Happant. Prenant. Bouleversant. Un livre que j'ai dévoré.
Scholastique Mukasonga nous emmène loin de France, à la rencontre du Rwanda, à la découverte d'une culture à cent mille lieues de la nôtre dans un contexte complètement différent. Elle raconte les champs de sorgho, l'enfance tendre et belle, les nombreux frères et soeurs, les coutumes, le quotidien de son peuple. Et plus encore, elle raconte sa mère, Stefania. Une femme de courage, une lionne dont la principale obsession est d'assurer la survie de ses enfants dans un monde qui ne veut pas d'eux. Car c'est la guerre entre les Hutus et les Tutsis. Ou plutôt, c'est le massacre des Tutsis depuis que les Hutus ont pris le pouvoir. le danger est partout. Ils sont déportés, battus, leurs maisons sont saccagées, leurs femmes violées, leurs enfants tués, leur culture menacée... Toute leur vie est organisée autour de la survie. À tout instant, les enfants doivent être capables de se cacher pour réussir plus tard à franchir la frontière du Burundi – dans le meilleur des cas.
Scholastique Mukasonga raconte son évolution au sein de cet univers à la fois hostile et chaleureux, dans l'ombre d'une mère qu'elle aime et admire – à raison ! Une mère qui la protège, une mère qui est un modèle de dévouement pour sa famille. On ne peut s'empêcher d'admirer la force et le caractère de cette femme si particulière et si extraordinaire.
L'histoire décrit le quotidien de la famille au travers de petites anecdotes qui nous montrent à quel point la culture de ce peuple, ses habitudes, ses croyances sont différentes des nôtres. Certaines choses sont tellement inenvisageables pour nous qu'on se demande parfois si on vit sur la même planète !
Par exemple, pour qu'un nouveau-né se fasse accepter par la tribu, celle-ci doit se réunir lors d'une fête et manger ses excréments, mélangés à de la nourriture. Montrer l'intérieur de sa bouche est le comble de l'obscénité, au point que manger en public est extrêmement mal vu et qu'un père ne doit surtout pas manger devant ses enfants. Pour eux, nous n'avons pas de notion de savoir-vivre ; parler de sexe est intolérable ; passer devant une maison sans saluer les habitants pendant de longues minutes est le comble de l'impolitesse – ce qui rend le trajet pour aller chercher l'eau interminable.
Leur quotidien est rempli de surnaturel, ils vivent en permanence avec leurs contes et leurs légendes. Parfois merveilleuses, celles-ci sonnent aussi comme des excuses pour cacher une réalité bien difficile à avouer. Pour eux, un foetus peut très bien se mettre à vagabonder dans le corps de sa mère, mais cela l'empêche de se développer et retarde l'accouchement. Durant son enfance, Scholastique a ainsi connu un homme qui a attendu l'enfant dont sa femme prétendait être enceinte pendant cinq ans. Cinq ans ! Moui. Ils sont bien naïfs, les maris.
Une autre croyance que j'ai trouvé très belle, c'est celle des larmes de la lune, qui tombent parfois sur le ricin, un arbre particulier
: « C'était sur ses feuilles que tombaient les larmes de la lune. Ces larmes, elles avaient, au dire de Stefania, la couleur et la consistance d'un beurre un peu mou, elles glissaient sur les feuilles, coulaient ensuite en filets visqueux sur toute la longueur de la plante et se répandaient en flaques jaunâtres à son pied. Cela se passait toujours la pleine lune. Jamais, pas plus que mes soeurs, ne n'ai vu ces larmes de la lune. Et pout Stefania, il n'était pas question de nous les montrer. » En effet, c'est un très mauvais présage qu'il faut enterrer à tout prix. Pratique pour faire disparaître les preuves, n'est-ce pas ?
J'aime cette ambiance entre réel et magie. Pour les Rwandais, tout est prétexte à maléfice ou enchantement. On dirait encore un monde d'enfant.
Je recommande ce livre à TOUT LE MONDE. Ne serait-ce que pour avoir connaissance de ce génocide qui a lieu au Rwanda. Mais aussi pour pouvoir découvrir la plume de
Scholastique Mukasonga, entraînante, enivrante, enchanteresse.