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Critique de caro64


Vaste fresque sur les heures qui ont précédées la prise de Madrid par les franquistes, cet impressionnant roman de 750 pages fouille avec honnêteté les tréfonds de l'âme humaine. Un monumental récit historique qui est aussi un travail fantastique sur le temps et son écoulement.

En 1936, la République espagnole naissante est déjà en proie aux convulsions annonciatrices de l'atroce guerre civile qui s'en suivra. Ignacio Abel, célèbre architecte socialiste, est marié depuis seize ans à Adela, issue d'une vieille famille catholique, qui lui a donné deux enfants. le jour, où il fait la connaissance de Judith Biely, une jeune Juive américaine, il en tombe éperdument amoureux. Dans un Madrid bientôt assiégé par les franquistes, ces deux amants insouciants s'étreignent dans une intense passion qu'Ignacio découvre, sans jamais deviner qu'il vient de mettre le doigt dans un engrenage qui se risque fort de se révéler dramatique, à cette heure où les ténèbres s'apprêtent à assombrir l'Espagne.

Intimiste et charnel, ce roman plonge son protagoniste - entre politique et sentiments - au sein d'une infernale spirale qui le conduira à la perte à la fois de son amour, de son pays et de ses idéaux. Fin 1936, l'architecte progressiste et républicain montera les marches de la gare de Pennsylvanie, à New York, après un périple mouvementé depuis Madrid où la guerre civile a déjà éclaté. Il y cherche Judith, sa maîtresse américaine perdue, poursuivi par les lettres accusatrices de sa femme, Adela, et préoccupé par le devenir menacé de ses enfants, Miguel et Lita. le narrateur observe, mais de loin seulement. S'il nous montre l'homme à la recherche de ce train qui le conduira dans une petite ville au bord de l'Hudson, c'est pour nous révéler aussi son impressionnant parcours sur les chemins sinueux de la mémoire.

En 750 pages de passion et de guerre, Antonio Muñoz Molina revisite les grands thèmes qui lui sont si chers : l'Histoire, la morale et la complexité des sentiments. A travers un éblouissant va et vient dans le temps, Ignacio Abel, le fils de maçon devenu architecte de renom à grande force de sacrifices, revisitera son ascension, son entrée dans une bourgeoisie madrilène conservatrice et catholique, entre passion amoureuse dévastatrice et violences politiques. Et c'est avec virtuosité que Molina glisse du présent au passé, fouillant dans les tourments de son héros, emportant le lecteur de sa prose élégante, riche et tortueuse - ses phrases sont longues, il faut s'y habituer - sur le chemin sinueux et difficile qui a mené son personnage là où le lecteur fait sa connaissance.

La structure de l'oeuvre est complexe et sans sophistication inutile. Elle permet aussi à l'auteur de laisser leur place à de vives et passionnantes discussions politiques. Son architecture se construit avec une implacable logique et une remarquable efficacité, à la manière des mécaniques huilées et précises des horloges.

Entre les allers retours temporels et ceux, tout aussi rythmés, de la voix très en sourdine du narrateur et de son personnage, ce roman polyphonique captive, passionne. L'aptitude à la restitution des nuances de Molina intrigue. Son art de la psychologie, sa rigueur intellectuelle et morale, son engagement éthique, humaniste et progressiste, ainsi que sa capacité à fouiller jusqu'au plus profond des minuscules détails de l'existence éblouissent.

Dans la grande nuit des temps est un roman puissant et passionnant, un grand livre. Magnifique !!

Antonio Muñoz Molina vient de recevoir le Prix Méditerranée étranger 2012 pour ce roman. Un prix bien mérité !
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