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EAN : 9782070412761
176 pages
Gallimard (07/09/2000)
3.74/5   140 notes
Résumé :
Elles n'ont pas vraiment d'histoire, veulent rompre avec un présent ennuyeux, et se lancent à la conquête d'un avenir plus qu'incertain. Les trois héroïnes de ces trois récits de Patrick Modiano sont des inconnues d'abord pour elles-mêmes. La première d'entre elles a quitté Lyon parce qu'elle n'a pas obtenu l'emploi de mannequin dont elle rêvait. Elle décide sur un coup de tête de monter à Paris où... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (22) Voir plus Ajouter une critique
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Des inconnues.
Une lecture qui m'a rendu captif, impatient et curieux du destin de ces femmes qui s'éloignent en secret de leurs naissances mais pour aller où ? Tout est étrange dans ces trois récits, mystérieux et impalpable, qui sont donc ces trois inconnues dont on ne saura pas le nom, et d'ailleurs on ne sait pas trop qui est qui, qui fait quoi, qui habite chez qui…Une sorte de grisaille et de brouillard entoure des personnages à l'identité floue, et même disent-ils la vérité, et est-ce là leur véritable nom ?
« J'étais en compagnie d'un inconnu qui se cachait sous l'identité d'un autre »
Un livre très attachant,
très intimiste, rempli de solitudes, de silences ou de non-dits … « C'était le vide qui m'attirait aussi chez lui »
Un très beau texte touchant et très bien écrit avec des phrases courtes, précises et lourdes de sens, par le Goncourt 78, Prix Nimier, Grand Prix de l'Académie Français, et -entre autres- Prix Nobel de Littérature 2014 pour son oeuvre, Patrick Modiano, qui pratique ici une écriture blanche dépouillée, incisive comme une lame!
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Je viens de parcourir quelques critiques, qui n'ont rien à voir avec Modiano, mais qui m'ont passablement heurté. Il est toujours difficile d'accepter des critiques négatives d'auteurs avec lesquels on a une sensibilité très proches. de même, j'ai dû heurter plusieurs lecteurs/lectrices avec mes critiques négatives. L'important est peut-être de simplement dire que l'on n'a pas aimé, expliquer pourquoi, mais de ne pas rabaisser l'oeuvre, simplement parce qu'on n'a pas été touché ou pas compris.
Mais revenons à Modiano. Ces trois inconnues m'ont particulièrement ému. Dans leur fragilité, leurs naïveté, leur perte de repères. J'ai eu un peu de mal à rentrer dans la première nouvelle et dans cet univers où des jeunes filles, après une enfance difficile, découvrent la vie, le monde, sans aide, et suivent le premier ou la première inconnue. La deuxième nouvelle est celle qui m'a le plus remué. Cette jeune fille, qui accepte les petits boulots pour survivre, entre Annecy et Genève, est amenée à côtoyer la haute bourgeoisie dont elle sera toujours l'esclave. La fin, d'abord surprenante, est, à la réflexion, assez prévisible. La vie n'est pas tendre avec ceux qui n'ont pas appris à se battre et ont grandi dans la précarité. La résilience n'est pas pour tout le monde. Je n'ai pas encore lu les « grandes » oeuvres de Modiano mais c'est une lacune que je vais combler.
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« Des inconnues » est un roman de Modiano en trois parties situé dans l'oeuvre de l'auteur entre « Dora Bruder » et « La Petite Bijou» (qui n'est pas qu'un charmant pseudo babeliesque). « Dora Bruder » est une enquête sur une jeune fille juive ayant réellement existé dont les parents avaient mis une annonce d'avis de recherche. Modiano a entrepris une enquête minutieuse sur la fugue de cette adolescente pendant la guerre. «La Petite Bijou » raconte l'histoire d'une jeune femme à la recherche de sa mère.
Entre les deux, il me semble que « Des inconnues » constitue dans l'écriture modianesque une transition dans ce que je pourrais qualifier, lectrice assidue de l'écrivain, un trilogie féminine : ces trois romans ne souffriraient pas d'être reliés.
Comme pour « Dora Bruder » ou « La Petite Bijou », les personnages principaux du roman « Des inconnues » sont des femmes, tout juste sorties de l'adolescence. L'auteur nous conte un instant de quête, qu'il conduit comme une en-quête, la quête de l'intérieur, de l'intime.

Chaque partie du roman « Des inconnues » évoque donc une tranche de vie racontée par une très jeune femme, comme très souvent chez Modiano en rupture. Qui dit rupture veut dire fuite, fuite géographique, fuite d'un milieu, fuite d'un passé encore juvénile mais trop pesant. de ces trois jeunes femmes, nous ne connaîtrons ni le prénom ni le nom, éléments si essentiels dans le monde modianesque. Par contre, les hommes et les femmes qu'elles vont rencontrer sont bien conformes à la généalogie littéraire de l'auteur, portant des patronymes toujours plus ou moins exotiques et je dirais contradictoires : un prénom banal suivi d'un nom étranger : ici, par exemple, Mireille Maximoff, Alberto Zymbalist… cet Alberto Zymbalist qui se fait appeler « Guy Vincent ». Chez Modiano, l'apparente banalité, l'évidence première est toujours le voile d'un secret.
La première inconnue a 18 ans. Elle quitte Lyon, la province trop étroite où elle étouffe, après une rencontre avec une femme belle et mystérieuse – Mireille Maximoff -rencontrée à Torremolinos , qui lui conseille de devenir mannequin. Rentrée de ses congés payés (elle est dactylo), la jeune fille se présente dans une maison de couture réputée de Lyon, est refusée, mais un homme lui dit qu'elle a « quelque chose… ».
Cette vague idée de « quelque chose » résonne comme une promesse, et donne l'élan à la jeune fille pour s'enfuir à Paris dès le lendemain par le train de nuit. A son arrivée, elle contacte Mireille, qui va l'introduire dans son monde énigmatique de photographes, acteurs, et autres artistes dont on ne saura jamais vraiment la teneur de leurs carrières qui semblent pour le moins incertaines.
C'est ainsi que la narratrice va croiser le mystérieux Guy Vincent, avec lequel elle va vivre une histoire d'amour (probablement la première), qui va l'amener entre autre à fréquenter un hôtel de Genève où son amant cherchera en vain le Consulat du Pérou. Je ne raconte pas la suite de l'histoire pour ne pas gâcher le plaisir d'un futur lecteur.

L'héroïne de la deuxième partie est pensionnaire à côté d'Annecy (ce décor que Modiano reprendra pour « Un pedigree », son roman le plus ouvertement autobiographique). Elle a sensiblement le même âge que la première « inconnue ». Elle ne connaît pas son vrai père, et a été élevée par sa mère et un beau-père avec lesquels elle entretient, on le comprend à demi-mot, des relations plutôt distendues. La jeune fille va s'enfuir du pensionnat, en quête de son père, croiser des hommes abuseurs, et le récit se terminera d'une façon dramatique.

Pour la troisième partie, la plus énigmatique et complexe à mes yeux, nous sommes de retour à Paris, près de la Porte de Vanves. L'inconnue (française) s'est enfuie de Londres où elle travaillait, s'installe dans un grand atelier dont l'adresse lui avait été donnée à Londres par un Autrichien qu'elle fréquentait dans le quartier de Portobello. Elle dort mal, réveillée le matin par des bruits insolites qu'elle va mettre un peu de temps à identifier. Un jour elle comprend que ce bruit de « sabots » accompagne le sort tragique de chevaux que l'on amène très tôt aux abattoirs de Vaugirard. L'angoisse qui ne quittait pas la narratrice ne fait que croître. Elle ne peut s'évader, incapable de prendre le métro, prise de panique. Peu après, dans un café, elle rencontre un professeur de philosophie en train de corriger ses copies… et le récit bascule avec un tout autre éclairage.


J'ai relu ce roman pour écrire ce billet, et il m'est apparu très singulier et de haute tenue dans l'oeuvre de Patrick Modiano. le livre fermé, on s'interroge bien sûr à propos des points communs qui relient ces trois jeunes femmes dont nous ne savons rien d'autre que ces tranches de vie brèves à un moment clé de leur existence.
Nous ne connaissons que peu de choses d'elles, le titre nous l'indique, ce sont des inconnues : pourtant, en réfléchissant, je me dis que le peu que nous savons d'elles est bien plus authentique que tous les personnages qu'elles croisent qui soit portent de faux noms, habitent des appartements frauduleusement, sont des pères dont on ne sait rien… Les vrais inconnus, finalement, ce sont eux. Nous ignorons leurs réelles intentions, certains disparaissent, mais, contrairement à nos héroïnes, leur fuite n'est pas inscrite dans une quête d'eux-mêmes.
Un lecteur ici parle de désespérance. Je ne l'ai pas ressenti ainsi. Certes ces jeunes filles, emplies d'une certaine pureté, sont confrontées à un monde angoissant, hostile, dangereux parfois et même dégueulasse, mais elles s'en tirent toujours parce que précisément elles portent en elles cette part de rêve encore diffuse du sortir de l'adolescence, qui les protège malgré tout, en leur conférant une part d'inconscience qui leur fait traverser les épreuves un peu en somnambule. Elles n'ont pas une once de cynisme d'un âge avancé. En y regardant de plus près, j'ai noté que lorsque Modiano emploie le mot « inconnu », ce qualificatif ne s'adresse jamais aux héroïnes, mais à leur entourage. Pourtant, l'une proclame qu'elle veut rester « non identifiée ».
Nommer les choses, c'est les connaître, dirait Levinas (en plus subtil évidemment), philosophe que connait bien Modiano. Sans doute les jeunes filles sentent confusément qu'une apparente transparence cache souvent une imposture, ou du moins des mensonges.
Toutes trois aiment se réfugier dans les salles obscures d'un cinéma. La fiction les apaise, les rassure. Toutes trois ont peur du sommeil, car, dit l'une d'elles, dans le sommeil on peut livrer ses secrets, comme si la « vraie » vie se manifestait durant leur sommeil. Elles prennent des somnifères ou autres barbituriques. Elles vivent leur vie diurne telles des personnages de Cocteau, entre rêve et réalité. Elles paraissent flotter dans leurs corps comme dans leurs pensées.
Pourtant, et c'est tout le charme et la singularité du livre à mes yeux, finalement, elles suivent une ligne droite, même dissimulée sous des méandres. Au fond, elles ont la volonté de s'en sortir, et agissent, parfois radicalement. Nous ne savons pas quel sera leur destin, mais à chaque épilogue du moment qui leur est consacré, elles connaissent une libération. C'est à travers les autres, même nuisibles, qu'elles apprennent à se connaître. Leur part d'inconnu, comme celle qui est propre à chacun d'entre nous, est leur trésor, leur identité, quelque chose qu'on ne pourra jamais leur voler.
Dans la troisième partie, à Paris, Modiano nous souffle que l'affirmation de soi, l'indépendance, mais aussi l'espoir se conquièrent grâce aux mots, l'écriture, la philosophie, transmis par des bienveillants que l'on se choisit comme guides.
La jeune femme, d'abord impressionnée par le livre prêté par le professeur de philosophie raconte : « Mais à mesure que je tournais les pages, je me laissais envahir par une légère euphorie, comme si les mots du Docteur Bode me persuadaient que je pouvais vivre au présent et que j'avais même un avenir devant moi ».
L'écriture de Patrick Modiano est discrète, intime, empreinte de réalisme comme de poésie. Elle semble vous frôler comme un fantôme qui vous murmurerait d'étranges et douces paroles à l'oreille. Il est impossible de résister à son ensorcellement.

Lien : http://parures-de-petitebijo..
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Trois nouvelles, trois inconnues, trois très jeunes femmes. Des inconnues ? certes nous ne connaissons pas leur identité mais j'ai l'impression d'avoir appris à les connaitre au fil des pages..
La première, vient de Lyon. Elle a tout quitté sans prévenir et est montée dans le train pour Paris. Un nom et un numéro de téléphone pour seuls repères ceux de Mireille Maximoff. de rencontre en rencontre elle croise la route de Guy Vincent un homme bien mystérieux.
La seconde refuse de retourner à l'internat et fugue. Nous sommes à Annecy. Elle est en quête du grand amour . de petit boulot en petit boulot, elle devient baby-sitter . ..
Enfin notre dernière inconnue vient de Londres. Elle a quitté Londres et emménagé dans un appartement inoccupé. Son locataire est en voyages. Elle se trouve habiter non loin de la rue Brancion , chaque matin des sabots de chevaux la réveillent.. Elle va faire la connaissance d'un groupe de philosophes ....
Trois femmes, trois solitudes. et les déambulations dans la ville . On retrouve les thèmes chers à Patrick Modiano. Quel place l'individu occupe t'il dans la société? ou plutôt y a t'il sa place. isolement, solitude, dépression, peur de l'autre et de la foule .. et les pièges qui se referment inexorablement sur ces ingénues.
Publiées en 1999, ces nouvelles nous font remonter dans les années 60/70 , souvenirs, souvenirs.

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Trois jeunes filles dont on ignore les noms, à l'inverse de la plupart des autres personnages qui les entourent, racontent chacune leur histoire. Trois récits dressant des profils attachants de paumées, « à côté de leurs pompes », trois portraits qui se frôlent tant ils se ressemblent, esquissés dans le flou de l'anonymat. Univers nébuleux, instable où le trouble est un invité de marque. Les disparitions sont fréquentes et peuvent être subites, les rencontres restent hasardeuses et les coïncidences bienvenues dans chacune de leurs histoires. Des convergences d'un récit à l'autre : bleu des veilleuses, du train de nuit (1er récit) ou du dortoir (2ème récit) ; la rue de Vaugirard, rêve parisien au deuxième récit, devient sujet de phobie au troisième ; l'évocation de la fourrière dans le premier et le dernier récit ; le beau-père boucher du deuxième récit et la confrérie des « tueurs » des abattoirs au troisième, et ainsi de suite. Des contrastes parfois crus ressortent de cette grisaille, ne font que renforcer l'impression de malaise.

Le premier récit est celui d'une jeune fille quittant Lyon brusquement pour la capitale. Hasard des rencontres, elle se lie à un homme, dont la prospérité ne fait aucun doute mais dont l'identité est masquée sous un nom d'emprunt. Ils entretiennent une liaison jusqu'au moment où il disparaît tout aussi brutalement qu'elle-même avait sauté, à la gare de Perrache, dans le premier train de nuit en partance pour Paris, laissant tout derrière elle. Curieusement, cet épisode pourtant court, remonté du passé, semble très long à celle qui le relate longtemps après, et plus précis encore que son présent que l'auteur, pour le coup, laisse dans l'informe. Cette jeune fille s'affirme à la fin pour ce qu'elle est, une blonde non identifiée et espérant bien le rester (p.53). Elle existe comme telle, c'est tout.

Le deuxième récit s'arrête un peu plus sur la généalogie familiale d'une jeune fille, mineure au début de sa narration. le passé du père disparu gommé par une mère indifférente qui s'est remariée est évoqué. Confiée à une tante, elle fugue de la pension sinistre où elle a été reléguée, en direction d'Annecy. Rupture avec sa vie antérieure comme dans la première histoire. En retrouvant quelques traces et objets de son père défunt, elle est confrontée à l'ombre dont elle fait partie (p.102) :

« le soir, j'ai commencé à lire les livres qu'il avait lus, puisqu'ils étaient dans la mallette :
La rue du Chat-qui-pêche
La vie de Mermoz
Manuel d'alpinisme
Manuel de camouflage
Et un petit livre vert pâle : Anthologie des poètes du XIXe siècle, où il avait souligné deux vers : Je me souviens/des jours anciens…, mais je n'en savais pas plus long sur lui ».

Un ami de son père l'aide à se trouver du travail. de petits boulots en petits boulots, son histoire s'achève assez violemment, lorsqu'une étrange lucidité lui laisse entrevoir soudain la spirale nauséeuse de l'avenir qui l'attend.

Enfin, le troisième récit est celui d'une jeune fille arrivant de Londres, et dont on sait très peu, pour occuper l'appartement vacant d'un ami à Paris du côté de la porte de Vanves, rue Brancion siège des Abattoirs. le coin n'est pas des plus oniriques, c'est son nouvel horizon. La proximité de la rue des Morillons et de l'église Saint-Antoine de Padoue, invoqué fréquemment par ceux qui veulent retrouver un objet perdu, fait sourire. Rêves et cauchemars. Souvenir de son ami disparu, là encore soudainement, à Londres. le ticket de retrait n° 0032 d'une dernière photo prise ensemble et qu'elle n'a pu récupérer est le seul marqueur de cette relation. Crise de panique dans le métro et bruits répétitifs sur le pavé parisien des sabots des chevaux menés à l'abattoir, créent un climat proprement halluciné scandé par les nostalgies musicales du café d'Alleray (« Whiter shade of pale ») où la conduisent parfois ses stratégies d'évitement de la rue Brancion. Elle y rencontre un prof qui la fait bifurquer alors dans le développement personnel, en la présentant à son « cercle » de happy few, et finit par s'abandonner aux vapeurs « New Age » d'un sommeil bienfaisant. Entre deux vies, elle a sauté le pas. Réconfortant ? Pas sûr.

Chacune de ces jeunes filles, dont l'audace est commune, pourrait tout aussi bien débarquer dans l'histoire de l'autre. La lecture de «In Search of Light and Shadow» que fait l'une d'elle à la fin, pourrait être partagée par les deux autres et c'est peut-être là que convergent symboliquement ces trois inconnues, entre ombre et lumière. Si la référence se fait musicale, l'originalité de ce trio féminin serait dans la partition assez radicale que lui fait jouer Patrick Modiano sur le thème « changer de vie » : coup de tête pour la première, coup de révolver pour la deuxième et coup de blues pour la troisième.

Les trois histoires fourmillent de références multiples, assez symboliques, qui ne sont pas fortuites et font partie intégrante du plaisir de lire Modiano dont la biographie à elle seule est loin d'épuiser les innombrables interprétations qu'on peut tirer de ce livre. Comme dans « Accident Nocturne » on retrouve bien sûr sa prédilection pour des personnages à la géographie mentale parcourue de souvenirs fugaces, de traces et de réminiscences ou bribes de rêves arrachés au passé. Ici encore, l'absence de toute forme de certitude, la réalité qui se dérobe en permanence, finissent par suspendre le temps au-dessus du néant, générant angoisses et oppression. Mais à tutoyer le vide il en devient aérien, P. Modiano. le style direct, concis et très fluide de ces Inconnues abolit la pesanteur de leur destin plombé. L'écriture utilise les mots de la grisaille, pour conduire le lecteur vers une esthétique de l'évanescence où la nuit et les ombres dessinent souvent les contours de l'univers qu'il affectionne.

« Signes, symboles, élans, chutes, départs, rapports, discordances, tout y est pour rebondir, pour chercher, pour plus loin, pour autre chose. Entre eux sans s'y fixer, l'auteur poussa sa vie. » Conclusion d'Henri Michaux dans la postface de Plume qui trouve, pour moi, un écho puissant dans ce livre.

A lire la nuit.
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Citations et extraits (40) Voir plus Ajouter une citation
Cette année-là, l'automne est venu plus tôt que d'habitude, avec la pluie, les feuilles mortes, la brume sur les quais de la Saône. J'habitais encore chez mes parents, au début de la colline de Fourvière. Il fallait que je trouve du travail. En janvier, j'avais été engagée pour six mois comme dactylo à la Société de Rayonne et Soierie, place Croix-Paquet, et j'avais économisé l'argent de mon salaire. J'étais partie en vacances à Torremolinos, au sud de l'Espagne.
J'avais dix-huit ans et je quittais la France pour la première fois de ma vie.
Sur la plage de Torremolinos, j'avais fait la connaissance d'une femme, une Française, qui vivait là depuis plusieurs années avec son mari et s'appelait Mireille Maximoff. Une brune, très jolie. Elle et son mari tenaient un petit hôtel où j'avais pris une chambre. Elle m'avait expliqué qu'elle ferait un long séjour à Paris, l'automne prochain, et qu'elle logerait chez des amis dont elle m'avait donné l'adresse. Je lui avais promis d'aller la voir à Paris, si j'en avais l'occasion.
Au retour, Lyon m'a paru bien sombre. Tout près de chez moi, à droite, sur la montée Saint-Barthélemy, se trouvait le pensionnat des Lazaristes. Des bâtiments construits à flanc de colline et dont les façades lugubres dominaient la rue. Le portail était creusé dans un grand mur.
Pour moi, Lyon de ce mois de septembre-là, c'est le mur des Lazaristes. Un mur noir où se posaient quelquefois les rayons du soleil d'automne. Alors, ce pensionnat semblait abandonné. Mais sous la pluie, le mur était celui d'une prison et j'avais l'impression qu'il me barrait l'avenir.
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Alors, il avait allumé le lustre et il m'avait expliqué que "Guy Vincent" était un nom d'emprunt. Je lui avais demandé si je pouvais l'appeler par son vrai prénom. C'était gentil mais il n'aurait pas aimé cela, il s'était habitué à "Guy Vincent". Pour lui, " Guy Vincent" évoquait la fraîcheur, le printemps et la couleur blanche, c'était un nom rassurant. Et puis cela créait une distance. Il y avait toujours entre lui et les autres ce "Guy Vincent" comme un double, un ange gardien. Et de nouveau, il riait. Et moi aussi. Les fous rires sont contagieux, mais avais-je vraiment envie de rire ? Sous la lumière du lustre, la chambre me paraissait brusquement froide, inhabitée. J'étais en compagnie d'un inconnu qui se cachait sous l'identité d'un autre.
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Le long de l'avenue qui menait du bois de Boulogne au Trocadéro, je levais la tête vers les fenêtres allumées. Chacune d'elles me semblait une promesse, un signe que tout était possible. Malgré les feuilles mortes et la pluie, il y avait de l'électricité dans l'air. Un automne étrange. Il est clos sur lui-même et détaché pour toujours du reste de ma mémoire. Là où je suis maintenant, il n'y a plus d'automne. Un petit port de la Méditerranée où le temps s'est arrêté pour moi. Chaque jour, du soleil, jusqu'à ma mort.
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Il m'a demandé si j'habitais dans le quartier. Je lui ai dis que c'était près du Trocadéro, mais je connaissais mal Paris et je ne pouvais pas encore me rendre compte des distances.
- Je vais marcher un peu avec vous. Si vous êtes fatiguée, nous prendrons le métro à l'Étoile.
Alors, j'ai eu le sentiment d'avoir fait une rencontre, comme celle que j'espérais depuis mon arrivée à Paris. Cette phrase qu'il m'a dite à cet instant-là m'est restée si bien en mémoire que j'entends encore, après toutes ces années, le son de sa voix.
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La perspective d’avoir une occupation et de ne plus traverser sans but toutes ces journées vides me réconfortait brusquement. Je taperais à la machine, seule, tranquille, dans l’atelier, parmi les livres. Et même, en tapant, je pourrais écouter de la musique. Je travaillerai face à la baie vitrée qui donnait sur le jardin.
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Avec son dernier roman "La Danseuse", Patrick Modiano parvient-il à nous emporter ? Et que penser de "L'Hôtel des oiseaux" de Joyce Maynard, autrice abonnée aux best-sellers du New York Times, et dont le roman se retrouve au coeur de polémiques sur l'appropriation culturelle aux Etats-Unis ?
Géraldine Mosna-Savpye et Nicolas Herbeaux en parlent avec nos critiques, Elise Lépine, journaliste littéraire au Point, et Virginie Bloch-Lainé, productrice à France Culture.
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