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Noël Dutrait (Traducteur)Liliane Dutrait (Traducteur)
EAN : 9782020799096
896 pages
Seuil (07/10/2005)
3.83/5   221 notes
Résumé :
Beaux seins belles fesses. Les enfants de la famille Shangguan a été publié en Chine en 1996. Il raconte l'histoire d'une famille, la famille Shangguan, de la province du Shandong (région natale de l'auteur) depuis la fin du XIXe siècle jusqu'à nos jours en mettant en valeur la figure de la mère, qui donne naissance à neuf enfants dont un seul garçon.

Vaste fresque de la société rurale dans cette province confrontée à l'invasion allemande puis japonai... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (41) Voir plus Ajouter une critique
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(La scène se déroule dans les couloirs du Grand Théâtre National de Pékin, alors que le rideau tombe sur la représentation de l'opéra « La famille Shangguan », sous les hourras du public.)

Un homme, sorti peu avant de la salle, souffle, s'essuie les mains sur son front, puis s'avance prudemment vers une silhouette, aperçue dans un recoin obscur du vaste édifice…
A mesure qu'il s'approche, l'odeur désagréable mais salvatrice d'une cigarette de marque étrangère se fait connaitre. Fouillant dans ses poches, hésitant, il lui lance :
« — Bonsoir mm.. v…vous… vous auriez une cigarette ?
— Sûrement, mais il est interdit de fumer ici ! », lui répond sans se retourner son brumeux interlocuteur. 
Un silence s'en suit, l'homme ne sachant bredouiller autre chose qu'un « et vous ? », tout en balayant du regard le côté opposé.
« — Oh moi,… mais je ne suis pas vraiment là… je ne suis qu'une conscience humaine dépersonnifiée, agenre et inethnique. Les catégories ont peur de moi. Je suis utile aux voyageurs qui ont mangé leurs boussoles. Et vous m'avez l'air perdu… tenez : ( sortant de l'ombre, une main gantée présente un paquet de cigarettes Morley et un briquet jetable siglé « I LOVE BRUNO » ) très peu de monde passe par ici de toutes les façons… », sa voix se faisant caressante, « Voilà… là… Vous n'avez pas aimé le spectacle ? »
L'homme s'étouffe, expulsant de la fumée de tous les côtés, bleu, puis se ravise en réaspirant le tout par la bouche, ayant oublié la bonne manière de faire, avant de réussir à articuler son doute, et de poursuivre :
« — Par où commencer…? C'était tellement long… j'ai eu le temps de passer par tous les états possibles et contradictoires, jusqu'à ce que tout se mélange irrémédiablement dans une fièvre chaude à en claquer des dents.
— Vous voyez ? ça vient ! là… Vous voyez ce divan, là ? Installez-vous, et parlez-moi encore…
— Ha ! merci, je ne l'avais pas vu (sont forts ces chinois)… mais vous, comment vous appelez-vous et pourquoi je ne peux voir votre visage ?
— Cela n'a aucune importance, parlez-moi de votre mère plutôt….
— On y vient ! Il faudrait plutôt parler de celle de l'auteur Mo Yan, ou du moins de la relation qu'il a pu entretenir avec… Ou pas… Je ne crois pas que j'ai envie de savoir…
— Je sens bien que vous n'êtes pas à l'aise avec cette histoire, détendez-vous…
— Mais ça m'énerve plutôt ! Regardez, là, au dos du programme, cette phrase mise en exergue : « L'humanité ne se sentira bien que si l'on prend bien soin des seins », juxtaposée à son portrait, donnant l'impression qu'il a l'oeil goguenard… Mais je ne peux pas réduire « les femmes » à cette métonymie poitrinaire ! Et cette phrase n'a rien de joli ou de définitif, il y avait sûrement mieux à choisir dans cet énorme machin ! Et doit-on toujours faire dans le freudien ! Oedipe noyé dans une baignoire ! L'allaitement comme découverte supposée de la sensualité ! le choix d'avoir le choix de ne pas choisir, ou non, et d'en écrire des livres dessus (« Mes seins, mon choix ! ») !
— Mais c'est un vibrant hommage aux femmes… Et puis vous mélangez un peu tout là…
— Je n'y peux rien, voyez ce brouet d'Histoire chinoise, posé sur une montagne de cadavres, assaisonné de magique et de folklore, organisé autour de l'obsession d'un débile-stade-oral, et c'est moi qui mélange tout ! Bon, le message est bien-sûr bien compréhensible : le fils unique, les pieds bandés, la faible valeur d'une vie, les traditions face à la modernité…
— Vous voyez…
— Oui, mais j'ai l'impression qu'on n'a pas le choix de ne pas l'aimer… Entendez la salle, ils en redemandent… Et moi j'ai eu la chance de vous croiser, sinon j'aurais gardé tout ça pour moi…
— Mmmh…je comprends…oui… mais je vous signale que nous enregistrons tout ici…
— Tout !? Nous ?! Ha !… Euh… Tenez, j'en avais commencé une version plus « officielle », vous pourriez la substituer à tout ce qui vient d'être dit, voyez : »

« Les enfants de la famille Shangguan : conversations généreuses et belles assises »

« Chef d'oeuvre impossible. »
« Ce titre, quelque peu paresseux, emprunté à un journal suisse, du temps de la sortie du film « La  Vita é Bella » de Roberto Benigni, n'en est pas moins un rigoureux résumé de cette longue et laborieuse traversée. 
Le génie est bien au rendez-vous, par son ampleur, son ambition, et son originalité. 
Embrasser un siècle d'histoire chinoise, à travers une épopée familiale aux frontières du  fantastique et du délir… (fin du texte) »

Le silhouette se fond dans l'ombre plus avant, ricanante, et, prenant une voix de conseillère municipale, elle lance :
« — On sent bien que vous vous ennuyiez… et ce journal… c'était lequel ?
— le Matin, je crois…
— Ha ! Bah ils ont disparu entretemps, comme vous, très bientôt… ! Adieu ! »

Et l'homme se retrouva seul et dans l'obscurité la plus complète, une voix lointaine récitant des prières venues du froid et de la steppe comme seule présence.
(Le briquet « Bruno » ayant été emporté par un bernard-l'hermite…)
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De Mo Yan, prix Nobel de littérature en 2012, je n'ai pour l'instant lu qu'un seul roman, Beaux seins, belles fesses : Les enfants de la famille Shangguan.
Ne vous méprenez pas sur le titre, ce n'est pas un récit érotique, mais une vaste fresque historique, familiale et sociale chinoise qui s'étend sur le XXème siècle.
La guerre, la barbarie, l'effroi et la mort traversent ces près de neuf cents pages comme elle a traversé la vie de cette région de Chine, de la province du Shandong et ce canton rural de Dalan où vit la famille Shangguan.
Ce roman raconte l'histoire de cette famille, avec en son coeur la figure de la mère, Shangguan Lushi, magnifique portrait de femme, humble et généreuse, qui donne naissance à neuf enfants dont un seul garçon, Jintong.
En compagnie de cette famille vaste comme le roman, nous nous apprêtons à visiter un pan de l'Histoire de la Chine contemporaine, au travers de sa ruralité, de ses joies, de ses malheurs.
Ce coin tranquille et rural de Chine aura donc connu tous les affres du monde, comme d'autres territoires de Chine, comme d'autres territoires du monde : l'invasion allemande puis japonaise durant la seconde guerre mondiale, la guerre civile entre combattants communistes et partisans du Guomindang (le parti populaire national), le « Grand Bond » en avant qui porte mal son nom sauf à décrire une situation à l'arête d'un précipice, la révolution culturelle, les différentes réformes économiques qui n'ont fait qu'aggraver les malheurs du peuple chinois... La fondation de la République Populaire de Chine s'est établie sur la cruauté, la répression et le sang, sur des principes bien éloignés des belles idéologies de départ, et c'est à ce seul prix que le pouvoir en place s'est maintenu jusqu'à présent. J'imagine que ce prix Nobel de littérature a dû être accueilli avec ferveur par le gouvernement chinois.
Le héros de ce roman, - si on peut le désigner ainsi, ou plutôt appelons-le donc anti-héros, est Jintong, neuvième et dernier enfant d'une fratrie qui comprend huit soeurs.
Forcément, quand on naît dans une fratrie de huit soeurs qui l'ont précédé, le garçon tant attendu devient l'enfant prodige, le roi, l'arrogant. Certes Jintong est un être actif, qui ne sait plus à quels seins se vouer, un enfant têtu et en tétée, cela n'en fait pas pour autant un être courageux. Au grand dam de sa famille : il est pleutre, geignard, paresseux, grotesque, obsédé, dépourvu de volonté et d'intelligence, sa seule religion ce sont les seins.
C'est l'histoire de l'impossible sevrage de Jintong qui continue de téter à un âge avancé, autant pour le sien que pour celui de sa pauvre mère...
Il ne fera pas grand-chose parmi les malheurs du monde, des siens, des paysans de là-bas, de leurs enfants... Ces derniers pourront davantage compter sur les soeurs de la famille Shangguan, leurs beaux seins, leurs belles fesses...
Éloge de la sororité au sens propre du terme, dans ce roman les soeurs sont des personnages toutes magnifiques.
C'est un hommage aussi aux laissés-pour-compte de la Chine passée et contemporaine. Un tableau au vitriol.
J'ai été emporté par ce roman ample qui se lit facilement, touché par son lyrisme, sa force, son humanité.
Je fais partie d'une génération sacrifiée, celle qui n'a connu que le biberon, le sein maternel ne fut qu'un concept vague pour moi, une vue de l'esprit, je suis le dernier d'une fratrie de cinq enfants qui n'aura pas connu ce privilège... Ce dernier propos personnel ne doit en aucun cas vous influencer dans cette future lecture ni justifier mon ressentiment contre cet anti-héros pleutre et grotesque que fut cet enfant prodige nommé Jintong. Tout le reste est beau et grandiose.
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S'engager dans un roman de 900 pages demande, en tous les cas pour moi, un effort et un petit travail préparatoire. Même s'il s'agît de Mo Yan , un auteur que je commence à connaître. Même s'il s'agît d'un livre "chinois", littérature qui ne m'a que rarement déçu.
Encore une fois, la lecture a été à la hauteur de mes attentes.Et même au delà.
L'histoire est celui d'un village dans le canton Nord Est de Gaomi, d'où est originaire l'auteur. Elle se déroule de 1939 au début des années 90 et sert de support à un inventaire de faits historiques qui ont émaillé la Chine.
Shangguan Lushi est à ce jour maudite. Elle a sept filles et est encore enceinte. Par miracle, ce sont des jumeaux et l'un deux est un garçon , Jintong, qui sera le "héro" de notre histoire. Les japonais sont sur le point d'arriver et la défense s'organise comme elle peut dans un pays où la république instaurée en 1911 a du mal à s'imposer et où la guerre civile entre les troupes de Mao et celles de Tchang kaï chek menace.

Que dire de ce livre si ce n'est qu'il m'a transporté pendant une semaine . Comme à son habitude Mo Yan décrit avec une précision chirurgicale les faits de guerre (le clan du sorgho rouge est aussi un chef d'oeuvre) et n'a pas son égal pour insérer des pans poétiques pour magnifier la faune et la flore de son pays.
Mais ici , il va plus loin , plongeant le lecteur dans les coutumes et légendes de son pays sans que cela soit du saupoudrage gratuit. C'est un livre culturellement fort et bien entendu l'aspect historique de cette période , le XXème siècle, atroce pour le peuple chinois, est mis en exergue.
Le village, qui se trouve dans le Shandong (sud ouest de Pékin sur la mer) a été occupé par les Allemands au début du siècle. Ce sont eux d'ailleurs qui à Qindao construisirent la brasserie d'où vient a célèbre TsingTao. Puis les Japonais, la guerre Mao/Tchang, le communisme et le capitalisme fou.
Au milieu de ce marasme humain , des paysans qui luttent pour survivre et doivent s'adapter aux changements de dirigeants . Qui du jour au lendemain passent de l'ombre à la lumière et vice versa. Les procès , les chefs d'accusation seraient tellement risibles , s'ils n'avaient pas existé...
Vol, rapt, exécution , famine, viol, torture, vente d'enfants , humiliation , expropriation, canicule, vague de froid, exode, trahison , délation, je dois en oublier. Mo Yan rend hommage aux hommes et femmes de son pays à travers les souffrances qu'il décrit. Il fait, je trouve, un très beau portait de la mère, magnifiant à travers elle les mères chinoises, leur courage, leur abnégation.

Une scène va longtemps me rester. Celle de la mère qui vole des pois en les avalant, de peur de se faire fouiller. Elle les vomit arrivée chez elle, les lave et en fait une soupe pour nourrir ses enfants. Je ne suis pas sur que le Covid effraie beaucoup les Chinois qui ont traversé ces périodes.
Ce livre est une pure merveille, d'une richesse culturelle immense. le génie vient d'y avoir glissé un peu de fantastique en s'appuyant sur les légendes mais aussi sur les phantasmes de Jintong.
Vous apprendrez pourquoi les Chinois pensaient que les Allemands n'avaient pas de genoux, vous verrez l'arrivée de la fée électricité, la première séance de cinéma , le premier saut en parachute, la transformation d'un village en grande ville industrielle. Vous verrez aussi beaucoup de seins , il y en a pour tous les goûts . J'y vois un hommage encore appuyé aux mères.
Je pourrai continuer des heures, tellement ce livre est grand.
Certains verront de la loufoquerie , des coïncidences fortuites où moi j'ai vu du génie. C'est tout le plaisir de discuter des livres !

"L'humanité ne se sentira bien que si l'on prend bien soin des seins"

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Années 90, le capitalisme bat son plein dans la Chine actuelle, la corruption est omniprésente. C'est le temps de l'économie socialiste de marché. Les néons illuminent jour et nuit Dalan, les supermarchés fleurissent, la jeunesse semble perdue, démobilisée attendant que la journée se passe au pied des cinémas.

Quelques années plus tôt et 895 pages en arrière, je suis un lecteur privilégié qui voit naître le petit Jintong en 1938. En compagnie des sept filles aînées de la famille Shangguan, Laidi (« Fais venir le petit frère »), Zhaodi (« Appelle le petit frère »), Lingdi (« Amène le petit frère »), Xiangdi (« Pense au petit frère »), Pandi (« Espère le petit frère »), Niandi (« Songe au petit frère »), Qiudi (« Réclame le petit frère »), la vie s'écoule paisiblement à Dalan, petite bourgade paysanne au Nord-Est du canton de Gaomi. Autant dire que le petit Jintong était très attendu !

Entre ces deux périodes, j'assiste impuissant à l'invasion barbare des « diables japonais », découvre la résistance qui s'installe aux abords du bourg pour saboter la progression de cet envahisseur. La cruauté des japonais fait place à celle des résistants chinois. La guerre civile s'enchaîne aussitôt entre combattants communistes et partisans du Guomindang (le parti populaire national), avec toujours cette même cruauté, toujours la vengeance d'un camp par rapport au précédent et toujours plus de sauvagerie pour défendre ses idées et la fondation de la République Populaire de Chine. le « Grand Bond en avant » devient la philosophie du jour où les morts se comptent par dizaines de millions, suivie de la Révolution Culturelle instaurée par Mao Zedong. En fait, j'aurais vécu par procuration tout un pan de l'histoire contemporaine chinoise à travers le regard et la vie de Jintong, de sa mère Lushi et de toutes ses soeurs, de ses oncles et cousins.

Je découvre les coutumes de ces paysans chinois, leurs façons de vivre entre famine, inondation, déportation, emprisonnement et exécution publique. Rien ne m'est épargné, des humiliations à la torture, des décapitations au massacre de masse. Je partage au quotidien leur misère, leur richesse, leur espoir et désespoir. Je suis au coeur de cette famille au destin particulier avec le charisme de toutes les soeurs de Jintong : elles seront à tour de rôle Héros de la nation, Bandit notoire, Prostituée, « Immortel Oiseau », Voleuse professionnelle, Cadre du parti communiste chinois... Je croise des guerriers héroïques, des combattants de la liberté, des communistes hystériques, des chamans taoïstes, des bureaucrates corrompus.

Et je ne m'ennuie jamais au « sein » de cette famille, de cette bourgade de Dalan. Les récits épiques de certains protagonistes me font découvrir des contes et légendes issus de ce terroir (Jintong sous la direction d'un maître taoïste deviendra « Prince de la Neige »), les premières séances du cinéma en plein air ou les premiers essais de parachutisme au bord de la falaise. La famine, la misère et le froid permettent de resserrer les liens familiaux mais oblige la mère à vendre une de ses filles. Les inondations provoquent des dégâts matériaux à grande échelle, Jintong apprend à travailler dans une « ferme d'état », se retrouve en prison et suit une « rééducation politique »...

Que de souvenirs, que de passions, que de moments mémorables et inoubliables parsemés par de petits clins d'oeil humoristiques, des anecdotes cocasses du principal protagoniste Jintong, abreuvé au sein maternel tout au long de sa vie de « raté » et d' « obsédé ». L'occasion de découvrir l'histoire récente de la République Populaire de Chine au cours de ces 60 dernières années...
Lien : http://leranchsansnom.free.fr/
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« Beaux seins, belles fesses », tout un programme, non ?

Qu'on ne s'y trompe pourtant pas, le roman fleuve de l'écrivain chinois Mo Yan n'est pas livre érotique ou tout autre ouvrage de ce genre (comme l'a cru fort innocemment mon compagnon en regardant mes mails par-dessus mon épaule ; ça lui apprendra, tiens…). Cette immense saga familiale débute en 1938 dans la bourgade de Dalan avec la naissance du petit Shangguan Jintong, une naissance qui se place d'emblée sous le signe du chaos et de la malchance, puisqu'elle a lieu au moment exact où les troupes japonaises envahissent son canton natal. Neuvième enfant d'une fratrie de huit filles, Jintong répond aux voeux ardents de sa mère et de son père – qui n'en profitera pas puisqu'il sera l'une des premières victimes à tomber sous les coups des « diables japonais » à leur entrée dans Dalan.

Hélas, le petit Jintong ne se révélera guère à la hauteur des attentes familiales : pleutre, geignard, dépourvu de volonté et d'intelligence, maladivement obsédé par le sein maternel qu'il tétera jusqu'à un âge avancé, il s'avère incapable de subvenir à ses besoins et, à plus forte raison, à ceux de la fratrie Shangguan dont il est devenu le chef de famille. Restent ses huit soeurs et son indomptable mère, neuf femmes au fort caractère et à la volonté bien trempée, à défaut de posséder beaucoup de jugeote. Car si, chez les Shangguan, les hommes sont des mauviettes, les femmes quant à elles ont de qui tenir ! Pourvues de beaux seins et de belles fesses, comme le dit si bien le titre du roman, c'est elles qui sont le coeur et l'âme de la famille Shangguan et lutteront pour lui permettre de surnager malgré les innombrables bouleversements que traversera la Chine de 1938 à nos jours : invasion japonaise, guerre mondiale, révolution culturelle, multiples réformes économique foireuses, etc.

A la première lecture de « Beaux seins, belles fesses » de Mo Yan, on ne s'étonne pas de l'accueil glacial qu'il a reçu en Chine à sa sortie en 1995. A travers les nombreux aléas de la vie du pauvre Jintong et surtout de celles de ses soeurs, le romancier chinois trace un portrait au vitriol de la Chine contemporaine. Avec humour noir, verve et un sens certain de l'absurde, il rentre allègrement dans le lard de l'Histoire officielle et nous embarque dans une aventure aux multiples rebondissements, où les larmes et le rire se côtoient régulièrement. Jamais condescendant ou méprisant, il rend aussi délicatement hommage à une certaine partie de la population chinoise, celle qui souffre et peine quels que soient les régimes qui la dominent, mais parvient toujours à survivre malgré les privations et les injustices dont elle est abreuvée. Si les malheurs du personnage principal, véritable mollusque, prêtent plus à rire qu'à pleurer, le personnage de sa mère nous touche bien davantage : petite femme au courage discret et à la détermination sans limites, prête à tous les sacrifices pour permettre à son innombrable couvée (qui ne tardera pas à s'enrichir d'une flopée de beaux-fils encombrants et de petits enfants…) de subsister.

Grinçant et cocasse à la fois, « Beaux seins, belles fesses » est un roman satirique d'une grande richesse. Malgré sa taille impressionnante et parfois quelques longueurs, il se lit très facilement et s'avère un excellent moyen de découvrir plaisamment l'Histoire de la Chine contemporaine.
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Citations et extraits (90) Voir plus Ajouter une citation
Chaque fois que ma mère nous racontait l’histoire du bandage de ses pieds, c’était à la fois comme si elles exposaient ses griefs envers les souffrances endurées et comme si elle était fière d’une glorieuse histoire.
Elle disait que le caractère résolu et l’habileté au travail de sa tante étaient célèbres dans tout le canton du Nord-Est de Gaomi. Tout le monde savait que la maison de Yu les Grandes Paumes était dirigée par sa femme. L’oncle ne faisait rien, hormis jouer de l’argent, s’amuser à tirer au fusil et capturer des oiseaux. [...] Et c’était cette tante qui avait juré de faire de sa nièce un modèle de beauté et qui réalisa naturellement le bandage de ses pieds avec la plus grande méticulosité. A l’aide de lamelles de bambou, elle lui serra les pieds si fort que ma mère se mit à hurler comme un cochon qu’on égorge, puis elle les enroula couche après couche le plus serré possible avec une bande de tissu imprégné d’alun. Le bandage terminé, elle égalisa le tout en tapotant avec un petit marteau. Ma mère racontait : « C’était terriblement douloureux, à se taper la tête contre les murs. »
Elle supplia : « Tante, tante, desserre un peu...

- Si je serre, c’est parce que je t’aime, répondit la tante en la fusillant du regard, si je desserre, c’est que je te hais. Quand, à force de serrer, tu auras les lotus d’or, alors tu viendras me remercier.
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Ces seins, telles des colombes chaudes, firent une brève halte dans mes mains, puis reprirent leur vol.
Cette première paire de seins s’était envolée avant que j’aie pu suffisamment la caresser. Un peu déçue, mais reprenant espoir, je replongeai mes mains dans la neige pour qu’elles recouvrent leur propreté et leur pureté. J’attendais avec une certaine impatience la deuxième paire de seins. Celle-là, je ne la laisserais pas partir comme ça. De mes mains fermes, je les saisis brusquement. Ils étaient fins et délicats, ni vraiment mous, ni vraiment durs, tels deux petits pains cuits à la vapeur qui viennent de sortir de la corbeille de bambou ; je ne pouvais les voir mais savais qu’ils étaient blancs et lisses. Leurs tétons étaient minuscules comme deux petits champignons. Je les saisis dans la main, formant en moi-même les vœux les plus magnifiques. Je les pinçai une première fois : je souhaites que tu mettes au monde en une seule fois trois gros bébés. Je les pinçai une deuxième fois : que ton lait jaillisse avec l’abondance d’une source. Une troisième fois : que l’arôme de ton lait soit sucré comme la rosée bienfaisante. Gémissant à voix basse, la femme s’échappa subitement. [...]
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Bien sûr, il était impossible de comparer cette tétine sans vie avec les tétons de ma mère – qui étaient l’amour, la poésie, l’immensité céleste infinie et les grandes terres prospères où ondulent les vagues jaune d’or du blé –, impossible aussi de la comparer avec les pis de ma chèvre, énormes, gonflés et couverts de taches de son – qui étaient la vie trépidante, les enthousiasmes débordants. Cette tétine était une chose morte : toute glissante qu’elle fût, elle n’était pas humide, et le plus effrayant était qu’elle n’avait aucune saveur. Sur la membrane de ma cavité buccale se forma une sensation de froid et de dégoût
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- Jeune Pandi, répliqua l'aveugle Xu, vous les Shangguan, vous savez vraiment vous débrouiller. A l'époque des diables japonais, vous avez profité du pouvoir du mari de votre sœur aînée, Sha Yueliang ; à l'époque du Guomindang, c'est le mari de votre deuxième sœur qui a dicté sa loi ; aujourd'hui, c'est toi et Lu Liren qui êtes les chefs. La famille Shangguan, c'est la hampe du drapeau qu'on ne peut jamais abattre, le bateau qui ne coule jamais. Et plus tard, si l'Amérique envahit la Chine, vous aurez aussi un gendre étranger..."
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- Ce que paie ton père, dit Sima Ku, le regard tourné vers les eaux troubles, c'est sa faiblesse. Souviens-toi bien, mon petit : pour devenir un méchant, il faut avoir le cœur dur comme la pierre, tuer les yeux grands ouverts, et pour se comporter en homme bon, il faut marcher en baissant la tête pour ne pas écraser les fourmis. Mais ce qu'il ne faut surtout pas faire, c'est se comporter en chauve-souris : elle n'est ni vraiment oiseau, ni vraiment bête sauvage. Tu t'en souviendras ?"
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Présentation de l'album "La Bourrasque" de MO Yan, prix Nobel de littérature, illustré par ZHU Chengliang. Publié aux éditions HongFei, septembre 2022. Après une belle journée au champ, un enfant et son grand-père résistent ensemble à l'adversité.
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