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EAN : 9782020301985
216 pages
Seuil (25/02/1997)
2.5/5   3 notes
Résumé :
Binguel ("p'tit môme" en langue peule) ne rêve qu'à une chose : fuir la maison familiale où règnent son père, le tyrannique Môdy Djinna, et les deux épouses de celui-ci. L'une, Néné Goré, est mourante ; l'autre, Mère-Griefs, ne cesse de l'accabler de reproches. Au-dehors non plus, rien de bien exaltant. D'un côté le fouet de Karamoko, l'illustre maître de Coran qui a voué sa vie à Dieu et voudrait bien y consacrer aussi celle de ses ouailles. De l'autre, Mademoisell... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
"Cinéma", Tierno Monénembo

Tierno MonénemboDire que Tierno Monénembo est un artiste, un vrai, n'est pas un scoop. Il a le rare talent de camper des personnages ordinaires qui sortent de l'ordinaire, de décrire avec une doigté d'orfèvre et un réalisme dramatiquement drôle et étonnant les lieux où s'affrontent ses personnages pour ne pas dire ses acteurs, notamment dans son cinquième roman intitulé Cinéma qui raconte l'histoire d'un jeune garçon se déroulant dans la ville d'origine de l'auteur, Mamou.

S'il y a des rencontres qui vous propulsent d'un monde à autre, c'est celui que le jeune Binguel a fait avec Ardo, cireur de chaussures et Benté, caïd mordu de western américain. Sa vie jusqu'alors se partageait entre la présence intimidante de Mody-Djinna, son père, tendre et exigeant, les sévices du directeur de l'école, M. Camille, et l'éducation religieuse chez Karamoko, dont la cruauté sur le jeune garçon se mesure à l'amour qu'il lui porte. Benté l'initie au western américain, l'entraîne dans le monde du vice et tel un gourou ou un Moïse des temps modernes, lui édicte les huit commandements qui doivent façonner sa vie pour qu'il mérite le sobriquet qu'il iui affuble, l'Homme de l'Ouest. Ce hâbleur devient naturellement son modèle, son héros à l'image de ceux du cinéma. Quant à Ardo, qui sera plus tard milicien et victime de la nouvelle dictature, il ouvre ses yeux sur les secrets et les histoires salaces qui se trament dans la ville de Mamou qu'il connaît comme sa poche. le tout est épicé, en arrière-plan, par le combat entre partisans et adversaires de l'indépendance de la Guinée, autour de 1958, et la musique envoûtante de Sarzan qui murmure page après page.

Les lieux et les personnages occupent toujours une part particulière dans l'oeuvre de Monénembo.

Mamou

Cette ville au centre de la Guinée où se passent les évènements devient tout simplement le désert de l'Ouest américain où s'étripent les cow-boys en la personne des protagonistes du roman. À la veille de l'indépendance du pays en 1958, le cinéma du Libanais Seny-Bôwal est plus qu'un centre névralgique, un épicentre urbain où la masse populaire de l'époque rêvant de liberté et d'émancipation par le truchement du septième art se rencontre toutes les semaines. Benté se nomme Oklahoma Kid tandis que Binguel est l'Homme de l'Ouest, tous deux héros du western. L'un des rares lieux où pouvait converger aussi toutes les composantes de la société. D'un côté, les indigènes, la population locale, misérable et dominée, pour qui le cinéma était l'unique passe-temps. de l'autre, les colons blancs habitant dans un quartier à eux et baignant dans le luxe et le pouvoir.

Mamou est aussi « la vieille pute » qui « n'apporta pas au pays que la disette et les travaux forcés, les pastilles Valda et le choléra » mais aussi le chemin de fer et une gare importante dans le réseau ferroviaire de la Guinée. Et un tel malheur a tout naturellement engendré une grande présence de colons dans la ville.

Le marché de Mamou, lieu où se rencontrent quotidiennement tous les vendeurs et autres gagne-pain du centre et des environs, est l'autre endroit très animé où s'opèrent en plus des activités normales de vente et d'achat, le racket et le règlement de compte entre caïds. Sans oublier bien sûr les prestations fréquentes de l'orchestre de Sarzin qui a l'art de distiller la fête et de houspiller les pingres. Un espace qui sert aussi d'arène politique entre partisans et adversaires de l'indépendance.

Tierno décrit la ville avec un réalisme prenant et une peinture pittoresque à l'accent de vécu que l'on a l'impression qu'il nous raconte ses propres souvenirs, sa propre enfance dans Mamou à l'époque de la fin des années 50. Une thèse d'autant plus confortable si l'on se base sur trois éléments. Primo, à cette période Tierno, né en 1947, avait à peu près le même âge que le héros de son roman. Secundo, Mamou est la ville de naissance de l'auteur des Crapauds-brousse. Tertio, Monénembo (sobriquet et plus tard nom d'auteur) peut-il être considéré comme le pendant de Binguel, surnom du héros ? En tout cas, l'auteur jongle avec virtuosité sur la surnomination de ses personnages. On ne peut oublier en effet celui de Mody Djinna (Monsieur Diable) ou Néné Goré (Mère Camarade), père et mère du héros. Cependant, le parcours proprement parler de ce dernier est différent de celui de l'auteur.

Enfin pour résumer, Mamou est quelque chose de complexe, à la fois un personnage, un film western avec pour acteurs principaux, non pas Franck Miller ou Burt Lancaster mais Benté et Binguel, accompagnés d'une fascinante galerie de personnages secondaires, mais aussi une pute qui attire dans la ville toutes sortes de malheurs.

Personnages

Sensibles et attachants, les personnages du roman continuent à résonner dans l'esprit du lecteur longtemps après qu'il a fermé le livre. L'une de leur caractéristique marquante est leur ancrage profond et réaliste dans le milieu, le maillon social et/ou psychologique qu'ils représentent. Ils sont aussi très intéressants grâce à leur nom ou surnom, qui en plus d'être drôles, annoncent la couleur de leur caractère ou la nature de leur relation avec d'autres personnages. Ainsi le père de notre héros s'appelle Mody Djinna (Monsieur Diable) eu égard à l'autorité intimidante qu'il fait régner dans sa famille, fût-il en voyage comme souvent. Pour signifier la relation entre Binguel et sa deuxième mère, qui oscille entre tendresse et tension, cette dernière porte le sobriquet de Mère-Griefs. Dans la même foulée, l'enfant appelle sa mère biologique Nénè Gorè parce qu'il entretient avec cette grabataire une relation plutôt de camaraderie.

Binguel : héros narrateur, il incarne à la fois l'enfant rebelle qui veut s'émanciper de l'autorité de ses parents, le territoire de Mody Djinna, de l'école, où il est « abruti par l'ennui et la colère », de la norme de la société, en versant dans le monde de la déviance sous la férule de Benté et à l'imitation des acteurs du western. Il symbolise aussi la petite aristocratie indigène pendant et après la colonisation grâce au statut de son père ancien grand commerçant reconverti à l'indépendance en gérant d'une société étatique. En plus, héros malgré lui après avoir mis hors d'état de nuire le bandit de grand chemin, Bambadô, dont la tête était à mise.

Benté : caïd en concurrence avec Bambadô pour être le seul roi de la ville, il procède par racket et intimidation pour imposer sa respectabilité. Pour autant malgré leur différence d'âge, de statut social, une amitié teintée de snobisme et de crainte se créera entre lui et Binguel. Tout en traitant ce dernier de manière hautaine, souvent tel un objet, il l'initie au western, à l'extorsion de fonds, à l'alcool et même lui loue une pute quoiqu'il soit âgé de quatorze ans. Il lui enseignera aussi huit commandements, des balises qu'il se doit de suivre au premier degré s'il veut devenir un héros de la carrure de Benté. Toutefois malgré son côté intimidant, il conserve une dose de morale suffisante pour l'empêcher de franchir certaines limites dans ses actions déviantes, et même ce côté-ci va au fil des années prendre le dessus sur l'autre. Un changement de style qui à la fois étonne Binguel et érode le culte de héros qu'il lui vouait au début. Et enfin de compte ne le considérant plus que comme un antihéros qui a perdu toute son aura, il se projette tout simplement de tuer cet ancien mentor. Benté est par ailleurs l'emblème de cette jeunesse déboussolée, sans repères à cette période charnière de l'indépendance de 1958. Mais aussi, aux yeux de notre héros, le désenchantement, le trompe-oeil, le mirage, l'illusion qui à la fin finit par montrer son corps purulent, tel celui du personnage de King-Kong, corps dissimulé jusque-là par une lumière factice. En cela, il symbolise le désenchantement né des indépendances.

Ardo : aussi chétif que rusé, il sait se jouer des lois du bon Dieu comme de celles des hommes. Quoique venu de la campagne, il connaît la ville comme son propre village et la révèle à son ami Binguel avec l'assurance du grand conteur qu'il est aussi. Binguel aime beaucoup ce personnage atypique et disert qui le tire par ses révélations de son ennui à l'école ou à la maison. Il apprécie d'ailleurs plus la compagnie avec ce dernier que celle avec Benté, qui l'écrase de son autorité, alors qu'il se sent égal à Ardo. Fervent partisan de l'indépendance, Ardo deviendra milicien puis l'une des premières victimes du régime despotique qui étendait ses tentacules dans le pays, pour avoir révélé la construction d'un goulag dans la ville.

Massaloux : si tous les Français, l'un après l'autre avaient plié bagage après la venue des indépendances, ce dernier, malgré la méfiance pour ne pas dire le rejet dont il faisait l'objet dans cette société nouvelle, refusa tout bonnement de rentrer et pour boucler le boucle épousa une autochtone qui lui fit un enfant. Il trouvait dans ce pays quelque chose que le sien ne pouvait lui offrir. Une obstination qui rappelle aujourd'hui celle des étrangers mal traités mais qui sont prêts à mourir dans leur pays d'accueil et de rêve pour avoir ce quelque chose que le leur ne peut leur procurer.

King-Kong : ce fou venu d'on ne sait où et perché sur la décharge publique après l'amputation de ses jambes est à la fois une victime du totalitarisme et de l'injustice d'une société, les peuls, qui ont du mal à s'accommoder de la présence d'un étranger.

Bambadô : il traverse comme une ombre malfaisante tout le roman, pendant la colonisation et après l'indépendance. Il symbolise la double plaie que constituent ces deux périodes. Et sa mort sans doute, l'espérance de la fin de cette dictature qui s'installait en Guinée au début des années 60.

Style

Le récit : l'histoire alterne le présent et les souvenirs du narrateur depuis les soubresauts à la veille de l'indépendance jusqu'aux deux premières années où la dictature était en train de s'instaurer. Par contre, toute la narration se déroule en deux jours.

La langue : une langue comme une sauce africaine, assaisonnée de mots peuls, sentant l'odeur de légumes, frémissante de la légèreté du fonio avec le fumet d'une musique entraînante. Une langue souvent si élégante, si recherchée, si dense, que l'on croit entendre plutôt la voix de l'auteur que celle du jeune narrateur tout juste élève de l'école primaire.

Émotion et suspense : le roman tire sur une fin émouvante et pleine de suspense. Quelle sensation éprouve-t-il le lecteur quand après quatorze années de vie partagée entre tendresse et conflit, le héros découvre-t-il que celle qu'il avait cru être sa mère biologique ne l'était pas enfin de compte, ou plutôt il avait non pas deux mères mais une seule comme tous ses amis. Et que dire du happy end rocambolesque alors que l'on s'attendait à une fin tragique ou tout au moins à une condamnation après que Binguel a commis un meurtre. Un meurtre ? Oui ! Une condamnation ? Non ! Une légion de notables de la ville l'attendait en effet chez lui pour le remercier d'avoir débarrassé le pays d'une crapule en la personne de Bambadô qui a semé la crainte et le malheur impunément pendant des années. Une touche de tragi-comédie !

Cinéma est un roman musical, chorégraphique, drôle, et surtout beau.
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