Ces onze récits constituent un tome 2 à un tome 1 où je suppose doit figurer le récit éponyme. Evidemment, ces petites histoires sont indépendantes entre elles, même si on retrouve très souvent le personnage de M. Yamada, un homme un peu falot, pas bien riche, une sorte de Japonais moyen comme cela pourrait être un Français moyen. Les thématiques sont diverses et variées. On y retrouve des
yokaïs et monstres, univers fétiche de
Shigeru Mizuki sur lesquels il a fait sa réputation, mais il explore aussi les travers de l'âme humaine et les délices et affres de nos sociétés de consommation modernes.
« Les premiers grains de riz » nous conte comment il y a 2 000 ans, instruits par un mystérieux voyageur, deux jeunes frères jumeaux d'un village japonais vont s'aventurer, avec risques et périls, dans une contrée où ils trouveront la graine miracle qui permettra d'assurer l'auto-subsistance alimentaire des populations : c'est l'introduction du riz omniprésent dans le repas japonais.
« Les insectes extra-terrestres » nous ont été involontairement rapportés par les astronautes posés sur la lune. Un gamin curieux en attrape, et va les relâcher dans la nature. Mais ils se mettent bientôt à construire tout un monde en miniature ! En terriblement accéléré, ils vont franchir toutes les étapes de ce que l'Homme a pu créer, jusqu'à fabriquer leur petite arme nucléaire…Le gamin et son père vont être les spectateurs stupéfaits de leur autodestruction…Comme une parabole de ce qui attend l'Humanité ?
« Nekomata », c'est un chat sauvage mutant à queue fendue, qui dit-on aurait le dangereux pouvoir d'égarer l'esprit humain. Un jeune homme va se trouver entraîné par son désoeuvré voisin sur une île, en quête de vieille ferraille militaire à revendre. Des tempêtes les bloquent seuls sur l'île. le voisin n'y tenant plus, se faire rôtir un chat qui passait par là...Puis ne se sent pas bien…Nekomata prend peu à peu possession de son corps. Un récit qui flirte avec l'horreur…Et qui ramène
Mizuki à ses chers monstres !
« le gamin de la télé » apparaît systématiquement dans les publicités télé pour manger les gâteaux et sucreries qui y sont présentées. Dans les foyers, tous les enfants en restent baba et envieux. le gamin avait vu apparaître un jour dans sa télé une petite graine…d'où est sorti un minuscule bonhomme qui lui a permis d'entrer dans la télé pour y attraper plein de bonnes choses ! Depuis, le garçon se régale, tout en rapportant par générosité des cadeaux pour ses camarades…Une illustration par l'absurde de la révolution qu'a constituée l'arrivée de la télé dans les foyers, avec son lot de réclames, et le début de l'ère de consommation de masse.
Dans « L'héritage » un vieil homme très riche, à l'approche de la mort et sans héritier, propose à un jeune homme de lui léguer sa fortune, à condition de reprendre aussi son nom : Takeshi Hayashi, Docteur et célèbre auteur du best-seller « le livre du cerveau pourrissant ». le jeune homme accepte le marché, mais va vite déchanter, forcé de prendre le vieux corps d'Hayashi, pour lui laisser le sien…Un thème classique, repris, avec plus de succès après le court intermède visuel de « L'histoire de l'île », dans « Animalus economicus », où Yamada, avec la complicité d'un ami chirurgien esthétique, va échanger sa vie terne de petit employé avec celle de son riche patron. Qui dit échange de vies dit aussi échange de maisons, et surtout de femmes. Et quand il s'agit de revenir en arrière, on comprend bien que l'une d'elles entend bien ne pas revenir à 100% en arrière !
« Une foule monstre » est un pur cauchemar, une grande réussite avec son thème classique de « ils sont parmi nous ». Dans un bar, un homme se laisse aller à une confidence auprès d'un ami, sa femme est un monstre, il veut la fuir. Fauchés, ils s'enfuient sans payer et se réfugient dans les égouts…où ils vont tomber sur la femme en question, qui a tout l'air d'une humaine, et son inquiétante famille…Notre homme n'aurait jamais dû parler, et son comparse va se retrouver piégé…Cela fait froid dans le dos.
« La boule de cristal » est délicieusement délirante. Yamada, toujours lui, déterre dans son jardin avec l'aide de son chien une étrange boule de verre, dans laquelle il voit un monde de femmes lascives. A force de volonté autoréalisatrice, il est happé par la boule, et se retrouve bientôt aux prises avec un monde exclusivement féminin, où les femelles ne voient débouler un mâle que très exceptionnellement. Il devient littéralement leur esclave sexuel, obligé de les faire jouir toutes. Epuisé et poursuivi, il va finir par s'échapper de cet enfer sexuel…
Dans « Un avenir porteur d'espoir » notre brave Yamada se retrouve cette fois projeté dans le Tokyo de 2066…où les arbres naturels ont disparu, au profit d'arbres en plastique, où l'on doit payer pour tout, qui un péage piéton à un robot, qui à une femme pour avoir eu le plaisir de regarder son visage un instant…Tout le monde déambule en somnambule, grands et petits…et on parle bien d'adultes. Les grands ont les moyens de vivre dans de grands logements, les petits sont de condition modeste et vivent dans de petits logements, de plus en plus petits…et Yamada va préférer ne pas s'attarder, car les petits ont faim…Une terrible vision de l'avenir, peut-être bien prémonitoire…
Enfin, dans « le combat d'une vie », Yamada est confronté toute sa vie au surgissement dans son dos d'un esprit qu'il est le seul à voir…Ami ou ennemi, c'est assez variable, mais aliénant, c'est sûr…Surtout quand Yamada apprend que son père artisan a été poursuivi toute sa vie par ce même esprit, et que lui-même constate sur son lit de mort que son fils devra aussi se le farcir…tel le sparadrap du capitaine Haddock !
Shigeru Mizuki est génial, il ne force pas tellement la précision du dessin, ne s'embarrasse pas à créer des personnages variés, réutilisant à l'envi le stéréotype de Yamada. On peut même ajouter que l'attaque de l'histoire est souvent non crédible, absurde, ésotérique…Et pourtant, cela marche admirablement, tellement l'auteur est à l'aise avec tous les sujets. Horreur, science-fiction, sujets de société sont traités avec clairvoyance, rythme et humour. Pas de doute,
Mizuki est malin, et ses histoires assez jubilatoires !
De quoi donner envie de faire le chemin à rebours et découvrir le tome 1 !