Étrange
Modiano, jamais lu à ce jour, tellement médiatisé, couronné, personnage lunaire qui arpente dans son livre «
Une jeunesse ».
Une intrigue filiforme, une nostalgie suintant l'ennui… et pourtant on ne peut se détacher de ce livre où l'on se demande comment va finir cette histoire sans queue ni tête, quelle épaisseur peuvent avoir ces personnages somnambules, désenchantés, solitaires, déambulant dans les coulisses d'un Paris qui appartiendrait au passé. Un homme se souvient de ses vingt ans, qui après avoir terminé son service militaire, fait la connaissance de sa femme à Paris laquelle se cherche une vocation musicale inaboutie, et rencontre des personnages sympathiques, parfois louches, avec lesquels se tissent quelques banales historiettes à Paris, Londres, Genève.
Rien que du très banal, de l'anecdotique sur un temps passé, avec une excellente cartographie de Paris.
Il rappelle «
La femme gauchère » de
Peter Handke, le cafard en moi. Plutôt une douce quiétude, insignifiante, nonchalante, faite de petits rien collectés, un radiateur surchauffé, une chanson en peau de lapin …
A propos, une chanson qui leur ressemble... à Louis et Odile, nos deux personnages, qui rappelle « Les feuilles mortes », « Chanson des rues : On y parle de tristesse/De rêves et d'amour déçus/Et du regret qu'ils nous laissent/Les années qui ne sont plus » (je cite) Ce livre me rappelle aussi l'univers du peintre
Edward Hopper, silencieux, inintelligible, qui exsude la solitude métaphysique des villes americaines et qui pourtant s'infiltre dans notre vascularité mentale, nous habite à ne plus pouvoir nous en défaire.
Livre sur les variables d'un passé dont l'auteur se serait détaché, « comme un morceau de rocher qui tombe dans la mer ». Passé qui pour d'autres ne passe pas et, oxymore, pourrait être le passé pour demain, comme si une vie devait se passer en boucle.
Livre sur le temps, ses pesanteurs et aussi ses libertés, soit pour lâcher prise, soit pour noircir nos vie quotidiennes par une peine multipliée.
Or chez
Modiano, tout est légèreté, l'inquiétude parfois palpable par les incertitudes du récit, n'est jamais pesante. le passé dont l'auteur serait nostalgique deviendrait désirable. Il s'en détache à la fin comme d'une peau morte. Il en fait pourtant sa nourriture, comme un oiseau de nuit qui hante l'obscurité, l'indicible d'un trace dont il semblerait ne pas admettre qu'elle soit effacée.
Livre sur de tous petits bonheurs passés, égrenés, livre sur le temps, dont on finit par se résoudre à rêver, par ce qu'il est passé, alors qu'il peut constituer la trame de notre présent et de celui que l'on attend. Un collier de petites perles sans fil. une rêverie sans objet.
Étrange livre, étrange
Modiano, sorte de Pierrot lunaire qui parcourt une planète dont l'existence est à chaque page questionnée avec une nonchalance indifférente. Livre d'atmosphère, dont on se sépare étonné d'avoir réussi à le parcourir jusqu'au bout.
Il convient, peut-être, aussi, plus particulièrement, d'aimer Paris. Il serait anachronique de le transposer dans une ville méridionale, bruyante, exubérante et colorée.