L'autre jour, je reviens de la bibliothèque, persuadée d'avoir sous le bras un livre sur
Jane Evelyn Atwood. Même la couverture ne m'a pas fait tiquer. En fait, ce que j'avais emprunté, c'était un livre sur
Berenice Abbott, qui n'a pas grand-chose à voir avec
Jane Evelyn Atwood. Passons.
Je pensais connaître, au moins vaguement,
Berenice Abbott. Absolument pas. Je connaissais ses photos pour avoir déjà lu un petit opus sur elle, mais je n'y avais rien compris. Il faut préciser qu'abbott est connue essentiellement pour ses photos de New York dans les années trente. Or, regarder aujourd'hui ces photographies qui ont presque cent ans, c'est, si on ne se penche pas sur la démarche spécifique de
Berenice Abbott, regarder des images d'une ville, d'une part déjà ancienne à nos yeux, et d'autre part d'une modernité prodigieuse pour son époque. Ce qui va à l'encontre de ce que sont ces photos.
Berenice Abbott est née en 1898, et elle a quitté toute jeune les États-Unis pour aller étudier la sculpture à
Paris et à Berlin, et finalement devenir l'assistante de
Man Ray à
Paris, qui l'a formée à la photographie. Elle ouvre ensuite son propre studio, tire le portrait d'une société bourgeoise, d'artistes et d'écrivains, se passionne pour les photographies d'
Eugène Atget - qu'elle a cherché à faire connaître des années et des années durant -, prend position contre le mouvement pictorialiste (un courant de la photographie cherchant à la faire reconnaître comme art à part entière et s'inspirant de la peinture) et pour une photographie documentaire, rentre aux États-Unis en 1929, et décide de monter un projet sur la ville et ses changements. C'est la période où le Rockfeller Center sort de terre... et celle de la Grande Dépression, après le krach boursier. Et c'est de cette période que datent les photographies les plus célèbres de
Berenice Abbott. Plus tard, elle se passionnera pour la photographie scientifique - et là encore, on se trompe souvent sur le sens de sa démarche -, puis sur les États-Unis, disons l'Amérique profonde, en sillonnant la route 1.
En toute logique, ce livre sur
Berenice Abbott - en fait un catalogue publié à l'occasion d'une exposition conjointe du Jeu de Paume à
Paris et du Ryerson Image Centre à Toronto - présente quatre sections : les portraits, New York, la photographie scientifique et la Route 1. La section des portraits est plus un prétexte à présenter
Berenice Abbott qu'une analyse de ses travaux, qui ne vont guère retenir l'attention après qu'on aura vu les photographies de New York. Quant à la section sur la route 1, le texte en est très réduit, probablement - mais ce n'est qu'hypothèse de ma part -, parce qu'abbott n'était déjà plus avec ce projet la photographe novatrice des années 30-50.
Le grand moment de ce livre, vous l'aurez donc compris, c'est la section sur New York. Et sans le texte de Sarah
M. Miller, certes un rien pontifiant, cette section perdrait beaucoup de son sens. Il y a un malentendu aujourd'hui sur les photographies de New York prises par abbott, faute de connaître le contexte. Il faut dire que l'éditeur de son album
Changing New York n'y est pas pour rien... abbott n'a jamais souhaité faire l'éloge de la modernité, ce qui était pourtant ce qu'on attendait d'elle. Ce qu'elle voyait dans les travaux de construction de New York, c'était une modernité écrasante, qui balayait son passé d'un revers de main. D'où des images construites pour montrer ce qui n'est pas visible d'emblée. Des images de petits commerces ou de petits bâtiments qui disparaîtront, de personnes pauvres réfugiées sur des toits dominés par les buildings, d'églises écrasées par les buildings qui les entourent, de buildings (oui, beaucoup de buildings ici) montrant leur côté sombre grâce à un travail sur l'ombre et la lumière, ou encore une image de la base d'un des nouveaux bâtiments du Rockfeller Center juste au-dessus d'excavations qui ressemblent à s'y méprendre à des ruines. Malheureusement, comme je l'ai mentionné plus haut, l'éditeur de
Berenice Abbott a plus ou moins vidé de son sens l'album
Changing New York en y mettant son grain de sel, et on a grand besoin aujourd'hui d'explications sur le projet de la photographe pour en retrouver le but premier. Ce qui est parfaitement réussi dans ce catalogue.
La section sur la photographie scientifique est plus complexe, même si Terry Weissman explique là aussi très bien que
Berenice Abbott n'a jamais souhaité réaliser de belles images abstraites, mais bien utiliser la photographie comme medium pédagogique, donc toujours à fin documentaire, pour aider le grand public mieux comprendre les sciences, et notamment la physique. le problème que va avoir le lecteur (et je me demande si ce problème n'était pas encore plus grand dans l'espace de l'exposition), c'est que, s'il comprend à peu près ce que montre abbott dans une de ses photos, largement commentée dans le catalogue, ça va être nettement plus compliqué pour les suivantes (à moins de s'y connaître suffisamment en physique, ce qui n'est pas du tout mon cas). Il faut bien avoir en tête que
Berenice Abbott travaillait comme photographe pour des revues scientifiques, pour le MIT et pour des manuel scolaires. C'est-à-dire que ses photographies étaient conçues pour mieux montrer ce que des textes en regard expliquaient déjà. Et ici, une fois lu le texte de
Terri Weissman qui ne peut pas commenter chacune des photographies présentées, on est un peu perdu, comme avec les photographies d'ondes aquatiques. On comprend bien le but général auquel tendait abbott, et pas forcément les photographies séparément, contrairement à ce qui se passait avec la section sur New York.
C'est en tout cas une très belle redécouverte ; sans ce livre, il y a tout à parier que je n'aurais jamais vraiment compris le sens de la photographie documentaire de
Berenice Abbott.