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Certains me reprochent parfois cette manière que j'ai de terminer mes avis par la petite ritournelle " ceci n'est que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose ". Il n'est pourtant rien de plus vrai à mes yeux et, si reproche on doit faire à cette ritournelle, c'est sur son imprécision. La forme correcte devrait être " ceci n'est que mon avis DU MOMENT, c'est-à-dire, pas grand-chose. "

En effet, il m'arrive quelquefois de ne pas me trouver d'accord avec moi-même. Entre ces deux moi(s), s'étalent parfois deux décennies. Et c'est le cas ici avec Dom Juan.

J'ai lu cette pièce pour la première fois alors que j'essuyais encore les bancs du lycée avec mes robes à fleurs. Et le Dom Juan d'alors ne m'avait pas séduite. Une pièce plate, sans farouche déplaisir, mais absolument sans enthousiasme. Et cette fin surprenante m'avait totalement laissée insatisfaite.

C'était donc un souvenir tout ce qu'il y a de plus médiocre. Très récemment, je viens de relire Dom Juan, et là, rien n'est pareil. Là j'ai pris plaisir, là je comprends pourquoi cette pièce est si connue et si réputée. Mais quel est le bon avis ? Celui d'alors ou celui de maintenant ? Probablement aucun des deux. Les deux sont valables, les deux ont leur légitimité propre et les deux sont superflus, les deux ne veulent dire que ce que ressent ma sensibilité du moment, c'est-à-dire, pas grand-chose.

Il est vrai que j'ai désormais en mémoire l'original de Tirso de Molina. Ceci me permets de mesurer les distorsions, les innovations, les apports et parfois les entorses faites par Molière à la trame originale.

La statue du commandeur est quasi incompréhensible chez Molière alors qu'elle représentait chez Tirso de Molina le père noble d'une femme sincère humiliée. Un vieux père qui avait trouvé assez de courage, malgré son grand âge, pour aller défier le jeune et fringant Dom Juan, qui l'avait alors terrassé sans coup férir. La statue du commandeur venait décorer le monument élevé sur la tombe de ce noble seigneur disparu et Dom Juan avait encore trouvé le moyen de provoquer le souvenir même de cet homme en s'adressant à la statue comme pour la ridiculiser.

On comprenait le pourquoi du comment et la symbolique de cette statue de pierre. Ici, c'est beaucoup plus nébuleux et — je crois — c'est fait exprès. Notons au passage que la pièce originale avait pour titre complet L'Abuseur de Séville Ou le Convive de Pierre, lequel convive de pierre s'est transformé en festin de Pierre, dont on ignore bien de quel individu nommé Pierre il s'agit... mystère...

Autant le dramaturge espagnol dénonçait sans ambages les dérives libertines de la noblesse, et en ce sens, l'oeuvre française la plus proche serait probablement Les Liaisons Dangereuses de Laclos, autant Molière semble avoir quelque affection pour son héros, on sent que derrière le discours officiel qu'il fallait tenir devant le roi et surtout devant les autorités ecclésiastiques, il y a un vrai pied-de-nez de Molière qui n'en pense pas un traitre mot. Il initie donc une tendance nouvelle qui consiste à trouver une certaine grandeur à Dom Juan, ce que ses suiveurs reprendront parfois à leur compte, tel Pouchkine.

On comprend aussi le Dom Juan de Molière quand on le replace dans la filiation des pièces de son auteur, juste après le Tartuffe, pièce qui dénonçait l'hypocrisie et les faux dévots. Car je crois bien que ce n'est pas tant la question des femmes qui est ici en jeu qu'un bras de fer avec la religion.

Et le message du Poquelin est, à l'exacte image du Tartuffe, que ceux qui crient, qui hurlent, qui martèlent en public leur foi et leur conduite irréprochable selon les prescriptions divines n'en sont pas moins en privé d'avérés coquins et qui prennent donc le monde pour un petit enfant naïf.

On sent que Molière veut que son Dom Juan soit apprécié. Ce n'est pas un couard, il est capable de sentiments nobles, il veut penser par lui-même et non ce qu'on lui dit de penser. Il veut sa totale liberté et s'il perd sa franchise, s'il devient hypocrite, c'est seulement à cause des autres, à cause du carcan de la morale.

C'est un cartésien et un viveur, il veut prendre les plaisirs là où ils sont et exprime clairement sa relation à la femme comme une lutte, une bataille de tous les instants. Pour lui, si la femme n'est pas assez experte pour exciter toujours la brûlure du désir, alors elle n'a pas d'intérêt. D'une certaine manière, selon son raisonnement, si la femme est trompée, c'est de sa faute. D'ailleurs, Done Elvire, lorsqu'elle redevient inaccessible retrouve du même coup un surcroît d'intérêt à ses yeux.

Avec Dom Juan, une nouvelle fois, Molière fait dans le commercial (j'ai déjà eu l'occasion d'argumenter ce point, notamment pour les Fourberies de Scapin). La pièce, créée 35 ans plus tôt en Espagne avait été abondamment reprise par les Italiens et elle faisait régulièrement salle comble à Paris, sous diverses formes remaniées. Certes, on peut peut-être lui en faire reproche encore une fois, mais il a le génie de savoir lui insuffler sa touche à lui, et quelque chose qui apporte à l'épaisseur et à la complexité du personnage.

Cette pièce, qui était une tragi-comédie à l'origine en Espagne, devient franchement plus burlesque entre ses mains, tout en ne lâchant rien sur le propos entamé dans le Tartuffe avec lequel il pourrait presque constituer un diptyque.

Je vous conseille donc bien plus vivement qu'il y a vingt ans cette pièce mythique, au besoin, en ayant lu au préalable la version originale de Tirso de Molina, El Burlador de Sevilla, qui apporte, par contraste, de nombreuses clefs de compréhension de l'oeuvre de Molière.

Mais ceci, bien sûr, n'est que mon avis du moment, c'est-à-dire, bien peu de chose.
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Dom Juan est un terrible séducteur, à l'assaut de nouvelles conquêtes amoureuses au prix du désespoir de certaines de ses victimes...
Sganarelle est son valet, un peu bouffon, mais aussi fidèle à son maître, qu'il n'aime tout de même pas.
Ces deux personnages font tout le génie de Dom Juan, pièce de Molière, qui fût censurée à l'époque par sa moquerie des "faux dévots".
Et pourtant, Molière mêle dans son récit une touche d'humour, comme dans toutes ses comédies, mais surtout une critique de la société de son époque (en particulier de la médecine et de la religion), qui rende cette pièce de théâtre profonde et d'une sincérité remarquable.

J'aime beaucoup Molière, le grand Jean-Baptiste Poquelin, dont je voulais découvrir Dom Juan depuis un certain temps ; le hasard est bien tombé puisque j'ai enfin pu, avec grand plaisir, découvrir cette oeuvre !

Ainsi, je ne peux que recommander Dom Juan à tous ceux qui veulent le découvrir, en ajoutant simplement qu'il est différent des autres oeuvres de Molière, car moins comique mais plus symbolique.

Un grand plaisir !
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Don Juan est un beau parleur pour qui seule importe la conquête, quoi qu'il lui en coûte. Dans son désir délirant d'absolu, il veut le plus de femmes possible, pareil à un collectionneur.

Sitôt qu'il a obtenu les faveurs attendues de l'objet de sa convoitise, il le délaisse comme un être sans la moindre importance. Don Juan est l'archétype du séducteur : c'est un jouisseur irresponsable. Dans une scène révélatrice de sa grande vicelardise et par ailleurs extrêmement comique, il veut se ménager les bonnes grâces de deux femmes à la fois, faisant semblant de favoriser chacune d'elles par messes basses alternées. Il fait ainsi passer l'autre pour folle et va jusqu'à les monter l'une contre l'autre.

C'est le type même du pervers qui bousille tout ce qu'il touche en le corrompant. Il finit bien sûr, ne pouvant dissimuler très longtemps ses tromperies, par liguer ces femmes contre lui. Il accumule et traîne des casseroles si nombreuses qu'elles le conduisent fatalement à sa perte. La morale qui clôt l'histoire est forte, rapide et sans ambiguïté. Elle est comme le châtiment divin de celui qui brave la loi et la religion. C'est une excellente pièce très éclairante quant à l'actualité. Molière a magistralement peint le caractère perpétuellement insatisfait, dénué de tout scrupule, flagorneur et empoisonnant du séducteur invétéré.

« Les inclinations naissantes, après tout, ont des charmes inexplicables, et tout le plaisir de l'amour est dans le changement. » Acte I, Scène 2
Et pour Don Juan, le changement c'est tout le temps.

Il est frappant de reconnaître dans la description de ce personnage le comportement de quelques représentants de la classe de l'homo politicus : toujours en quête de voix, en campagne ; promettant tout ce qui peut faire plaisir et ne voulant jamais décevoir ; prisonnier d'un besoin maladif de conquête ; incapable d'assumer ses actes. J'arrête là. le parallèle est total.

Pour qui sait manipuler les mots, il est facile d'exalter les coeurs et s'ouvrir ainsi le chemin du Pouvoir. La conquête seule est grisante pour les Don Juan. Ils y concentrent toute leur énergie. L'exercice ne leur est d'aucun intérêt. Ce sont des êtres vides.
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De toutes les pièces de Molière, celle-ci est ma préférée. Peut-être parce qu'elle a un aspect moderne !

Molière a derechef brisé toutes les règles classiques de la grande comédie. L'unité du temps et du lieu, l'unité de l'action aussi. C'était, je crois sa première grande comédie en prose. Il l'a réussie ; une prose classique au sens pur du terme. Une prose truffée d'alexandrins. Cette pièce a réuni le plan comique et le plan tragique, le théâtral et le romanesque. le thème du séducteur puni, thème en vogue qui a inspiré tant de farces, a donné naissance à une merveille du genre.

On est stupéfait lorsqu'on sait que Molière en écrivant Dom Juan a voulu combler le vide qu'il y avait après l'interdiction de son Tartuffe. Est-ce que cela veut dire que si cette dernière ne fut pas retiré de la scène, on n'aurait pas eu cette merveille ? si oui alors merci messieurs les dévots ! ces mêmes dévots qu'il a critiqués et ridiculisés.

Dans cette pièce, j'ai retrouvé ce couple maître-valet (ou amis), situation que j'aime en littérature (Jacques et son maître, Pantagruel et Panurge, Lituma et Silva, Figaro et le comte …). le contraste entre Dom Juan et son valet est plaisant, le séducteur espiègle et le valet étourdi. Leurs échanges sont un vrai délice entre le cynique et impie Dom Juan et le moralisateur superstitieux qui est Sganarelle. le maître aussi sûr de lui qu'un père Ubu, fier et calculateur comme un Valmont et le valet (aussi important dans cette pièce) soumis et confident malgré lui. La multitude des épisodes rapproche cette pièce au genre romanesque, des épisodes aussi captivants les uns que les autres. Avec cette scène merveilleuse avec le mendiant et celle fantastique avec la statue, etc.

Molière a voulu en même temps retrouver la scène avec une pièce plus exemplaire au niveau moral (le séducteur athée puni par la Providence), mais en même temps critiquer les hypocrites. Mais peut-être comme Stendhal, il fallait dédier cette pièce to the Happy Few, car ses contemporains l'ont trouvée blasphématoire.
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J'ai lu la pièce en cours de français au lycée. Je l'ai vue mise en scène et interprétée par Philippe Torreton au théâtre Marigny en 2007. Eh bien j'ai l'impression de la redécouvrir complètement.
C'est à coup sûr l'effet de l'analyse de la préface qui m'a mâché le travail et orienté la réflexion (je lis la pièce dans le tome 2 des Oeuvres complètes chez GF), mince alors !

Bon je ne suis pas un robot non plus. Simplement j'ai trouvé que l'analyse collait bien, au moins sur certains points.
D'abord il est toujours intéressant de découvrir l'histoire de la pièce elle-même, ses origines (espagnoles), sa réception (pas terrible) et encore une fois – Molière y était abonné décidément – les débats et scandales qu'elle a générés. J'ai été ébahi d'apprendre que le texte original de l'auteur a été enterré peu après sa mort au profit d'une version édulcorée. Il a fallu attendre 1847 pour que la Comédie Française se décide à reprendre l'original.
Ensuite j'ai bien noté cette fois à quel point les actes sont séparés les unes des autres dans le temps et l'espace (certains fondamentalistes de la règle du lieu et du temps ont dû s'étrangler, lol). Cela m'a donné une impression de lire des épisodes, séparés par des ellipses, qui améliorent l'esquisse de la personnalité de Dom Juan.

Et quelle personnalité ! Dom Juan génère des sentiments contrastés. J'envie sa liberté ; j'applaudis son athéisme et son humanisme. Il ne fuit pas le danger et lui fait face au contraire, que ce soit le duel avec Dom Carlos ou le déjeuner avec la statue du Commandeur. Mais son humanisme et sa liberté sont avant tout égoïstes. Il écrase la liberté des autres pour que la sienne prenne son envol, ce n'est pas grave. Sa façon de traiter ses conquêtes féminines et fait foi, tout comme ceux à qui il doit de l'argent.
Bref il m'évoque les sentiments ambigus qu'on peut ressentir devant des Bonnie and Clyde, ou un Mesrine.
Le changement de comportement de Dom Juan au dernier acte, beaucoup plus hypocrite, détonne. Comme si la première rencontre avec la statue l'avait tout de même secoué et qu'il cherchait à s'épargner, à faire amende honorable du moins en apparence. Cela ne le sauvera pas. Justice divine sur un être humain qui se moquait des Dieux ; cela fait très « mythologie grecque ».

J'ai aussi trouvé que, hormis le dernier acte, le ton était tout de même largement à la farce. Car c'est souvent le valet Sganarelle qui décrit son maître, qui n'a pas de mots assez durs contre lui en aparté et qui, dès que Dom Juan paraît, retourne son discours vers un panégyrique. Il y a aussi les tirades contre les médecins, l'une des proies favorites de Molière. C'est fin et c'est drôle. le ton que j'aime chez l'auteur.

Comme quoi lire une pièce à tête reposée a du bon. On y redécouvre toujours quelque chose.
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Le livre jubilatoire de Boulgakov le roman de Monsieur de Molière m'a donné envie de relire ses pièces.

J'ai ressorti l'Édition du Livre de Poche en 4 volumes de 1963, que j'avais en bonne partie laissé dormir durant 60 ans. Et découvert, avec étonnement, les soulignements, paraphés encadrés, notes manuscrites que j'y avais laissées. Était-ce pour la première partie du Bac que l'on passait alors en Première, dans les années 1960? . Je ne me souviens pas.
Ça m'a fait penser que le grand Molière vaut bien plus que d'être un auteur pour manuels scolaires. D'ailleurs, sa relecture que je fais « en pointillés » m'impressionne. Par les thèmes qu'il choisit, je me dis que, même s'il était plus ou moins protégé par le grand Louis XIV, il était bien courageux, le Molière, de s'attaquer, entre autres, aux dévots hypocrites, aux médecins incompétents, aux vieux barbons tenant les jeunes filles sous leur domination, aux snobs et aux snobinettes, aux bourgeois prétentieux. Et que beaucoup de ces travers sociaux sont toujours présents et ce serait toujours dangereux d'en aborder certains (qui oserait de nos jours faire une pièce comique sur les talibans, sur le traitement des femmes en Afghanistan? Et sur les évangélistes en Amérique?).

Parmi toutes ses pièces, le Dom Juan m'a toujours fasciné.
D'abord parce que j'ai le souvenir fort de la version télévisée de 1965, tournée en extérieur, avec Michel Piccoli et Claude Brasseur dans les rôles de Dom Juan et de Sganarelle. La beauté de la mise en images, l'interprétation des acteurs (Piccoli, un Dom Juan hautain et cynique, Brasseur un Sganarelle moralisateur et lâche), ça ne s'oublie pas.

L'autre raison, soulignée par beaucoup sur ce site, est qu'elle est à la fois une tragédie et une comédie, ce qui est unique chez Molière, encore que d'autres pièces comme le misanthrope sont plus grinçantes que comiques.
Dom Juan est une pièce sombre dans laquelle Dom Juan s'affranchit de toutes les règles, méprise les humains, femmes et hommes, défie Dieu, jusqu'à son châtiment. Et une pièce comique, par exemple les savoureux dialogues patoisants entre Pierrot et Charlotte au début de l'acte II, celui de Dom Juan avec son créancier, Monsieur Dimanche, ce dernier n'arrivant pas à placer un mot, etc…

J'ai été encore une fois impressionné par cette pièce de théâtre.
Par les thèmes qu'elle aborde de façon subtile:
Le « donjuanisme ». Cette attitude,que l'on considère de nos jours comme pathologique,est remarquablement décrite par Molière. Ce n'est pas tant de posséder les femmes, de jouir d'elles, que la volonté folle, effrénée de conquêtes, boulimique, addictive dirait-on de nos jours. En fait, c'est l'ivresse de l'entreprise qui est désirable, plus que le résultat; avec l'étrange obsession: je cherche à trouver celle qui me résistera. Dom Juan ne va-t-il pas jusqu'à dire cette phrase insensée: « Je souhaiterais qu'il y eût d'autres mondes pour pouvoir y étendre mes conquêtes amoureuses ». Notons que cette mégalomanie de la conquête, ici amoureuse donc plutôt bénigne, on la retrouve en bien pire dans l'Histoire chez les grands conquérants: Alexandre, Napoléon, Hitler,…., et de nos jours chez un Poutine, ou….chez un Elon Musk.
Le refus de se plier à toute contrainte sociale. le rang aristocratique que Dom Juan occupe dans la société justifie selon lui,qu'il ne soumette à aucune exigence, telle celle de payer ses créanciers, ou tout simplement de tenir sa parole. Est-ce une critique des nobles qui refusaient de se soumettre à l'autorité de Louis XIV? Je ne saurais le dire. En tout cas, et de la part de Molière, je dirais que c'est « bien vu », le seigneur Dom Juan n'hésite pas à prêter main-forte à ceux qui sont nobles comme lui, ici Don Carlos, le frère d'Elvire que Dom Juan a abandonnée.
Le refus de se soumettre à l'autorité divine, et même la volonté de la nier. Dom Juan n'est pas un athée, à proprement parler, mais un homme qui se considère comme l'égal de Dieu, qui défie Dieu, ce qui le conduit à sa perte. Mais, je trouve, Molière laisse planer le doute. Dans sa volonté farouche d'étreindre son destin, Dom Juan est-il un impie, ou un héros? La question reste ouverte. Certes, les dernières phrases dites par Sganarelle, soucieux uniquement de savoir « qui paiera ses gages » , désamorcent le geste provocateur et fou de Dom Juan qui le précède, mais on se dit quand même « Qu'en pense vraiment Molière, de l'attitude de Dom Juan? », et, en ce qui me concerne, je suis bien en peine d'avoir la réponse.

Dans la pièce, aussi, Sganarelle fait un bien curieux valet, comme une sorte de contrepoint aux actions de Dom Juan, un valet qui sermonne son Maître, mais pas trop, de peur de prendre des coups ; un hypocrite qui dit pis que pendre de son Maître hors de sa présence, et le contraire quand il est là.
Un bien étrange tandem que ces deux là, qui ont besoin l'un de l'autre, et où je me suis demandé si Sganarelle ne prenait pas un plaisir obscur aux actions de son Maître, du moment où il n'y était pas impliqué, lui, et si Dom Juan n'aimait pas un valet qui lui résiste,et auquel il pouvait se confier.

Il y aurait tant d'autres choses à dire: le thème de l'hypocrisie à nouveau évoqué après le Tartuffe, la critique du beau-parleur manipulateur, etc…
Et pour terminer il y a l'écriture, si belle, avec de temps à autre, dans cette oeuvre en prose, des alexandrins cryptés. C'est un régal de lire à haute voix certaines tirades.

En conclusion, une oeuvre subtile, équivoque, d'une grande profondeur, et d'une incroyable modernité.
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D'une modernité déconcertante, le Dom Juan de Molière mêle avec art tous les registres possibles et inimaginables : du comique le plus burelesque (gifles et autres soufflets) à l'héroïne pathétique figurée par la belle Elvire, en passant par le tragique ou l'épique, cette pièce n'a eu de cesse de déconcerter son temps, et le notre par la même occasion.

Mais rendons à Dom Juan ses titres de noblesse : là où la postérité n'en a gardé que l'image d'un vil séducteur, j'y vois un grand philosophe, qui aurait aisément débattut avec Sartre ou avec Camus. Dom Juan oscille constamment entre un existentialisme exacerbé, assumant et, même, revendiquant jusqu'à son dernier souffle, ses actes les plus méprisables, et une révolte contre l'absurdité : les normes sociales deviennent vides de sens dans la bouche d'un tel libre-penseur qui fait figure de révolté face à l'insoutenable absurdité de la vie !

En cela, me semble-t-il, Dom Juan se rapproche de Caligula. Certes, le verbe de Molière a vieilli et gêne parfois la compréhension ; certes les scènes comiques des gifles, des chutes et autres ridicules n'ont plus la même verve pour les "modernes" que nous sommes... mais enfin, les questions qu'il soulève n'en sont pas moins toutes plus modernes les unes que les autres.

Ses comtemporains, accablés par le caractère impie de ce héros, ont réussi à flouer la postérité en accablant l'homme qui me paraît le plus courageux qu'il soit : celui qui, envers et contre tout, s'assume et rêve d'une liberté absolue.

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La femme est une fleur délicate que Dom Juan aime cueillir.
En lui contant fleurette, la petite graine arrosée par une pluie de mots doux devient fleur bleue.
Poussée par ces jolis chants d'oiseaux qui flattent la beauté de ses pétales, notre jolie fleur dégage un parfum enivrant.
Dom Juan ne pouvant plus tenir, butine la fleur et goûte à son nectar.
Notre Dom Juan ne se contente pas d'un seul bouquet, son jardin déborde de fleurs variées : de la plus convoitée à la plus sauvage, de l'orchidée à la fleur des champs, ce qui compte c'est l'exotisme de la nouveauté.
Ce jardin luxuriant commence à sentir le sapin : des fleurs étaient déjà en pot poussant ses rivales à fleur de peau.
Loin de la morale sociale et religieuse, le pot aux roses de cette vie charnelle va lui couper l'herbe sous le pied.
Telle une mauvaise herbe, il doit être déraciné pour l'empêcher de se propager.
Dom Juan, la fleur au fusil, reste fidèle à ses désirs de liberté, dur de la feuille, il accepte sa destinée : mourir dans la fleur de l'âge pour être libre d'aimer toutes les fleurs du verger.
Si j'ai été recouverte d'une chaleur agréable et fleurie tout au long du récit, la brise de la fin m'a refroidie ne laissant qu'un paysage de feuilles mortes rabougries.
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Doté d'une surprenante modernité, ce classique de Molière est sûrement l'un de ses textes les plus réussis !

Dom Juan est un séducteur, qui n'hésite pas à passer ouvertement d'une fille à une autre. Il le revendique durant tout le récit : pourquoi rester avec une fille alors que tout un tas d'autres lui plaisent tout autant, voire plus ?
Ce comportement libertin va lui apporter les foudres de ses conquêtes, de ses valets et serviteurs, et de tous ceux qui croiseront son chemin.

Un livre très court, mais très intéressant, qui comporte de nombreux passages clés. En effet, ce récit est tellement bien écrit, additif et intelligent, que le peu de pages qu'il comporte me désole. La magie de la plume de l'auteur a opérée, mais elle s'est trop rapidement éteinte.

Mêlant comme à chaque fois, de l'humour dans ses écrits, Molière nous offre ici un texte comique (notamment avec les personnages comme Sganarelle), avec de nombreuses valeurs moralistes.

Dans Dom Juan, Molière réitère les rapports maître/valet, et nous montre ici une très forte complicité entre le protagoniste et son serviteur. Même s'ils ne partagent pas les mêmes opinions, ils se comportent comme de parfaits confidents, prêts à tout l'un pour l'autre. Un moment fort en émotions, qui ne devrait pas laisser indifférent.

Le dénouement, quant à lui, est tragique, tout en gardant une petite touche de comédie. Je ne vais pas vous révéler cette fin, pour vous laissez la totale surprise au moment de la découvrir, mais la seule chose que je voulais souligner, c'est la rapidité à laquelle elle est survenue. En une seule et même scène, qui fait grosso modo 3/4 pages, l'histoire est bouclée, les personnages périssent et tout se termine... très rapide tout ça...

Dom Juan se présente comme le récit théâtral d Molière que j'ai le plus apprécié tant il est complet, traitant de nombreux sujets divers. A lire absolument !
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Tragédie exemplaire ou farce bouffonne ? Dom Juan ou Sganarelle ? Les deux à la fois, le maître et le valet, deux extrêmes inséparables qui se rejettent, se repoussent et se complètent l'une l'autre.
Héros légendaire Dom Juan est devenu mythique, il vit depuis que le monde existe, peut-être même avant. Est-il devenu une allégorie philosophique ?
Pièce en cinq actes et en prose (grande surprise au XVIIe siècle), Dom Juan a connu un succès immédiat en 1665, l'année de sa création mais seulement pour 15 représentations. Après, critiqué et attaqué, il tombe dans l'oubli pour plus d'un siècle. Et dire qu'il a été écrit après un Tartuffe interdit !
Dom Juan esprit fin chassant toute entrave, est un libertin, un bourreau des coeurs, athée, fils indigne, hypocrite, opportuniste, insolent, et son indifférence aux valeurs sociales de l'époque comme aux devoirs dans toute relation humaine frise le mépris. Etre de démesure et d'excès, il ne trouve son pendant que dans le personnage de Sganarelle, son ombre (comme inséparable et comme contraire en même temps), son écho et le rappel sans succès à un travail de conscience.
Dom Juan, non seulement il ne l'écoute pas, d'ailleurs il n'écoute personne, mais en fait tout le contraire. Est-ce pour prendre ses distances avec les autres et lui-même ? Est-ce pour marquer sa liberté de pensée et d'action ? le ton est grave et profond sous ses habits légers de comédie.
Se détachant constamment de lui-même, Dom Juan devient une sorte de miroir, non pas réfléchissant, mais interrogateur, accusateur et approbateur à la fois. Personnage mystérieux, fuyant les autres et sa propre personne, il est instable en tous points. Incohérent par toutes les contradictions dont il est construit, Dom Juan est par cela même très cohérent ! Ambigu et fort complexe, il s'attire la sympathie (celle des intéressés), et le blâme, dans un désordre où le seul maître est Molière, jongleur parfait avec l'audace et la maîtrise. L'auteur reste neutre, sans position, et laisse à ses lecteurs entière liberté de réflexion.
Le dramaturge prend ses aises avec la règle classique des trois unités, la retravaille et en extrait l'essence. Les lieux sont multiples tout comme les péripéties accumulées, et une continuité logique des actions vole en éclats quand le fortuit règne. Unique lieu, Sicile, grande île mais encerclée d'eau, la fuite est impossible.
Alors, au lieu de convergence la pièce nous offre la divergence. le héros n'est pas stable, n'a pas de racines, se désintègre psychologiquement, fuit tout et va à sa perte au festin de pierre, le souper avec la statue en pierre du Commandeur, pierre de mémoire, pierre funéraire, là où tout s'arrête et tout disparaît.
Molière a feuilleté ses devanciers, s'en est inspiré, a accumulé faits et personnages et s'en est libéré en les remodelant, par éliminations, rajouts et transpositions, pour créer finalement une oeuvre magistrale de style, de mise en scène et de profondeur d'analyse. Plus nous la lisons, plus elle se "dévoile" et nous présente les multiples interprétations que nous pouvons faire de l'histoire et des personnages. Un mythe qui traverse les âges et garde sa surprenante jeunesse.
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