L'auteur suggère de créer une carte des émotions, qu'il ramène à trois : peur, espoir et humiliation. La raison serait (bazardée en une phrase) qu'elles sont toutes les trois liées à la confiance. L'auteur en est persuadé : "« Je demeure convaincu que la subjectivité peut être considérée d'un point de vue sinon « scientifique », du moins objectif » (p.45) et, se demandant s'il faut mettre du vert pour la jalousie et du bleu pour la peur, il achève naturellement sa réflexion par : « Il faudrait le génie d'un Turner ou d'un Monet pour décrire les variations subtiles et les nuances qui caractérisent le monde des émotions » (p.58) - d'où nous concluons que l'objectivité à perspective scientifique est d'ordre esthétique et artistique.
En fin d'ouvrage, après des réflexions d'une généralité et d'une superficialité lassantes, les trois émotions de départ, qui sont toujours ramenées à celles des "nations", des "Etats", des "continents", mais, étrangement, jamais des personnes, se retrouvent opportunément associées à trois notions conceptuelles qui ne se trouvent pas sur un même niveau de comparaison et ne sont donc pas contradictoires les unes aux autres : « le monde occidental est essentiellement caractérisé par la peur, le monde arabe par l'humiliation et le monde asiatique par l'espoir » (p.207). Où l'on ne sait pas en quoi arabe s'oppose à asiatique et asiatique à Occident (le Japon ? La Turquie ? la Tunisie depuis les attentats n'est-elle pas occidentale ?, etc.).
Enfin, pour parfaire le tout, il est proposé deux "scénarii" en fin d'ouvrage, écrit en 2015, sur la situation du monde (rien que cela) en 2025 et dont il est dit de l'un des deux : "Quant au scénario le plus optimiste, je suis assez réaliste pour savoir qu'il n'est qu'un rêve » (p.230). La fantaisie de cet essai très "objectif" ou "scientifique" est donc revendiquée d'un bout à l'autre du texte, peut-être pas tout à fait consciemment, car à ces deux scénarii fait suite un sous-titre : « Face à l'intolérance, une seule réponse, le savoir ». Nous aurions plutôt suggéré, plus sûrement, à cette lecture, que ce soit le roman qui soit une solution à l'intolérance. Mlle de Sudéry avait déjà proposé une carte des émotions qui se nommait la carte de tendre où soumission, perfidie, médisance étaient des régions, de même que tendresse, amitié et amour. C'était romantique et dépaysant. Mais quant à savoir pourquoi cette "digression" contemporaine qui trace des frontières entre "peur", "humiliation" et "espoir" n'est pas éditée dans la catégorie roman, voilà qui reste une énigme.
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On lit l'écrit de Dominique Moïsi comme si l'on était directement en train d'avoir cette discussion intellectuelle avec lui. le style est donc agréable et fluide.
Nous ressentons les valeurs humanistes de l'auteur à travers ce livre. Cependant, il ne pousse pas, selon moi, assez la critique du monde de la fin des années 2000. Il n'y a pas de réelle remise en cause des systèmes politiques dits démocratiques. Pareil pour l'Union Européenne, ses échecs viennent surtout du fait que c'est une Europe technocratique et seulement économique. L'auteur évoque ces limites mais il ne se contente que d'une critique molle à leur égard. le fait de ne pas questionner réellement le système en place et de compter sur l'espoir qu'une génération de dirigeants éclairés pourront remédier aux problèmes nous fait arriver à la situation d'aujourd'hui. Celle-ci est plus proche du scénario pessimiste, proposé par l'auteur lors de son exercice de pronostiques pour le futur, que de l'optimiste.
Enfin, petite réserve, l'auteur dit lui-même que l'Afrique est un continent qui est peu considéré mais il ne le traite que de façon minime. L'Amérique latine a, elle, eu droit à une critique (un peu paternaliste) sur son penchant pour le populisme (développé l'étude de ce continent aurait était enrichissant pour sûr).
Donc un livre agréable à lire même si je ne partage pas beaucoup des points de vue de l'auteur.
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Plutôt que de proposer une explication géopolitique des principaux conflits dans le monde, par des termes économiques, stratégiques ou encore militaires, Moïsi propose une analyse par les émotions : brillante idée, puisque l'on pénètre rapidement les explications, qui font appel à nos sentiments les plus profonds.
Les différents points de vue expliqués et retranscrits en émotion sont plus qu'intéressants et aident à la compréhension de ses "autres" que l'on craint.
Si l'on peut trouver des failles dans le suivi de la thèse, elles font néanmoins réfléchir et appellent à reconsidérer rapidement notre position face au monde changeant, et dont l'issue est plus qu'incertaine.
Un bouquin prenant et marquant, sans aucun doute !
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L'auteur tente d'analyser la géopolitique actuelle (et future) à partir de 3 émotions choisies : l'humiliation, la peur et l'espoir
L'humiliation est tournée vers le passé contrairement à la peur et l'espoir.
Cette approche m'est surprenante mais permet en effet de commencer à expliquer certains comportements.
Bien sûr, ces "conclusions" (ou plutôt "tendances") sont partielles et fragiles.
Il faudrait élargir le champs des émotions ou penchants retenus (individualisme, humanisme, cupidité, générosité, couardise, courage..) et aussi être capable d'être culturellement neutre pour appréhender toutes les cultures sans les biaiser par la notre
A noter l'ouvrage date de 2010 et tente 2 projections extrêmes (donc caricaturales) à 2025.
La pire et la meilleure selon lui.
Elles restent "valables" mais à un horizon certainement plus lointain... Sauf si les urgences climatique et écologique sont enfin réellement prises en compte.
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Plutôt que de proposer une explication géopolitique des principaux conflits dans le monde, par des termes économiques, stratégiques ou encore militaires, Moïsi propose une analyse par les émotions : brillante idée, puisque l'on pénètre rapidement les explications, qui font appel à nos sentiments les plus profonds.
Les différents points de vue expliqués et retranscrits en émotion sont plus qu'intéressants et aident à la compréhension de ses "autres" que l'on craint.
Si l'on peut trouver des failles dans le suivi de la thèse, elles font néanmoins réfléchir et appellent à reconsidérer rapidement notre position face au monde changeant, et dont l'issue est plus qu'incertaine.
Un bouquin prenant et marquant, sans aucun doute !
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Dans le cas de l'Occident, l'instinct de conservation commanderait que nous retrouvions le sens des valeurs universelles. Nous aimons prêcher la supériorité de notre modèle démocratique et la nature unique de notre système de protection sociale par comparaison avec la Chine et l'Inde. Mais ces valeurs sont-elles réellement mises en pratique dans nos propres pays ? Posons-nous la question et osons y répondre honnêtement, quoi qu'il en coûte. (p. 250)
Ce qui domine le monde musulman, psychologiquement et émotionnellement, c'est le sentiment d'humiliation politique et culturelle, ainsi qu'une soif exacerbée de dignité. (p.101)
La culture de la peur réduit le fossé qualitatif qui existait autrefois entre les démocraties et les régimes non démocratiques car elle pousse nos pays à violer leurs propres principes moraux, fondés sur le strict respect de l'état de droit. Si nous continuons à prêcher des valeurs que nous ne mettons plus en pratique, nous perdrons notre poids moral et notre pouvoir d'attraction. (p.150-151)
Les quêtes identitaires ont remplacé l'idéologie comme moteur de l'histoire: dans un monde où les médias jouent le rôle d'une caisse de résonance et d'une loupe grossissante, les émotions comptent plus que jamais. (p.18)
Le contraste entre l'idéal et la réalité des pratiques démocratiques dans de trop nombreux pays occidentaux et non-occidentaux explique en partie le transfert de puissance de l'Amérique à l'Asie. (p.29)
La géopolitique des séries, Dominique Moïsi