Avant d'envisager toute critique sur ce manga on ne peut plus sérieux, il faut resituer des éléments de contexte ayant présidé à sa création. D'abord,
Shigeru Mizuki, mort il y a une dizaine d'années à l'âge vénérable de 93 ans, a été soldat japonais durant la seconde guerre mondiale, et y a perdu le bras gauche (et il était gaucher). Ensuite, cette oeuvre a été publiée au Japon en 1972, dans un but pédagogique, tant pour les enfants que les adultes, pour bien rappeler à tous les Japonais, qui trop souvent ne connaissaient de la guerre que le conflit en zone pacifique contre les Américains, qu'ils avaient été alliés au plus grand criminel de l'Histoire.
Personnellement, je trouve que c'est une grande réussite. En deux heures de lecture captivante, le lecteur découvre avec avidité le solide travail du mangaka, qui s'est remarquablement documenté. Porté par un trait d'une précision et d'une expressivité redoutable, sans surcharge inutile, il brosse un portrait du Führer à la fois ignoble, et cependant, je le dis avec toute la prudence qui s'impose, avec une âme humaine. Car s'il déploie bien les excès que tous nous lui connaissons, tyrannique, impatient, mégalomane, hystérique, violemment antisémite, liste non exhaustive,
Mizuki s'attache à montrer l'homme dans toute sa vérité nue, sous toutes ses facettes. Avant d'être un dictateur, c'est un homme. Pitoyable sous bien des aspects, raté, aigri, vicieux, menteur, mais aussi ayant un rapport compliqué avec les femmes (amoureux de sa nièce Geli, il exerce une emprise sur elle, lui interdit de se laisser approcher par des hommes, et sera responsable de son suicide), et facilement déprimé, en proie au désespoir, à l'accoutumance à des médicaments et drogues.
Mizuki finalement ne cherche pas à juger, à prendre parti, mais à prendre en considération l'homme dans sa globalité. Pour ma part, je trouve que le déroulement brut de l'histoire, et de l'Histoire parlent d'évidence d'un fou furieux et je ne soupçonne pas
Mizuki d'indulgence.
Il cherche à détendre un peu l'atmosphère avec quelques traits d'humour, notamment quand il fait dire à
Hitler, lorsque Hess lui suggère de forcer les Japonais à coopérer pour mettre des bâtons dans les roues aux Américains, « Les Japonais sont forts, c'est vrai…normal, ils mangent du tofu et des légumes… ». Personnellement, j'ai adoré ces saillies qui nous rappellent qu'il s'agit d'un manga, d'une BD, et pas d'un livre d'histoire, même si l'essentiel se trouve là…
L'essentiel, certes…mais malgré tout, il faut avouer qu'un élément crucial est passé presque sous silence : la shoah, c'est quand même gênant…devoir attendre l'avant-dernière page pour effleurer le sujet ! Ceci est à mettre en parallèle de la longue séquence de la fin d'
Hitler, lorsque la défaite finale approche, qu'il se prépare au suicide, et passe à l'acte. Curieusement, ces pages qui nous rendraient presque l'homme moins monstrueux, notamment du fait de sa détresse, d'un certain sens de l'honneur (il tient absolument à mourir avec la défaite) et ses dernières attentions pour son petit personnel, ceux qui l'ont servi de près. Ici encore, il y a quelque peu malaise…qui coûte sa demi-étoile à l'ouvrage, qui m'a cependant beaucoup plu.
Il a encore une fois des qualités pédagogiques indéniables. L'arme principale de la forme littéraire du manga est la concision, le caractère visuel, le côté vivant, dynamique, et ces qualités devraient inciter chacun à s'en emparer et se faire son idée. Car tout le monde n'a pas les moyens, ni le temps, ni tout simplement l'envie de se plonger dans une biographie d'un grand historien, des Kershaw,
Kersaudy et consorts...