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EAN : 9782070133420
222 pages
Gallimard (01/03/2012)
3.66/5   616 notes
Résumé :

Au Rwanda, un lycée de jeunes filles perché sur la crête Congo-Nil, à 2 500 mètres d'altitude, près des sources du grand fleuve égyptien.

Les familles espèrent que dans ce havre religieusement baptisé Notre-Dame du Nil, isolé, d'accès difficile, loin des tentations de la capitale, leurs filles parviendront vierges au mariage négocié pour elles dans l'intérêt du lignage.

Les transgressions menacent au cœur de cette puissante et... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (146) Voir plus Ajouter une critique
3,66

sur 616 notes
Voir un film est une chose, lire le livre qui l'a inspiré en est une autre… tout à fait indispensable !

Au cinéma, Atiq Rahimi a beaucoup épuré l'histoire, en a retiré plusieurs épisodes mais voir son très beau film, avant de lire le roman de Scholastique Mukasonga, m'a permis de visualiser scènes et paysages. Par contre, la lecture m'a aidé à comprendre certaines situations à peine suggérées à l'écran.
Lorsque Notre-Dame du Nil est sorti en librairie, en 2012, j'avais vu l'autrice en parler et je m'étais promis de lire son roman, ce que je viens de faire enfin ! Les Prix Ahmadou-Kourouma (Salon international du livre et de la presse de Genève) et Renaudot l'avaient justement récompensé.
Ce que raconte Scholastique Mukasonga sur son pays est troublant car elle permet de comprendre que le génocide des Tutsi au Rwanda, en 1994, n'était pas une première, un terrible épisode unique. Déjà, en 1959, puis en 1963, une épuration dite ethnique avait eu lieu et ici nous ne sommes qu'en 1973.
Les Hutu, en majorité cultivateurs, se disent peuple majoritaire, paysans dominés par les Tutsi, plutôt éleveurs mais dont certains sont riches. Déjà écartés des principaux postes, les Tutsi subissent la loi des quotas – par exemple, 10 % d'élèves Tutsi au lycée – et les Hutus veulent encore se venger, poursuivre l'horrible épuration des années précédentes, traitant leur frères d'Inyenzi, de cafards, pour pouvoir les détruire.
Scholastique Mukasonga raconte l'histoire de ce lycée pour jeunes filles de la haute société. S'inspirant de ce qu'elle a elle-même vécu, elle imagine cet établissement construit spécialement près d'une des sources du Nil, à 2 500 m d'altitude. Elle émaille son récit de quantité de mots de la langue du pays, le kinyarwanda, alors que le swahili est écarté par les Hutu parce que parlé par des musulmans. Surtout, elle fait bien comprendre que ce sont les Blancs, les colons, qui se sont évertués à créer des races parmi les indigènes qu'ils rencontraient et traitaient avec beaucoup de condescendance. Des mesures, des arguments pseudo-scientifiques étayaient leurs théories et nous savons tout le mal, tous les morts que de telles classifications ont causés un peu partout dans le monde.
Alors, j'ai suivi ces jeunes filles comme Gloriosa, Goretti, Immaculée, Godelive, Frida, Veronica, Virginie, principales protagonistes d'une histoire tragique plongée dans les traditions d'un peuple, perverti par les Blancs, qu'il ne cesse de vouloir imiter. Je précise que les vrais prénoms de ces filles sont bien différents mais il leur faut un prénom plus européen pour l'école…
Le lycée est catholique, religion imposée, dirigée par une mère supérieure et un aumônier hutu, un pervers, qui ne fait qu'attiser les haines. Parmi les profs, trois coopérants français sont bien pâlots, sauf M. Legrand qui fait sensation avec ses longs cheveux blonds. Je dois aussi citer M. de Fontenaille, sorte d'illuminé qui a tenté de faire fortune dans le café et qui s'obstine à relier l'histoire des Tutsi à la Haute-Égypte.
J'ajoute enfin que j'ai apprécié l'épisode des gorilles, absent du film, très instructif pour le rapport des Rwandais avec la nature et la vie sauvage.

Notre-Dame du Nil est un roman superbement écrit, passionnant, instructif, précieux pour l'Histoire mais que c'est dur de constater tous les dégâts causés par nous, les Européens, sur le continent africain, en croyant apporter la civilisation alors que nous ne faisions que détruire celle qui existait.
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Notre-Dame du Nil, Prix Renaudot 2012, premier roman de Scholastique Mukasonga est également le nom de ce pensionnat catholique de jeunes filles perché sur une colline qui reçoit l'élite féminine du pays, le Rwanda. Y sont scolarisées les filles de notables, de militaires, de commerçants, et de politiques, Hutus. Cette institution est tenue par des enseignants français et des religieuses belges et il ne peut y avoir plus de dix pour cent d'élèves Tutsis, dont font partie Veronica et Virginia. L'histoire se passe dans les années 1970. Gloriosa, fille de ministre Hutu va distiller peu à peu sa haine des Tutsi, persuadée de leur nocivité, et se dresser face à Veronica et Virginia. Les soeurs belges et les professeurs français, se garderont bien d'intervenir, préférant fermer les yeux, lorsque les troubles éclateront.
J'ai été touchée par ces jeunes filles qui, pour certaines ne connaissaient que la vie au village et découvraient là d'autres façons de vivre. J'ai participé avec elles au partage des provisions préparées par leurs mères et ainsi appris à connaître les principaux mets consommés au Rwanda, participé également à la décoration de leur coin de dortoir avec quelques photos de chanteurs. J'ai aussi assisté à leurs premiers émois d'adolescentes, à la découverte de leur corps et leurs premiers amours, et à leur rêve de vie en Europe.
Et puis il y a la pluie : « La pluie pendant de longs mois, c'est la Souveraine du Rwanda, bien plus que le roi d'autrefois ou le président d'aujourd'hui, la Pluie, c'est celle qu'on attend , qu'on implore, celle qui décidera de la disette ou de l'abondance... »
Ce roman, par le biais de cette micro société représentée par ce pensionnat nous amène à entrevoir comment ce génocide a pu avoir lieu, comment la division des classes, la disparité économique et ne l'oublions pas le colonialisme ont créé un terreau toxique propice au ressentiment, et sur lequel la haine ethnique a pu se développer et se renforcer.
Scholastique Mukasonga décrit dans ce récit tout en finesse la progression de la haine qui va déclencher un vrai massacre. Elle parvient de façon magistrale à nous faire comprendre cette montée en puissance de l'horreur; cette vague de violence qui emporte le pays dans les années qui suivent la décolonisation, prémices du génocide qui surviendra vingt ans plus tard en 1994, génocide que l'auteure a subi de plein fouet, près de trente membres de sa famille y ont péri, dont sa mère. Si elle n'avait pas été alors en France, elle y aurait également laissé la vie...
Ce pourrait être un récit sur la vie quotidienne de jeunes filles dans un pensionnat mais les tensions entre Tutsis et Hutus qui sous-tendent celle-ci en font un huis clos poignant et qui nous tient en haleine jusqu'au bout, ce conflit fratricide étant le sujet principal du roman.
J'ai eu la chance de voir le film éponyme réalisé par Atiq Rahimi, belle adaptation du roman. Lire le roman et voir le film, c'est l'idéal !

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Au Rwanda, le lycée de Notre-Dame du Nil veut former l'élite féminine de demain. Il s'agit surtout de préserver la virginité de ces filles qui feront l'objet de mariages glorieux ou juteux. Pour une famille rwandaise, une fille représente une richesse précieuse. « Elle était assurée que sa fille recevrait au lycée Notre-Dame du Nil l'éducation démocratique et chrétienne qui convenait à l'élite féminine d'un pays qui avait fait la révolution sociale qui l'avait débarrassé des injustices féodales. » (p. 28) Perdu dans les montagnes et situé tout près de la source du Nil, l'établissement accueille un quota de filles issues de l'ethnie tutsie, mais cela ne plaît pas à toutes les élèves. le microcosme du lycée reproduit naturellement la société rwandaise et les élèves Hutu dédaignent leurs camarades tutsis. Parmi elles, Gloriosa se voit déjà à la tête du parti du peuple majoritaire. Mais il y a aussi Immaculée la rebelle, Modesta la métisse, Véronica la rêveuse et Virginia qui ne pleure jamais.

Non loin du lycée, le vieux M. de Fontenaille est obsédé par l'ethnie tutsie et il est persuadé d'avoir trouvé l'incarnation de la déesse Isis. « Dans leur exode […], les Tutsi avaient perdu la Mémoire. Ils avaient conservé leurs vaches, leur noble prestance, la beauté de leurs filles, mais ils avaient perdu la Mémoire. Ils ne savaient plus d'où ils venaient, qui ils étaient. » (p. 72) Fontenaille en est persuadé : les Tutsi sont les descendants des pharaons noirs de Méroé. Étrangement, tout le monde croit détenir sa propre vérité sur les Tutsi, mais ce sont encore eux les plus lucides. « J'ai aussi appris que les Tutsi ne sont pas des humains : ici nous sommes des Inyenzi, des cafards, des serpents, des animaux nuisibles ; chez les Blancs, nous sommes les héros de leurs légendes. » (p. 153) Leur histoire est aussi mystérieuse que le sang mensuel des femmes et la statue de Notre-Dame du Nil. Est-elle une ancienne vierge belge peinte en noir ? Une Tutsi ? Une Hutu ? Une déesse égyptienne ?

Le Rwanda veut écrire sa propre histoire loin des Belges et loin des blancs, mais les dérives ne sont pas loin et même les plus jeunes en conscience. « Mon père dit qu'on ne doit jamais oublier de faire peur au peuple. » (p. 186) Dans ce pays nouvellement débarrassé de la domination européenne, tous les moyens sont bons pour s'emparer du pouvoir et le garder : « Ce n'est pas des mensonges, c'est de la politique. » (p. 194) Rescapée des massacres qui ont ensanglanté le Rwanda, l'auteure mêle avec talent l'histoire légendaire des Tutsi de l'époque pharaonique à l'histoire contemporaine. On voudrait croire que le roman n'est que fiction, mais les accents de la vérité ne trompent pas. Ce qui passe dans l'enceinte du lycée Notre-Dame du Nil n'est pas un beau catéchisme ou une légende antique, ce n'est que l'expression banalement terrible d'un peuple qui se perd en croyant affirmer son identité.
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Notre-Dame-du-Nil est perchée tout en haut des sources du Nil. Dirigée par des religieuses, elle reçoit le gratin de la population Hutus mais aussi par un quota imposé, quelques jeunes filles Tutsis. Même en prenant de la hauteur, les premiers soubresauts d'un grand malheur gagnent petit à petit le lycée.
Scholastique Mukasonga choisit par de petits évènements de montrer la montée de la terreur. On sent bien, qu'au-delà des bonnes manières, se prépare l'inacceptable. Au nez des professeurs étrangers (français) et de la direction du lycée (belge).
Mesquineries, brimades, les dominants sont près à tout pour faire exploser leur haines des « Inyenzi » (cafards, nom donné à leurs camarades Tutsis).
Au fil des pages, l'angoisse monte, les masques tombent jusqu'à l'explosion inacceptable du génocide. le livre de Mukasonga montre avec un sacré talent de conteuse, par petites touches, la folie qui va frapper le Rwanda en cette funeste année 1994. Comment peut-on en arrivé là ?
4 étoiles
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Le lycée Notre-Dame du Nil est un internat catholique pour jeunes filles de la bonne société rwandaise, destinées à devenir l'élite féminine du pays. Perché dans les montagnes à 2500 mètres d'altitude, à proximité des sources du Nil et loin de Kigali la tentatrice, il est tenu d'une main de fer par des religieuses belges, dont l'objectif est aussi (surtout) de préserver la virginité des adolescentes qui y sont scolarisées, et ainsi leur garantir un beau et riche mariage.

En ce début des années 70, le Rwanda est indépendant depuis une dizaine d'années et cherche à se faire une place et une identité parmi le concert des nations. Autant dire que le jeune Etat part sur de mauvaises bases, puisque la ségrégation des Tutsis est à l'oeuvre depuis longtemps. Leur mise à l'écart touche l'enseignement aussi, et le lycée ne peut accueillir qu'un quota de dix pourcents d'élèves tutsies, isolées au milieu des représentantes du "peuple majoritaire" hutu. Parmi ces dernières, Gloriosa, fille de ministre, s'érige bien vite en meneuse intolérante, entourée d'une cour de suivantes qui soit partagent son dégoût des Tutsis (surnommés "Inyenzi", cafards), soit sont trop lâches ou trop bêtes pour s'opposer à elle.

Entre pèlerinage annuel à la statue de Notre-Dame du Nil et visite de la reine Fabiola, l'année scolaire s'écoule de moins en moins paisiblement, les insinuations indélicates de Gloriosa à l'égard de ses condisciples tutsies laissant peu à peu la place à un discours haineux et va-t-en-guerre, et cela dans le silence assourdissant des religieuses et des enseignants, qui ne veulent surtout pas prendre parti. Ensuite, des paroles aux actes, le pas sera aisé à franchir.

D'une chronique parfois cocasse de la vie quotidienne d'un pensionnat select pour jeunes filles à un final dramatique et sans espoir, "Notre-Dame du Nil" explique, à l'échelle du microcosme d'un lycée isolé, la montée de la terreur et de la haine qui déclencheront, 20 ans plus tard, un massacre d'une violence exponentielle.

A hauteur d'adolescence, l'auteure montre bien le rouleau compresseur hutu symbolisé par Gloriosa face aux "cafards" tutsis impuissants et qui ne trouveront que rarement une échappatoire. Elle dénonce le non-interventionnisme des Blancs, et plus largement, cible la politique de la Belgique, ancienne puissance colonisatrice : en fonction de ses propres intérêts, fluctuants, celle-ci a d'abord privilégié les Tutsis, avant de changer de stratégie et de se concilier les bonnes grâces des Hutus, semant les germes d'une rivalité raciale aux conséquences tragiques.

Malgré des personnages un peu caricaturaux, on se laisse prendre par le style simple et efficace, et par le talent de conteuse de l'auteure. Elle sait s'y prendre pour nous faire ressentir la progression de l'angoisse et pour nous immerger dans la société et l'histoire rwandaises. Une question me reste cependant : imaginait-on, à l'époque, l'ampleur du massacre de 1994 ?
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critiques presse (4)
Lexpress
06 décembre 2012
C'est [la] montée en puissance de l'horreur, mais aussi l'histoire complexe du "pays aux Mille Collines" que Scholastique Musakonga nous conte avec une grande finesse.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Actualitte
11 juillet 2012
Même si l'horreur est palpable et croissante, le style limpide, le mélange des cultures, des croyances religieuses, les anecdotes au sein de l'école, les personnages parfois drôles, émouvants ou pathétiques, voire exaltés constituent un récit agréable à lire, rarement menaçant ou insoutenable.
Lire la critique sur le site : Actualitte
Lhumanite
07 mai 2012
Scholastique Mukasonga parvient à restituer l’atmosphère d’une époque de terreur. Ce roman à l’écriture simple et directe, qui traite de tous les signes avant-coureurs de la catastrophe, met donc en 
jeu un microcosme que traversent des amitiés, des alliances et la haine.
Lire la critique sur le site : Lhumanite
Bibliobs
12 avril 2012
«Notre-Dame du Nil» est un roman d'atmosphère au suspense insoutenable.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Citations et extraits (123) Voir plus Ajouter une citation
- Tout ce que mangent les Blancs, gémissait Godelive, sort des boîtes, même les morceaux de mangue et d'ananas qui nagent dans du sirop, et les seules vraies bananes qu'on nous sert, ce sont des bananes sucrées pour finir le repas, mais ce n'est pas comme ça qu'on mange les bananes. Dès que je rentrerai chez moi pour les vacances, avec ma mère on préparera de vraies bananes, on surveillera le boy quand il les épluchera et les mettra à cuire dans de l'eau et des tomates. Et puis, ma mère et moi, on y ajoutera tout ce qu'on peut: des oignons, de l'huile de palme, des épinards irengarenga très doux et des isogi bien amers, des petits poissons séchés ndagala. Avec ma mère et mes sœurs, on se régalera.

- Tu n'y connais rien, dit Gloriosa, ce qu'il faut, c'est de la sauce d'arachide, ikinyiga, et faire cuire doucement, très doucement, de façon que la sauce imprègne jusqu'aux entrailles de la bananes.

- Mais, rectifiait Modesta, si vous faites cuire avec le Butane et dans une casserole comme les gens de la ville, les bananes cuiront trop vite, elles ne seront pas moelleuses, il faut du charbon de bois et surtout une marmite en terre. Ça prend beaucoup de temps. Moi, je vais vous donner la vraie recette, celle de ma mère. D'abord il ne faut pas éplucher les bananes, on met un peu d'eau au fond d'une grande marmite et tu disposes au-dessus les bananes, bien tassées, et tu les recouvre de toute une couche de feuilles de bananier, il faut que ce soit hermétique, tu choisis des feuilles sans déchirures. Dessus, pour faire un poids, on place un tesson de poterie. Il faut attendre longtemps, il faut que cela cuise très lentement mais, si tu es patiente, tu auras des bananes bien blanches, moelleuses jusqu'au cœur. Il faut les manger avec de l'ikivuguto, du lait battu, et inviter les voisines.

- Ma pauvre Modesta, dit Goretti, ta mère fera toujours la délicate, des bananes bien blanches, immaculées et on les accompagne avec du lait! Tu auras toujours les manières de ta mère. Moi je vais te dire ce qu'il faut que tu prépares pour ton père: des bananes toutes rouges parce qu'elles ont bu le jus des haricots. Je suis sûre que ta mère ne voudrait pas y toucher, mais quand le boy en fait pour ton père, tu es bien forcée d'en manger. Apprends donc la recette à ta mère: elle les épluche et, quand les haricots sont presque cuits mais qu'il reste une moitié d'eau, elle les jette dans la marmite et elles boivent tout le jus qui reste. Alors elles deviennent rouges, brunes, c'est comme ça qu'elles sont succulentes, consistantes! Voilà les bananes des vrais Rwandais qui ont la force de manier la houe!
(P50)
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La pluie pendant de longs mois, c'est la Souveraine du Rwanda, bien plus que le roi d'autrefois ou le président d'aujourd'hui, la Pluie, c'est celle qu'on attend, qu'on implore, celle qui décidera de la disette ou de l'abondance, qui sera le bon présage d'un mariage fécond, la première pluie au bout de la saison sèche qui fait danser les enfants qui tendent leurs visages vers le ciel pour accueillir les grosses gouttes tant désirées, la pluie impudique qui met à nu, sous leur pagne mouillé, les formes indécises des toutes jeunes filles, la Maîtresse violente, vétilleuse, capricieuse, celle qui crépite sous la bananeraie comme ceux des quartiers bourbeux de la capitale, celle qui a jeté son filet sur le lac, a effacé la démesure des volcans, qui règne sur les immenses forêts du Congo, qui sont les entrailles de l'Afrique, la Pluie, la Pluie sans fin, jusqu'à l'océan qui l'engendre.
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La pluie pendant de longs mois, c'est la Souveraine du Rwanda, bien plus que le roi d'autrefois ou le président d'aujourd'hui, la Pluie, c'est celle qu'on attend, qu'on implore, celle qui décidera de la disette ou de l'abondance, qui sera le bon présage d'un mariage fécond, la première pluie au bout de la saison sèche qui fait danser les enfants qui tendent leurs visages vers le ciel pour accueillir les grosses gouttes tant désirées, la pluie impudique qui met à nu, sous leur pagne mouillé, les formes indécises des toutes jeunes filles, la Maîtresse violente, vétilleuse, capricieuse, celle qui crépite sur tous les toits de tôles, ceux cachés sous la bananeraie comme ceux des quartiers bourbeux de la capitale, celle qui a jeté son filet sur le lac, a effacé la démesure des volcans, qui règne sur les immenses forêts du Congo, qui sont les entrailles de l'Afrique, la Pluie, la Pluie sans fin, jusqu'à l'océan qui l'engendre.
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La construction du lycée fut un spectacle qu'on n'est pas près d'oublier à Nyaminombe. Pour n'en rien manquer, les hommes toujours oisifs délaissaient les cruches de bière du cabaret, les femmes quittaient plus tôt leur champ de petits pois et d'éleusine, au battement du tambour qui annonçait la fin de la classe, les enfants de l'école de la mission couraient et bousculaient la petite foule qui regardait et commentait les travaux pour être au premier rang. Les plus hardis avaient d'ailleurs déserté l'école pour guetter le long de la piste le nuage de poussière qui annonçait l'arrivée des camions. Dès que le convoi parvenait à leur hauteur, ils couraient derrière les véhicules et tentaient de s'y agripper. Certains y réussissaient, d'autres retombaient sur la piste manquant de peu de se faire écraser par le camion suivant. Les chauffeurs hurlaient en vain pour essayer de chasser l'essaim des imprudents. Quelques-uns stoppaient leur véhicule, en descendaient, les écoliers prenaient la fuite, le camion redémarrait, le jeu recommençait. Dans les champs, les femmes levaient leur houe vers le ciel en signe d'impuissance et de désespoir.
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- Mon père, mon père, dit la mère supérieure, pas de politique, pas de politique, essayons simplement d'éviter le scandale, de tenir éloignées nos filles innocentes.
- Mais, dit le père Herménégilde, Frida et l'ambassadeur sont fiancés. Disons qu'ils viennent ici pour la préparation au mariage, je suis l'aumônier du Lycée... Soeur Gertrude, allez prévenir Frida que son fiancé l'attend. Moi, j'irai leur rendre visite dans la soirée et je ramènerai Frida pour le réfectoire.

Peu de temps avant la sonnerie qui appelait au réfectoire, le père Herménégilde se présenta devant le perron du Bungalow. Il s'adressa aux deux gardes en treillis militaire qui étaient assis sur les marches.
- Veuillez prévenir Son Excellence que je désire lui parler et que je viens pour ramener la jeune fille au lycée.
- L'ambassadeur ne reçoit personne, répondit l'un des gardes en swahili, et il a dit que la fille resterait là pour la nuit.
- Mais je suis le père Herménégilde, l'aumônier du lycée, et Frida doit rentrer au lycée pour le souper comme toutes les autres élèves. Je dois parler à Son Excellence.
- Pas la peine d'insister, dit le garde, c'est M. l'Ambassadeur qui a décidé que la fille resterait là pour la nuit, vous pouvez vous en retourner.
- Mais la jeune fille ne peut pas rester là toute la nuit. C'est une élève, il faut...
- On vous le dit encore une fois : pas la peine d'insister, répéta l'autre garde qui en se levant révéla au père Herménégilde son imposante stature, la petite est d'accord, il ne faut pas déranger.
- Mais, mais...
- J'ai dit que ce n'était pas la peine d'insister, la petite est avec son fiancé, M. l'Ambassadeur est venu pour ça.
Le gigantesque gardien descendait lentement l'escalier et s'avançait, menaçant, vers le père Herménégilde.
- C'est bien, c'est bien, dit le père Herménégilde en reculant, présentez mes hommages à Son Excellence et souhaitez-lui bonne nuit, je le verrai demain.
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Videos de Scholastique Mukasonga (12) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Scholastique Mukasonga
Ce dimanche 7 avril 2024 marque les 30 ans du dernier génocide du XXe siècle, celui des Tutsi au Rwanda. le pays a-t-il achevé sa reconstruction après l'horreur ? Comment se passe la cohabitation entre les victimes et leurs bourreaux, en grande partie sortis de prison depuis quelques années ?
Pour en parler et analyser la situation, Guillaume Erner reçoit : Hélène Dumas, historienne, chargée de recherches au CNRS au Centre d'études sociologiques et politiques Raymond Aron. Scholastique Mukasonga, écrivaine rwandaise. Dominique Célis, écrivaine belgo-rwandaise.
Visuel de la vignette : Alexis Huguet / AFP
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