en main par l'Union, groupe terroriste. Sonmi se prend à souhaiter un bouleversement de l'ordre établi mais sera arrêtée dans un final particulièrement cynique.
Son ultime oraison est recueillie par un archiviste, historien du régime.
Nous sommes ici dans un univers de science-fiction et anticipation, empruntant aux auteurs cités plus haut mais aussi à des références plus récentes comme Matrix.

6. La croisée d'Sloosha et tout c'qu'a suivi
Après la Chute des civilisations, dans un futur apocalyptique, l'humanité est revenue au stade de la Préhistoire. Zachry vit à Hawaii avec sa famille, dans un monde de superstitions et de lutte contre les tribus voisines. Un jour, accoste sur l'île un navire de Prescients, seule communauté à garder en mémoire quelques infimes traces du passé. Une femme, Méronyme, se propose de rester six mois dans le village de Zachry dans un but ethnologique, beaucoup plus tragique en réalité.


Des fils explicites apparaissent entre les histoires. Ainsi, l'on retrouve des personnages de l'une à l'autre et à travers les époques, les héros connaissent l'un des épisodes narrés plus haut : Frobisher se passionne pour le manuscrit d'Ewing, son ami Rufus est un physicien qui oeuvrera aux côtés de Luisa Rey, l'histoire de la jeune femme fait l'objet d'un roman lu par Cavendish et ce dernier est le héros d'un film vu par Sonmi. Enfin, la clone devient la déesse des humains retournés à la sauvagerie primitive.
On assiste là à une mise en abyme, de livres (ou films) dans le livre, structure reprenant celle de la matriochka, plusieurs fois mentionnée dans le roman.

D'autres éléments reviennent peu à peu tout au long du roman et tissent la trame commune de ces histoires.
La Cartographie des nuages est d'abord un morceau à six voix, un sextuor, composé par Frobisher. Luisa Rey l'écoutera. L'expression même de "cartographie des nuages" revient dans la bouche de certains personnages, comme une réflexion sur la vie et les âmes.
De plus, nombre de situations se répètent comme des phrases musicales : traversée de villes par les personnages et prise de conscience de l'environnement, rapports entretenus avec le même type de caractères (médecin malveillant, famille absente, prêtre ou gourou d'une communauté) etc. L'intérêt du roman tient aussi en la découverte de ces répétitions.

Si les époques sont différentes, en apparence, les unes des autres, l'espace est en revanche le même : les côtes du Pacifique reviennent fréquemment (Nouvelle-Zélande, Californie, Asie) ainsi que l'île d'Hawaii tout comme la vieille Europe et un autre espace insulaire, l'Angleterre.

Enfin, une mystérieuse tache de naissance en forme de comète orne le cou des personnages à travers les siècles, incitant à s'interroger sur les liens entre eux.

L'interprétation métaphysique de la réincarnation des âmes se fait jour peu à peu, elle est explicitée dans l'épisode centrale, Zachry y croyant fermement : "les âmes traversent les âges comme les nuages traversent les ciels, pis leur forme, leur couleur et leur taille ont beau changer, ça reste des nuages, et c'est pareil pour les âmes" (p. 404)
Toutes ces répétitions, la solitude de ces personnages luttant contre un ordre, le sextuor de Frobisher et les nombreuses impressions de déjà-vu ou les pressentiments tendent à aller dans ce sens.
Le roman mettrait en scène toujours le même protagoniste. le film ferait apparemment davantage de liens, mettant en scène ces réincarnations pour l'ensemble des personnages, pas seulement les héros, notamment en attribuant plusieurs rôles à un même acteur. Cela est moins clair dans le roman, même si quelques indices tendent à prouver que ce sont les mêmes âmes qui se côtoient au fil des siècles.

La Cartographie des nuages est une véritable réflexion sur l'humanité, sa nature et son devenir. le dernier épisode est très didactique à ce sujet, un peu trop peut-être.
Il apparaît que l'Homme vise en permanence à assouvir sa soif de domination, à asservir dans la destruction et la violence. Comme un leitmotiv, ces relations reviennent : Européens et indigènes, Maoris et Morioris, hommes et femmes, sang-purs et clones, continents entre eux, ethnies entre elles, vieux et jeunes. Des renversements s'opèrent parfois : ainsi l'Asie prendra le pouvoir face à des Américains boat-people et les Prescients du futur sont noirs. Mais sans cesse les plus faibles sont renversés, au nom de doctrines racistes, d'un pseudo ordre naturel ou d'intérêts politico-financiers. David Mitchell reprend des éléments historiques (colonies, guerres mondiales, Guerre Froide), parfois de façon cryptée, comme la mise à mort industrielle des clones destinés à devenir du savon, référence évidente aux camps de concentration.
Les relations personnelles sont la plupart du temps également corrompues et soumises à l'intérêt égoïste de chacun.
L'environnement, l'animal sont eux aussi victimes de l'Homme.

La vérité ne semble pas exister face aux croyances et aux dogmes construits, réinventés pour être imposés. Si la lutte peut émaner de consciences individuelles (incarnées par les six personnages), elle paraît vouée à l'échec tant le pouvoir, l'esclavage et la manipulation des masses prévalent. L'Histoire passée n'est qu'une interprétation a posteriori, le futur une projection.
L'humanité ne court pas à sa perte nous dit l'auteur, car elle y est déjà, elle s'y est toujours complu, à cause de sa nature.


La Cartographie des nuages, David Mitchell, 2007, Editions de l'Olivier (traduit par Manuel Berri). Version originale : Cloud Atlas, 2004
Lien : http://los-demas.blogspot.fr..
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critiques presse (1)
SciFiUniverse
04 mars 2013
C’est l’histoire d’un livre, qui parle d’un livre, qui parle d’un livre, et qui nous projette aussi en plein interrogatoire, dans un monde futuriste et complètement fou.
Lire la critique sur le site : SciFiUniverse
Citations et extraits (127) Voir plus Ajouter une citation
Mes aventures dernières me rendent philosophe, notamment à la nuit tombée, lorsque je n'entends que le bruit du ruisseau qui réduit les rochers en cailloux dans une tranquille éternité. Ainsi voguent les pensées. Les érudits relèvent les mouvements de l'histoire puis en déduisent des règles régissant l'avènement et le déclin des civilisations. Cependant, ma croyance est tout autre. À savoir, que l'histoire n'admet aucune règle : seuls les résultats importent.
Ce qui provoque des résultats ? Les agissements, vils ou vertueux.
Ce qui provoque les agissements ? La foi.
La foi est victoire et bataille ; elle siège tant en l'esprit qu'en son miroir : le monde. Si nous avons foi en ce que l'humanité est semblable à une échelle que gravissent les tribus, un Colisée où sévissent le conflit, l'exploitation d'autrui et la sauvagerie, pareille humanité sera assurément amenée à exister, et tous les Horrox, Boerhaave et Goose de l'histoire l'emporteront. Vous et moi qui sommes aisés, privilégiés, fortunés, ne devrions pas souffrir dec ce monde, chanceux que nous sommes. Grand bien nous fasse si notre conscience nous démange : pourquoi renoncer à la prédominance de notre race, de nos flottes, hêritage et legs ? Pourquoi lutter contre le "naturel" (ô perfide mot) ordre des choses ?
Pourquoi ? En voici la raison : un beau jour, un monde totalement voué à la prédation brûlera de lui-même. Et j'ajoute que le Diable procédera du moindre au majeur, jusqu'à ce que le majeur devienne moindre. À l'échelle d'un individu, l'égoïsme enlaidit l'âme ; à l'échelle humaine, l'égoïsme signifie l'extinction.
Notre perte serait donc inscrite en notre nature ?
Si nous avons foi en ce qu'il demeure possible à l'humanité de transcender ses crocs et griffes, si nous avons foi en ce que des hommes de races et de croyances diverses sauront partager la planète et rester en paix, à l'image de ces enfants juchés sur leur kukui, si nous avons foi en ce que les dirigeants doivent être justes ; que la violence doit être muselée ; le pouvoir, responsable ; et les ressources de la Terre et de ses océans, équitablement réparties, alors ce monde-là verra le jour. Je ne me fais point d'illusions. Parmi les possibles, celui-ci est le plus difficile à concrétiser. De laborieux progrès obtenus sur plusieurs générations menaceront à tout instant de disparaître sous la plume d'un président myope ou l'épée d'un général vaniteux. (p712, Ewing)
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Exposition: on peut illustrer les mécanismes du passé réel + virtuel à travers les mécanismes d'un évènement connu de l'histoire collective, ex. le naufrage du Titanic. La catastrophe telle qu'elle s'est réellement déroulée sombre un peu plus dans les ténèbres à mesure que disparaissent les témoins du drame + périssent les documents + se dissout l'épave du paquebot dans son tombeau Atlantique. D'autre part, le naufrage virtuel du Titanic, qui prend corps à travers des souvenirs réarrangés + articles + on-dit + récits fictifs - bref: des croyances -, gagne en "véracité". Le passé réel est très délicat; il s'obscurcit en permanence, toujours plus difficile à retrouver + à reconstruire. A l'inverse, le passé virtuel est malléable, toujours plus lumineux, et sa supercherie devient toujours plus difficile à déceler / démontrer.
- Le présent fait un usage détourné du passé virtuel afin d'entretenir ses propres mythes + justifier l'imposition d'une volonté. Le pouvoir est l'entité qui recherche + incarne le droit d'"aménager" le passé virtuel (celui qui rémunère l'historien impose sa loi).
- Par symétrie, il existe également un futur réel + virtuel. Nous imaginons à quoi ressemblera la semaine prochaine / l'année prochaine / l'an 2225: un futur virtuel composé de nos désirs + prémonitions + rêveries. Ce futur virtuel est susceptible d'influencer le futur réel, ex. une prophétie qui s'accomplit à force qu'on s'y est préparé. Mais de même que demain éclipse le jour présent, le futur réel éclipsera le futur virtuel. Comme l'utopie, futur + passé réels appartiennent à un vague pays lointain où ils ne nous sont d'aucune aide.
- Q: Y a-t-il un trait distinctif entre le jeu des voiles + miroirs + ombres du passé réel et l'autre simulacre de nature identique que constitue le futur réel ?
- Un modèle du temps: une infinité de poupées gigognes d'instants figés, où chaque poupée (le présent) est enfermée sous une série de poupées (les présents précédents) que je nomme passé réel mais que nous percevons comme le passé virtuel. La poupée qui correspond à "maintenant" renferme une série de présents à venir, que j'appelle futur réel mais que nous percevons comme le futur virtuel.
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Une fois votre passage initiatique dans le monde de la vieillesse effectué, la société ne veut plus de vous. De par notre simple existence, nous autres, j'entends quiconque ayant dépassé la soixantaine, commettons deux infractions. La première est le manque de vitesse. Nous conduisons, marchons, parlons trop lentement. L'humanité traite avec les dictateurs, les pervers et les barons de la drogue, mais ralentir son allure ? C'est inacceptable !
La seconde tient au fait que nous incarnons le memento mori de tout un chacun. Tant que nous restons invisibles, le monde continue à trouver la paix dans un refus naïf de la mort.
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Un beau jour, un monde totalement voué à la prédation brûlera de lui-même. Et j'ajoute que le Diable procédera du moindre au majeur, jusqu'à ce que le majeur devienne moindre. A l'échelle d'un individu, l'égoïsme enlaidit l'âme; à l'échelle humaine, l'égoïsme signifie l'extinction.
Notre perte serait donc inscrite en notre nature ?
Si nous avons foi en ce qu'il demeure possible à l'humanité de transcender ses crocs et griffes, si nous avons en ce que des hommes de races et de croyances diverses sauront partager la planète et rester en paix, [...], si nous avons foi en ce que les dirigeants doivent être justes; que la violence doit être muselée; le pouvoir, responsable; et les ressources de la Terre et de ses océans, équitablement réparties, alors ce monde-là verra le jour. Je ne me fais point d'illusions. Parmi les possibles, celui-ci est le plus difficile à concrétiser. De laborieux progrès obtenus sur plusieurs générations menaceront à tout instant de disparaître sous la plume d'un président myope ou l'épée d'un général vaniteux.
Me dévouer à la construction d'un monde que je veux léguer à Jackson, et non point celui que je le crains voir hériter, voilà ce à quoi la vie vaut la peine d'être vécue.
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Trois ou quatre fois seulement dans ma jeunesse, j'ai entrevu les îles de la joie avant que les brouillards, dépressions, fronts froids, vents mauvais et courants contraires ne les emportent...Croyant qu'il s'agissait des terres de l'âge adulte, je pensais les revoir au cours de mon périple; aussi ne pris je pas la peine d'en enregistrer ni la latitude, ni la longitude, ni la voie d'approche. Jeune et fieffé crétin. Que ne donnerais je aujourd'hui pour obtenir une carte définitive d'un immuable ineffable? Posséder, si pareille chose existait, une cartographie des nuages.
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Quel plaisir d'accueillir à Marseille le surdoué des lettres britanniques, l'un des écrivains les plus originaux du moment, auteur d'une oeuvre inclassable d'où surgissent des sortes de méta-romans qui naviguent entre les genres littéraires. David Mitchell est avec nous pour son dernier opus, qui réussit une fois de plus le pari de nous surprendre. Car ce n'est pas spontanément sur le terrain du rock et des Swinging Sixties que l'on attendait celui qui fut l'un des scénaristes du dernier Matrix, compagnon des Wachowski qui ont adapté au cinéma l'un de ses romans les plus célèbres, Cartographie des nuages (Cloud Atlas sur grand écran). Londres, 1967. Dans l'effervescence de la culture pop et de la minijupe, se crée Utopia Avenue, un improbable groupe de folk-rock psychédélique, « the most curious British band you've never heard of », dont on va suivre l'ascension fulgurante (et bien sûr la chute calamiteuse). Managé par Levon Frankland, dont le chapeau en fourrure et les lunettes bleues le rangent d'emblée dans la case « queer beatnik », ce groupe fictif se compose de la chanteuse folk Elf Holloway, à l'évidence taraudée par sa sexualité ; du bassiste Dean Moss, empêtré dans un passé familial traumatique ; de Jasper de Zoet, dont le génie à la guitare est perturbé par des hallucinations auditives qui l'amèneront à fréquenter une étrange clinique ; et du batteur Griff, dont on ne sait pas grand chose… On plonge avec frénésie dans une ville où le sexe est partout, où le LSD circule librement dans les clubs et les studios, croisant avec jubilation Syd Barrett, Leonard Cohen, Francis Bacon ou Janis Joplin. Un vent de liberté souffle sur Londres, même si le père d'Elf lui rappelle que sa banque n'emploie pas de femmes mariées, et même si la propriétaire de Dean, qui l'a mis dehors, affiche sur la fenêtre un panneau indiquant qu'elle ne loue ni aux Noirs ni aux Irlandais… Un grand roman aux accents de biographie rock, comme une série d'albums composés de chansons qui vous trottent longtemps dans la tête…
__ Un entretien avec David Mitchell (https://ohlesbeauxjours.fr/programme/les-invites/david-mitchell/) animé par Yann Nicol (https://ohlesbeauxjours.fr/programme/les-invites/yann-nicol/), traduit de l'anglais par Valentine Leÿs et enregistré en public au théâtre de la Criée à Marseille, en mai 2022 lors de la 6e édition du festival Oh les beaux jours !.
__ À lire
David Mitchell, Utopia Avenue, traduit de l'anglais (Royaume-Uni) par Nicolas Richard, L'Olivier. En librairie le 20 mai 2022.
__ Montage : Clément Lemariey Voix : Nicolas Lafitte Musique : The Unreal Story of Lou Reed by Fred Nevché & French 79 Un podcast produit par Des livres comme des idées (http://deslivrescommedesidees.com/).
__ La 7e édition du festival Oh les beaux jours ! (https://ohlesbeauxjours.fr/) aura lieu à Marseille du 24 au 29 mai 2023.
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