Voici un récit qui ne me tentait guère a priori. Il faut dire que je ne suis pas vraiment friande de récits anthropomorphiques (qui attribuent des sentiments humains aux animaux)... à part, bien sûr, les fables de la Fontaine et leur visée satirique et, plus récemment, le tamanoir hanté d'Alice de Poncheville et l'album Tête-à-tête, 15 petites histoires pas comme les autres de Geert de Kockere et
Klaas Verplancke. Dans ces deux derniers titres, l'humour et le second degré ont fait la différence.
Et ici ? Pas vraiment d'humour si ce n'est certaines joutes verbales entre les protagonistes : quatre jeunes campagnols et un rat esseulé. Alors, qu'est-ce qui, au final, a fait la différence et a rendu cette lecture vraiment agréable et intéressante ?
Tout d'abord, l'auteur maîtrise parfaitement son sujet puisqu'il est zoologiste à l'université d'Oxford et spécialiste des campagnols. A travers cette aventure, il nous amène à découvrir les moeurs de ces petits mammifères des campagnes qu'il appelle ici les Chanteurs. On est loin des explications scientifiques rébarbatives. Toutes les précisions concernant l'habitat, l'alimentation, les prédateurs, ... de nos gentils rongeurs s'intègrent parfaitement dans l'histoire.
Ensuite, une fois ce biais animalier accepté, "
Le chant de la Grande rivière" se lit comme un roman d'aventure comme les autres. Au fil des pages, on se prend d'affection pour cette petite famille obligée de partir vers l'inconnu à la recherche d'un endroit où vivre en toute sécurité. Des quatre campagnols, deux frères, deux soeurs, chacun a sa personnalité : Sylvan et Aven sont impatients, Fern est plus grognon et Orris d'un naturel inquiet. Fodur, le rat qui les rejoint dans leur périple, fait, quant à lui, preuve de bon sens et d'optimisme.
De plus, l'histoire que
Tom Moorhouse nous conte est celle du dur apprentissage de la vie et est donc, à ce titre, particulièrement riche en apprentissages. Derrière cette recherche de la terre promise, sans en avoir l'air, l'auteur aborde bien des thématiques : la séparation, l'apprentissage de l'autonomie, la solidarité, la différence, la peur, le courage, la mort, le deuil, etc. Il aborde même des questions philosophiques et religieuses. Sylvan, le héros de l'histoire, se demande par exemple pourquoi Sinethis, la grande rivière (sorte de divinité pour eux Chanteurs), lui impose toutes ces épreuves ou si, comme Fodur le laisse sous-entendre, Sinethis n'est qu'un guide parmi d'innombrables autres... L'issue de cette épopée l'amènera à mûrir et à accepter la vie telle qu'elle est : tantôt douce, tantôt cruelle !
"Nos chants sont brefs, pensa Sylvan, alors nous devons bien les chanter."
Pour terminer, cette fable animalière nous est contée avec beaucoup de style et de poésie. Petit réserve peut-être pour le langage rat - un peu à la JJC (
Jean-Claude van Damme) - bien éloigné des règles syntaxiques. Cette façon de parler fera sans nul doute sourire nos jeunes lecteurs mais pourrait perturber la compréhension des moins bons. A voir...
"Peut-être tous avoir quelqu'un. Mais vie grande. Aucun de ceux on parle avec promet nous vivre pour toujours. Tous nous savoir comment est perdre. Dur c'est. Je savoir et tu savoir. Mais pas faute de Sylvan, Sinethis ou Fodur. Faute de personne. Fait partie du monde. Comme pluie, insectes, herbes."
Au final, je suis vraiment heureuse d'avoir dépassé mes préjugés ! Cette lecture vaut vraiment la peine et pourrait ouvrir de multiples débats avec les enfants ! A découvrir donc !
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