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Victor Goldschmidt (Éditeur scientifique)
EAN : 9782081218116
1184 pages
Flammarion (16/06/2008)
3.83/5   140 notes
Résumé :
Le principe qui fonde cette oeuvre novatrice se situe dans le concept de "loi", non pas celui d'une loi universelle, puisque Montesquieu souligne la relativité des lois du fait de leurs conditions historiques, géographiques, climatiques et sociales, mais celui de l'universalité de la loi. "Au sortir du collège, on me mit dans les mains des livres de droit. J'en cherchais l'esprit", résumait Montesquieu. Avec lui, la loi prend une signification nouvelle qui domine to... >Voir plus
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LA MONARCHIE MODEREE OU LE CHOIX DE MONTESQUIEU

Plusieurs exigences conditionnent la liberté politique. le renoncement du souverain à l'absolutisme, ce qui se traduit par la sauvegarde des corps intermédiaires et l'entrée du peuple en tant qu'entité politique.

Mais aussi un agencement particulier des lois pour que « par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir », s'en suit une distinction des pouvoirs dans le prolongement de celle proposé par Locke en son temps, à savoir un pouvoir législatif, exécutif et judiciaire détenu par des organes distincts.

La monarchie constitutionnelle anglaise, au sein de laquelle il séjourna sert d'exemple à M qui y voit une porte de sortie à moindre coût pour une France où la monarchie absolue cause de sérieux dégâts tant au niveau économique que politique et social. M n'est pas dupe, l'Angleterre n'incarne pas dans les faits le régime qu'il décrit dans son oeuvre, l'emploi du conditionnel le prouve et il déclare lui-même « ce n'est point à moi à examiner si les anglais jouissent actuellement de cette liberté, ou non » mais c'est une analyse des textes et des lois que M entreprend.

UN POUVOIR REFORME

L'AVENEMENT DU PEUPLE, UNE CONSECRATION EN DEMI TEINTE

La première entrée du peuple en tant que corps institutionnel est judiciaire, en effet, M va assigner au peuple le rôle de magistrats. S'inspirant du tirage au sort des jurés populaire à Athènes, M y voit une façon de faire accepter les décisions de justices, souvent jugées iniques et pour cause. Mais le risque de faire du peuple un juge est limité par ses fonctions, M voit le juge comme « la bouche de la loi » ainsi il ne peut déroger aux lois édictées par le corps législatif.

La seconde entrée du peuple est plus édulcorée, il va être promu au rang de législateur, mais par directement, incapable lui-même de gérer les affaires il se dotera de représentants qui légifèreront sans pour autant être attachés aux volontés particulières de leurs électeurs. Peut-être M voit il l'urgence de donner sa place à une bourgeoisie qui nourrit quelques frustrations de sa condition.

S'« il faudrait que le peuple en corps eu la puissance législative » il ne pourra l'exercer qu'avec ce filtrage nécessaire des représentants, seuls à même de discuter les affaires « le peuple n'y est point tout propre, ce qui forme un très grand inconvénient de la démocratie ».

M va même plus loin en refusant à certains individus le droit de participer, c'est l'exclusion des citoyens jugés être dans un « tel état de bassesse qu'ils sont réputés n'avoir aucune volonté propre »

Enfin M récuse, 14 ans avant Rousseau et le Contrat Social, l'idée du mandat impératif car face aux aléas du pouvoir, « tout la force de la nation pourrait être arrêtée par un caprice. »

Une consécration indéniable du peuple comme acteur politique certes, mais M pose avec toute la prudence et la modération qu'on lui connait des gardes fous car il ne peut pas donner le pouvoir absolu au peuple alors qu'il le refuse au monarque.

LE REJET DE L'ABSOLUTISME

L'audace de M en tant que réformateur est de s'attaquer à ce qu'il considère comme une dérive dangereuse de la monarchie. L'absolutisme institué par Louis XIV a centralisé le pouvoir en une seule main et plongé la France dans une crise économique et militaire sans fonds.

Contrairement à l'Angleterre qui depuis le Bill of Right a réduit la puissance royale, M le dit « La puissance exécutrice ne saurait entrer dans le débat des affaires » c'est le seul moyens pour le commerce et les investisseurs de croitre dans une certaine sécurité juridique, en sachant que ce n'est pas la volonté d'un seul homme qui viendra réquisitionner le fruit de leurs capitaux.

Chacun doit être en sureté, et pour ce faire l'armée confiée au monarque, qui reste chef de guerre ne doit pas lui être acquise sans le consentement du corps législatif qui distribuera les forces à la disposition de l'exécutif.

Le monarque se trouve dès lors encadré mais sauf. M y voit une raison pratique, il faut empêcher le corps législatif d'exécuter les lois qu'il établit, autrement il n'y aurait plus de liberté : puissance absolue. Un rôle d'arbitre et de convocateur des représentants de la nation lui est dévolu. le monarque doit rendre compte de la façon dont il exécute les lois votées. Néanmoins, la personne du roi doit rester sacrée et jouir d'une immunité absolue. M reste attaché à la monarchie et préférera punir les ministres qui ont mal conseillé le monarque.

Les plus conservateurs et réactionnaires de son temps ont vu en M un irrévérencieux libéral. L'Histoire, sur laquelle M fonde ses analyses, démontrera qu'en réalité, par les réformes auxquelles il engageait la France, M ne désirait rien d'autre que de sauver la monarchie.

Sa modération lui apporta bien des ennemis du côté des progressistes qui virent en lui un nostalgique de la société féodale des ordres. Fondée sur des distinctions héréditaires et ancestrales dont lui-même fait partie et pour cause, il entend faire de la noblesse une force politique majeure et distinguée.

DES ORDRES CONSERVES

LA NOBLESSE, UN CORPS UNSOLUBLE

Le bicamérisme tel que l'entend M s'inspire de la Chambre des Communes constituée de représentants du peuple et de la Chambre des Lords, véritable bastion de la noblesse héréditaire.

M est en ce sens assez éloigné de ce qui sera plus tard l'article 1er de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen qui dispose que « tous les citoyens naissent libres et égaux en droit ». Quand M déclare qu'« il y a toujours dans un Etat des gens distingués par la naissance, les richesses et les honneurs […] la part qu'ils ont à la législation doit donc être proportionnée aux autres avantages qu'ils ont dans l'Etat »

Cette assertion n'est pas sans conséquences, en effet la noblesse échappe aux juridictions populaires et doit être jugée par ces pairs. Les nobles se placent ainsi au-dessus des lois applicables aux citoyens. C'est une justice à deux vitesses.

M justifie cela par l'esprit des lois qui régule le corps social de la noblesse qui concourt à des intérêts distincts de ceux du peuple, et qui serait en danger dans un gouvernement qui ferait la part belle à l'égalité.

UNE ARTICULATION MODEREE DES INSTITUTIONS GARANTE DE LA LIBERTE POLITIQUE

La clé de voute du régime idéal tel qu'exposé par M c'est la faculté d'empêcher. Inspiré par Rome et l'Angleterre, M y voit le rouage principal de la pérennité des institutions.

Il faut que chaque pouvoir dispose de la faculté d'annuler l'autre. Ainsi par exemple, la noblesse peut faire barrage à un budget voté par la Chambre des représentants, sans toutefois pouvoir elle-même légiférer en cette matière. Ces mécanismes de neutralisations mutuelles sont décrits par M quand il écrit que « l'un enchainera l'autre par sa faculté d'empêcher »

Ces mécanismes de « checks and balance » que l'on retrouve dans nombre d'Etats aujourd'hui, à commencer par les Etats-Unis procèdent d'une articulation méticuleuse qui a donnée son nom à la « séparation des pouvoirs ». En réalité, si l'indépendance de ces pouvoirs est juridique, ils sont dans les fait très étroitement liés.

« Ces trois puissances devront former un repos ou une inaction. Mais comme, par le mouvement nécessaire des choses, elles sont contraintes d'aller, elles seront forcées d'aller de concert » M ne craint pas les paralysies du système institutionnel, au contraire, elles pousseront ce dernier par l'équivalence des forces en présence et leurs facultés de neutralisations réciproques, au compromis. Car M est avant tout un homme de compromis.

« Comment dirais-je cela, moi qui crois que l'excès même de la raison n'est pas toujours désirable, et que les hommes s'accommodent presque toujours mieux des milieux que des extrémités ? »

(#2014)
(M disait de son oeuvre « je serai beaucoup lu, mais peu compris » j'espère avoir capté quelque chose...)
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De l'Esprit des Lois, publié en 1748, est une référence incontournable pour saisir les fondements des institutions qui gouvernent nos société contemporaines. Empruntant aux classifications d'Aristote, débattant des notions de droit naturel aux côtés de Rousseau et de Hobbes, Montesquieu a surtout l'originalité de replacer la loi non comme un commandement, une valeur abstraite à suivre a priori, mais comme une variable qu'il constate, analyse, suivant les cultures, la géographie, L Histoire, pour mieux en dégager les grandes tendances. Il tire cette approche d'une théorie des climats par ailleurs contestable dans sa hiérarchisation des moeurs et différentiation des "races", alors même qu'il était personnellement opposé à l'esclavage.
Montesquieu estime que la République, qu'elle soit aristocratique ou démocratique, tire son essence, son moteur , de la vertu ; la monarchie de la pratique de l'honneur ; le despotisme de la crainte.
Il dégage un principe quasi mécanique de l'application possible d'un régime de libertés dans la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.
Cependant, les débats entre ses commentateurs sur le point de savoir s'il prône ou non le libéralisme ou l'élite aristocratique me semble surtout justifier de le classer, comme Machaviel, comme un observateur pragmatique des rapports politiques et des principes de gouvernement. Il s'interroge plus sur l'efficacité et la cohérence des institutions que sur leurs principes de vertu. Il le fait cependant avec une liberté qui l'a obligé à publier -comme tant d'autres- à Genève son ouvrage, qui fut mis à l'index.
Modéré en toute chose, visiblement adepte du juste milieu, Montesquieu me semble, par certaines de ses réflexions singulières, donner à réfléchir encore aujourd'hui. Ainsi sur la relativité du concept de liberté, dont il convient de considérer le ressenti, souvent plus que la réalité objective (valable aussi bien souvent sur le "ressenti" en matière de justice et de pauvreté... différenciation entre le ressenti et le réel bien connue des organismes de sondages, des PDG d'entreprises et des agences de com...) ; sur la valeur de l'exemple pour réformer une société ; sur l'adaptation des lois aux caractéristiques intimes d'un peuple. Combien d'erreurs de gouvernement seraient encore évitées par l'application de ces quelques principes simples...
Je finirai ce commentaire par le style de M. Charles de Secondat, baron de Montesquieu... remarquable ! plein d'esprit et d'éloquence, vif et précis ; on sent chez Montesquieu l'influence des auteurs latins tels que Cicéron. Par l'alternance de phrases courtes qui ponctuent sa démonstration, il développe un art consommé de la rhétorique, mais avec l'élégance du français du XVIIIème siècle.
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Il est toujours enrichissant de se replonger dans les classiques en période de crise. le N° 146 de l'hebdomadaire le 1 cite cette semaine L'esprit des Lois à l'occasion de son numéro consacré à la corruption… C'est l'occasion pour moi de re-parcourir Montesquieu.
L'esprit des lois est le fruit de presque vingt ans de réflexion sur ses expériences passées, ses voyages en Allemagne, Hongrie, Autriche, Italie, Hollande, Angleterre… Montesquieu s'est épuisé dans cette tâche monumentale, par amour pour la raison et la vérité dans un profond respect de la nature humaine.
Publié en 1748, cet ouvrage est toujours aussi juste et résonne à nos oreilles de lecteurs du XXIème avides de comprendre les grands problèmes contemporains.

Montesquieu part des lois naturelles, une forme de raison primitive qui régit le monde : les lois des hommes sont les lois positives, issues de la raison humaine et dans cette logique, les lois politiques de chaque pays ne devraient être que des prolongements de cette distinction fondamentale, quels que soient les époques, les pays et les gouvernements. Les élans lyriques de la préface donnent toute la mesure de l'oeuvre accomplie et de l'espoir que Montesquieu fonde dans une science politique lucide et sereine
Mais les différents types de gouvernement, républicain (démocratie et aristocratie), monarchique et despotique, n'appliquent plus vraiment ces principes fondateurs et complexes. Montesquieu insiste sur les notions indispensables de vertu démocratique et de modération aristocratique ; il met cependant en garde sur les risques de l'ambition, « pernicieuse dans une république », mais parfois bénéfique dans la monarchie placée sous le signe de l'honneur ; enfin la crainte suscitée dans les régimes despotiques est inconcevable dans une société civilisée. Chacun de ces mots, aux sens très forts mériteraient un long développement.
Rapidement, le concept de corruption fait son apparition : « la corruption de chaque gouvernement commence presque toujours par celle des principes ». Pour ne parler ici que de la démocratie, régime qui nous rapproche de notre époque actuelle, Montesquieu isole deux menaces : l'ambition individuelle dans un souci d'égalité et une forme d'insubordination ou « esprit d'égalité extrême » quand « chacun veut être égal à ceux qu'il choisit pour lui commander ». Cette situation provoque l'anarchie et favorise le despotisme.
Les pouvoirs judiciaire, exécutif et législatif des différentes nations ne fonctionnent pas de manière égale face aux réalités communes dégagées par Montesquieu. C'est pourquoi il prône la séparation et l'équilibre des trois pouvoirs, la liberté politique se limitant au « droit de faire tout ce que les lois permettent », dans « cette tranquillité d'esprit qui provient de l'opinion que chacun a de sa sureté ».

Montesquieu ne se limite pas au domaine politique : son analyse est d'une telle ampleur qu'elle englobe aussi l'espace et la géographie avec notamment sa fameuse théorie des climats qui en influençant le tempérament des peuples agissent aussi sur les lois ; c'est l'occasion d'aborder la question de la servitude et de l'esclavage et de déconsidérer par l'ironie cette pratique aujourd'hui taxée de crime contre l'humanité ; en effet, il nous propose un faux plaidoyer en faveur de l'esclavage qui rappelle l'extermination des indiens d'Amérique et leur remplacement par la main d'oeuvre africaine, la réalité des plantations sucrières, qui stigmatise aussi les différences raciales, reprend la théorie de l'absence d'âme chez les noirs, rabaisse leur naïveté... L'auteur revisite les idées reçues pour mieux les mettre à mal.
Montesquieu donnait une forme de suprématie aux climats froids et aux peuples nordiques ; dans les pays froids, les gens sont plus vigoureux, plus courageux, moins enclins aux plaisirs, moins sensibles à la douleur. Plus les zones sont tempérées et chaudes et plus leurs habitants sont timides, soumis à la recherche des plaisirs et à la sensibilité… Naturellement les lois doivent tenir compte de ces différences.
Le climat interfère aussi dans les relations entre hommes et femmes et est cause d'une « inégalité naturelle ». Nous pouvons lire des pages sur la nubilité, la polygamie, la situation des femmes en Orient, la pudeur, la répudiation et le divorce…
De même les conditions de fertilité du sol influencent les conditions de vie et de subsistance : on ne légifère pas de la même façon pour des nations cultivatrices ou commerçantes, pour des peuplades d'éleveurs de troupeaux ou de chasseurs.
Certes, les déductions de Montesquieu peuvent sembler un peu hâtives ; j'ai en mémoire l'expérience avec la langue du mouton qui l'amène à écrire des généralités sur la psychologie des peuples… Mais il a au moins eu le mérite de démontrer que la science politique doit tenir compte de phénomènes physiques, psychologiques et économiques.

La fin de cet essai est plus compliquée, très juridique et donc d'une lecture plus difficile… J'avoue l'avoir un peu survolé à partir du Livre XXVI. Montesquieu donnent des conseils avertis aux législateurs après avoir fait en quelque sorte un grand historique de droit depuis les origines.

Chez Montesquieu, la science politique doit être utile au bonheur des hommes, dans le progrès social et la garantie d'une certaine liberté, modérée par une forme de vertu et d'obligation morale.
Ainsi, pour cet érudit en matière de littérature grecque et latine, la démocratie antique était une sorte de gouvernement idéal mais incompatible avec les civilisations modernes. Il avouait aussi une nette préférence pour la constitution anglaise et réfléchissait à une constitution semblable pour la France, à une adaptation de la monarchie absolue en limitant les pouvoirs royaux à une époque où l'on commençait à se révolter contre les privilèges. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen s'inspirera de ses idées notamment en ce qui concerne la séparation des pouvoirs ; par contre, Montesquieu préférait la liberté à l'égalité et ne revendiquait pas l'abolition de tous les privilèges.
L'auteur a développé une méthode et des expérimentations scientifiques pour mettre en lumière un ordre universel, général et admis au-dessus des personnalités qui dirigent les hommes et les pays. Dans ce grand travail de clarification et de compréhensions des lois humaines, il garde cependant une posture critique envers les abus, les tyrannies et les intolérances.
À relire et à méditer.
À conseiller peut-être comme livre de chevet aux candidats à l'élection présidentielle qui s'approche…
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De l'esprit des lois a mal vieilli. Nombre de chapitres de cet ouvrage semble aujourd'hui ridicules. Il reste des premiers chapitres visionnaires, magnifiques, et quelques vérités, éparpillées dans les derniers chapitres.
Résumons donc : l'on comprend pourquoi Montesquieu est considéré comme un philosophe majeur, mais l'on peut douter de l'actualité de certains passages.
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Cette oeuvre à était pensée pendant toute une vie , il faut bien une vie entiére pour la comprendre .
Indispensable pour une vie ou la pensée soit vivante .
Un monument de la philosophie au service de la démocratie .
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Citations et extraits (87) Voir plus Ajouter une citation
Si je pouvais faire en sorte que tout le monde eût de nouvelles raisons pour aimer ses devoirs, son prince, sa patrie, ses lois; qu’on pût mieux sentir son bonheur dans chaque pays, dans chaque gouvernement, dans chaque poste où l’on se trouve ; je me croirais le plus heureux des mortels.
Si je pouvais faire en sorte que ceux qui commandent augmentassent leurs con­naissances sur ce qu’ils doivent prescrire, et que ceux qui obéissent trouvassent un nouveau plaisir à obéir, je me croirais le plus heureux des mortels.
Je me croirais le plus heureux des mortels, si je pouvais faire que les hommes pussent se guérir de leurs préjugés. J’appelle ici préjugés, non pas ce qui fait qu’on ignore de certaines choses, mais ce qui fait qu’on s’ignore soi-même.
C’est en cherchant à instruire les hommes, que l’on peut pratiquer cette vertu générale qui comprend l’amour de tous. L’homme, cet être flexible, se pliant dans la société aux pensées et aux impressions des autres, est également capable de connaître sa propre nature lorsqu’on la lui montre, et d’en perdre jusqu’au sentiment lorsqu’on la lui dérobe. (Préface)

[…]

Il ne faut pas beaucoup de probité pour qu’un gouvernement monarchique ou un gouvernement despotique se maintiennent ou se soutiennent. La force des lois dans l’un, le bras du prince toujours levé dans l’autre, règlent ou contiennent tout. Mais, dans un État populaire, il faut un ressort de plus, qui est la vertu.
Ce que je dis est confirmé par le corps entier de l’histoire et est très conforme à la nature des choses. Car il est clair que, dans une monarchie, où celui qui fait exécuter les lois se juge au-dessus des lois, on a besoin de moins de vertu que dans un gouvernement populaire, où celui qui fait exécuter les lois sent qu’il y est soumis lui-même, et qu’il en portera le poids.
Il est clair encore que le monarque qui, par mauvais conseil ou par négligence, cesse de faire exécuter les lois, peut aisément réparer le mal : il n’a qu’à changer de conseil, ou se corriger de cette négligence même. Mais lorsque dans un gouvernement populaire les lois ont cessé d’être exécutées, comme cela ne peut venir que de la corruption de la république, l’État est déjà perdu. (Livre III)

[…]

La corruption augmentera parmi les corrupteurs, et elle augmentera parmi ceux qui sont déjà corrompus. Le peuple se distribuera tous les deniers publics ; et, comme il aura joint à sa paresse la gestion des affaires, il voudra joindre à sa pauvreté les amusements du luxe. Mais, avec sa paresse et son luxe, il n’y aura que le trésor public qui puisse être un objet pour lui.
Il ne faudra pas s’étonner si l’on voit les suffrages se donner pour de l’argent. On ne peut donner beaucoup au peuple sans retirer encore plus de lui ; mais, pour retirer de lui, il faut renverser l’État. Plus il paraîtra tirer d’avantages de sa liberté, plus il s’approchera du moment où il doit la perdre. Il se forme de petits tyrans qui ont tous les vices d’un seul. Bientôt ce qui reste de liberté devient insupportable : un seul tyran s’élève ; et le peuple perd tout, jusqu’aux avantages de sa corruption.
La démocratie a donc deux excès à éviter : l’esprit d’inégalité, qui la mène à l’aristocratie ou au gouvernement d’un seul ; et l’esprit d’égalité extrême, qui la conduit au despotisme d’un seul, comme le despotisme d’un seul finit par la conquête. (Livre VIII)

[…]

Il n’y a point encore de liberté, si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative, et de l’exécutrice. Si elle était jointe à la puissance législative, le pouvoir sur la vie et la liberté des citoyens serait arbitraire ; car le juge serait législateur. Si elle était jointe à la puissance exécutrice, le juge pourrait avoir la force d’un oppresseur.
Tout serait perdu, si le même homme, ou le même corps des principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçaient ces trois pouvoirs ; celui de faire des lois, celui d’exécuter les résolutions publiques, & celui de juger les crimes ou les différends des particuliers. (Livre XI)
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Le plus grand mal que fait un ministre n’est pas de ruiner son peuple, il y en a un autre mille fois plus dangereux : c’est le mauvais exemple qu’il donne.
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La liberté politique ne consiste point à faire ce que l'on veut. Dans un Etat, c'est-à-dire dans une société où il y a des lois, la liberté ne peut consister qu'à pouvoir faire ce que l'on doit vouloir, et à n'être point contraint de faire ce que l'on ne doit pas vouloir.
Il faut se mettre dans l'esprit ce que c'est que l'indépendance, et ce que c'est que la liberté.
La liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent; et si un citoyen pouvoit faire ce qu'elles défendent, il n'auroit plus de liberté, parce que les autres auroient tout de même ce pouvoir.
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L’homme, comme être physique, est, ainsi que les autres corps, gouverné par des lois invariables. Comme être intelligent, il viole sans cesse les lois que Dieu a établies, et change celles qu’il établit lui-même. Il faut qu’il se conduise ; et cependant il est un être borné ; il est sujet à l’ignorance et à l’erreur, comme toutes les intelligences finies ; les faibles connaissances qu’il a, il les perd encore : comme créature sensible, il devient sujet à mille passions. Un tel être pouvait, à tous les instants, oublier son créateur ; Dieu l’a rappelé à lui par les lois de la religion. Un tel être pouvait, à tous les instants, s’oublier lui-même ; les philosophes l’ont averti par les lois de la morale. Fait pour vivre dans la société, il y pouvait oublier les autres ; les législateurs l’ont rendu à ses devoirs par les lois politiques et civiles.
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Les politiques grecs, qui vivaient dans le gouvernement populaire, ne reconnaissaient d'autre force qui pût les soutenir que celle de la vertu. Ceux d'aujourd'hui ne nous parlent que de manufactures, de commerce, de finances, de richesses et de luxe même.
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« […] les auteurs d'aphorismes, surtout lorsqu'ils sont cyniques, irritent ; on leur reproche leur légèreté, leur désinvolture, leur laconisme ; on les accuse de sacrifier la vérité à l'élégance du style, de cultiver le paradoxe, de ne reculer devant aucune contradiction, de chercher à surprendre plutôt qu'à convaincre, à désillusionner plutôt qu'à édifier. Bref, on tient rigueur à ces moralistes d'être si peu moraux. […] le moraliste est le plus souvent un homme d'action ; il méprise le professeur, ce docte, ce roturier. Mondain, il analyse l'homme tel qu'il l'a connu. […] le concept « homme » l'intéresse moins que les hommes réels avec leurs qualités, leurs vices, leurs arrière-mondes. […] le moraliste joue avec son lecteur ; il le provoque ; il l'incite à rentrer en lui-même, à poursuivre sa réflexion. […]
On peut toutefois se demander […] s'il n'y a pas au fond du cynisme un relent de nostalgie humaniste. Si le cynique n'est pas un idéaliste déçu qui n'en finit pas de tordre le cou à ses illusions. […] » (Roland Jaccard.)
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Référence bibliographique : Roland Jaccard, Dictionnaire du parfait cynique, Paris, Hachette, 1982.
Images d'illustration : Vauvenargues : https://www.buchfreund.de/de/d/p/101785299/luc-de-clapiers-marquis-vauvenargues-1715-1747#&gid=1&pid=1 Georges Perros : https://editionsfario.fr/auteur/georges-perros/ Anatole France : https://rickrozoff.files.wordpress.com/2013/01/anatolefrance.jpg Prince de Ligne : https://tresorsdelacademie.be/fr/patrimoine-artistique/buste-de-charles-joseph-prince-de-ligne#object-images Jules Renard : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/a/a5/Jules_Renard_-_photo_Henri_Manuel.jpg Blaise Pascal : https://www.posterazzi.com/blaise-pascal-french-polymath-poster-print-by-science-source-item-varscibp3374/ André Ruellan : https://www.babelio.com/auteur/
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