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EAN : 9782757827956
360 pages
Points (01/03/2012)
3.76/5   55 notes
Résumé :
La chaleur andalouse embaume ma chambre. On m'appelle, je ne réponds pas. Le travail aux champs attendra. Sur mon lit, ma vie est éparpillée : Voyage au centre de la terre, un magazine d'astronomie, des images de la Lune... Ma passion pour la mission Apollo XI et le désir me consument. Ruisselant de sueur, je suis impatient. Le temps est comme suspendu : le compte à rebours s'achève dans un instant.

"Je ne vois pas d'étoile, seulement une obscurité da... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (11) Voir plus Ajouter une critique
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Le vent de la lune est une sorte de roman d'apprentissage. Un jeune garçon de Malaga, dans le sud de l'Espagne, se retrouve dans cette situation critique : il n'est plus un enfant mais il n'est pas encore un homme. À l'aube de l'adolescence, il se pose bien des questions. Et les curés, en charge de l'éducation des jeunes du village, sont loin de satisfaire ses exigences élevées. La religion n'apporte pas les réponses escomptées ni le soutien espéré. Qu'a-t-elle à dire à propos de l'astronomie ? Des dérives du franquisme ? de la mort de l'oncle ?

Mais, en plus, il vit à la fin des années 1960. À cette époque, les Américains partent à la conquête de l'espace, s'apprêtent à mettre le pied sur la Lune. La mission Apollo XI a été lancée, la fusée fonce sur l'astre de la nuit ! Forcément, ça a un impact sur l'imagination d'un adolescent à l'esprit déjà fantasque. Il faut dire que le narrateur lit du Jules Verne et beaucoup d'autres romans d'aventure. Quand ce ne sont pas des ouvrages d'astronomie, scientifiques. Décidément, il ne suivra jamais le chemin tracé par son père, qui s'occupe avec soin de son verger et qui souhaiterait que son fils prenne la relève un jour.

L'auteur Antonio Munoz Molina nous dresse un portrait de ce qu'a pu être la sortie de l'enfance d'un jeune Espagnol à cette époque. Je me suis surpris à ressentir un brin de nostalgie. Pourtant, je ne l'ai même vécue cette époque, je ne pourrai jamais dire : « Quand Armstrong a posé son pied sur la Lune, j'étais en train de faire… » Mais, au-delà de la conquête de l'espace, il y a les films américains. Et les filles. Et toutes les autres préoccupations d'un adolescent. Assez universel, non ? Je crois que n'importe qui peut se mettre à la place du narrateur et ressentir avec lui ce moment charnière.

En plus, tout est raconté bellement. Je suis vraiment tombé sous le charme de la plume d'Antonio Munoz Molina. Tellement que j'avais l'impression d'y être. La chaleur andalouse, le vent qui transporte les graines des champs de blé dorés et l'odeur parfumée des épices et des fines herbes, les figues et les grenades à la chaire juteuse, etc. le tout dans un décor pas encore ravagé par la modernité (le réfrigirateur est une innovation inqiétante !). J'adore cette atmosphère précieuse. Je lirai assurément d'autres de ses romans et j'espère la retrouver.
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Juillet 1969, souvenez-vous, atterrissage sur la Mer de la Tranquillité de la Lune.
Dans un petit village andalou, Magina, près de Jaen, là où seul un riche possède la télévision, l'écran s'emplit de neige précédant les images du « voyage » et le Caudillo , vieux et malade, conclut. le possesseur de la télé , vieux et riche, acclame « Viva Franco ! » et tous se taisent, de peur qu'à travers l'écran on ne repère les opposants.
La différence entre pauvres et riches est une affaire d'odeurs : dans la maison de l'adolescent qui parle, il sent le feu de bois et le purin, auprès du puits, au jasmin et géraniums. Dans la maison de sa tante, il sent le savon, le parfum, et le pain frais quand il se love près d'elle. Dans la maison de son oncle, qui a réussi et est soudeur, ça sent la brillantine et le mazout.
Dans la maison du riche agonisant, qui auparavant sentait l'abondance de la richesse, se sont substituées l'odeur de sueur, d'urine et de mort, de patates pourries et d'animal blessé.
Chez lui, il n'y a pas l'eau courante, des carrés de papier journal sont attachés par une ficelle, près des WC, et l'eau du puits tient compte de chasse d'eau.

Et les américains vont sur la Lune. Rien ne dit qu'ils y arriveront, ni qu'ils reviendront, leur solitude dans les grands espaces inconnus résonne dans l'esprit de l'adolescent, comme pour comparer et assimiler son désarroi.
« Que sais-tu, dans une seconde tu n'auras plus le temps de comprendre que tu étais sur le point de ne plus exister ? »

Rien ne vient aider ce jeune, il n'a aucun repère, son père, cultivateur, ne sait pas manier un stylo, et l'enfant ne s'identifie ni à lui ni aux conversations circulaires de sa grand mère et de sa mère, qui reprisent et lui cousent des caleçons humiliants dans de vieux draps.
Humilié, il l'est encore plus quand il part en collège, perdu, dans un milieu de riches qui se moquent de sa pauvreté : ses camarades de classe s'arment d'un compas dans le fond de la classe, les curés lui prédisent l'enfer éternel s'il commet le péché principal, se caresser, ce qu'il fait chaque jour, travaillé par une adolescence solitaire, tenaillé entre le plaisir impératif et la culpabilité. Il a déjà compris qu'ils mentent, ces curés, que cette croisade morale inflexible ne correspond pas à la vraie vie, que Darwin a raison, alors il s'échappe en pensée, dans un monde d'après, où la gitane dont il a aperçu les seins serait avec lui dans une grotte. Il s'échappe dans les livres, Jules Verne, bien entendu, Et aussi dans ce voyage sur la Lune auquel il participe, se demandant pourquoi Armstrong et pas lui, tutoyant ses camarades imaginaires, puis utilisant à la fin du livre un nous qu'il n'emploie pas avec sa famille, ni avec ses camarades de collège.

Le passage à l'âge adulte s'opère insensiblement, comme un vent léger et imperceptible. Car, bien entendu, il n'y a pas de vent sur la Lune, le vent c'est ce qui a fait qu'il a changé, sans savoir ni pourquoi ni où il va se diriger. Ce vent qui fait qu'il se reconnaît plus, comme s'il s'était perdu en chemin sans pouvoir se définir, et que l'avenir lui fait peur.
Antonio Muñoz Molina , pour cette histoire, utilise de longues phrases à la Proust, remplies de détails destinés à illustrer la pauvreté dans un village andalou, pendant l'été 1969, là où frigidaires, téléphones et téléviseurs ne sont possession que de privilégiés, au moment où , parallèlement, le petit pas pour l'homme se double « d'un grand pas pour l'humanité. »
Lu en VO, c'est plus pratique pour moi.
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Il n'y a pas de vent sur la Lune, mais gardons cela pour plus tard.
Ce 20 juillet 1969, cinquante ans bientôt, Neil Armstrong, Buzz Aldrin et Michael Collins ne se doutaient pas qu'ils embarquaient dans leur aventure un garçon solitaire, pauvre et rêveur qui les suivait passionnément depuis la petite ville d'Andalousie assoupie où il était né treize ans plus tôt. Antonio Munoz Molina nous fait revivre l'événement à travers ses yeux d'enfant, dans la chaleur de l'été andalous.
Le récit alterne entre ce qui se passe dans la fusée, dans le module de commandement, dans le module lunaire, dans la tête des astronautes : « Tu attends avec impatience et avec crainte une explosion qui aura quelque chose d'un cataclysme quand le compte à rebours arrivera au zéro… »
…et ce qui se passe à Magina (Ubeda) dans la tête de l'auteur : « Enfermé dans ma chambre par un après-midi de juillet, j'écoute les voix qui m'appellent, les pas pesants qui montent à ma recherche par l'escalier de la maison… » Il est aussi solitaire et isolé que l'astronaute qui attend la mise à feu des moteurs.
On connait la qualité de l'écrivain (personnellement c'est mon troisième roman) qui fait encore merveille ici. Il nous fait partager l'angoisse des héros, bien présente aussi soigneusement dissimulée soit-elle. Il nous rappelle qu'Apollo XI était une mission à très haut risque, ce qu'en raison du succès nous avions oublié, et n'omet pas de prêter à Aldrin un regard de jalousie envers son collègue qui a été « le premier ». Pourquoi lui et pas moi ? On saisit le moment où tous deux prennent conscience qu'ils n'auront pas le temps de savourer leur « marche lunaire », d'admirer la vue unique sur la planète bleue car il leur faut travailler dur ; celui, très émouvant, où ils réalisent que plus jamais ils ne reviendront. Jamais plus est une idée terriblement douloureuse, chacun de nous en a fait l'expérience, quelque soit le moment de bonheur et de plénitude qu'il concerne et l'écrivain qui nous le rappelle fait mouche.
La solitude de celui qui est resté en orbite et qui se demande s'il va revoir ses deux compagnons est à mettre en parallèle avec la solitude de l'enfant pauvre dans le collège où il ne connait personne car tous les enfants de sa classe sociale ont déjà arrêté l'école. Et tandis que les cosmonautes s'arrachent à l'attraction terrestre grâce à la fusée Saturne, l'enfant tente de s'arracher, grâce à ses lectures, à l'influence de la religion ainsi qu'à l'avenir immuable qui l'attend dans les champs, lui le fils de paysan, petit-fils de paysans, descendant de paysans depuis la (grande) nuit des temps.
Les pages consacrées aux lectures constituent un bel hommage à la science fiction mais aussi aux récits d'exploration et de découvertes tout comme sont admirables celles qu'il consacre au froid mordant de l'hiver dans une maison sans chauffage, à l'eau courante qui ne court que dans le seau qu'on transporte à bout de bras du puits vers la maison ou à l'éprouvante et harassante cueillette des olives. C'est aussi le temps des séances de cinéma en plein air avec la découverte de l'attraction des actrices à laquelle un adolescent n'a aucune chance de s'arracher, celui de l'apparition des premiers téléviseurs et des premiers touristes… C'est enfin, à travers l'agonie de Baltasar le voisin jadis brutal et redouté, la maladie qui, débutant cette année-là, finira par abattre le caudillo et le franquisme.
Alors ce vent de la Lune ? Qui est-il, s'il n'est pas lunaire, s'il est incapable d'effacer les pas des deux astronautes imprimés à jamais dans la poussière de la Mer de la Tranquillité? Je crois que c'est le vent qui emporte nos illusions, nos souvenirs et nos êtres chers, celui qui fait se vider le sablier du temps qui passe. Soixante-neuf est bien loin même si à l'époque l'enfant se demandait « Comment serai-je, moi, si je suis vivant, en mille neuf cent quatre-vingt, en mille neuf cent quatre-vingt-cinq, à la fin du siècle, en deux mille, qui ne me semble pas être une date possible du réel mais un repère aussi fantastique dans le temps que la colonisation des planètes…qui abondent dans les histoires de science-fiction, ainsi qu'aux actualités ? Comment sera-ce d'avoir quarante-quatre ans, trois de plus que n'en a mon père aujourd'hui, mon père dont les cheveux sont déjà devenus blancs. Soudain ce futur resplendissant de prédictions scientifiques me devient sombre quand je pense qu'en l'an deux mille mon père sera un homme de soixante-douze ans, que ma mère en aura soixante-dix et que mes grands-parents seront probablement morts. »
Les deux dernières pages sont aussi éclairantes que sublimes : « Il y a quelques minutes j'avais treize ans et je rentrais de la bibliothèque municipale de Magina avec un livre d'astronomie sous le bras et maintenant, dans la glace de la salle de bains, je suis un homme aux cheveux gris, égaré soudain dans un futur plus lointain que celui de la majeure partie des histoires d'anticipation que je lisais à l'époque. (..) Maintenant, dans les rêves que je me rappelle chaque fois que j'ouvre les yeux, l'ombre fragile et distante de mon père se détourne de moi quand je veux m'approcher d'elle. C'est ainsi que me fuient et m'entourent les autres fantômes logés dans les chambres désertes, dans les armoires fermées, dans les maisons vides de la place, chacun avec son visage et son nom, avec une voix qui m'appelle.
Bien que je sois si loin, ils ont su me trouver. »
C'est un magnifique et très émouvant roman, bel hommage aux rêveurs, aux aventuriers et aussi à son père « Il est mort presque aussi discrètement qu'il s'était tant de fois levé en pleine nuit, tâchant de ne réveiller personne. »
D'ici quelques semaines, vous n'échapperez pas aux commémorations de l'événement. Lisez sans plus tarder le Vent de la Lune, pour passer un excellent moment et briller un peu en société.
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Bien belle excursion dans laquelle nous entraîne Muñoz Molina, dans un petit village reculé d'Espagne, où un jeune adolescent de milieu rural découvre les émois de son âge à l'époque où les Américains débarquent sur la lune. Il est pris en flagrant délit de déloyauté par rapport aux espoirs que son père forgeait en lui de perpétuer son métier de maraîcher et par rapport à ceux du père salésien qui espère de faire de ce boursier un curé, alors que le jeune homme n'aime que les livres d'aventures et d'astronomie ainsi que sa sensualité toute neuve.

J'ai beaucoup aimé ce livre, qui est, tout de même, un large cran en-dessous, à mon estime, que "Dans la grande nuit des temps" du même auteur, que j'avais adoré.

Ce livre-ci semble toutefois puiser largement dans la biographie de l'auteur.

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Un bonne introspection pour un ado issu de la campagne Andalouse et qui est fasciné par la Lune à l'époque du premier pas sur cette dernière.
On assiste en parallèle aux découvertes industrielles telles que la télévision, la douche en installation dans les familles rurales.
Pour une découverte espagnole, je dirais que je suis un peu mitigée, je ne sais pas trop quoi en penser car j'aurais voulu ressentir le même fond qu'à la lecture de Ruiz Zafon mais c'est différent... donc j'essaierai, sur les conseils de pirouette001 son fameux "dans la grande nuit des temps".
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critiques presse (1)
Lexpress
21 mars 2012
D'un souvenir à l'autre, l'Espagnol raconte comment ses rêves d'ado allaient nourrir son oeuvre, et son récit déborde de tendresse nostalgique, dans les halos du temps retrouvé.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Citations et extraits (69) Voir plus Ajouter une citation
Tous les lundis, le père directeur prend son temps. Il ouvre son dossier noir, où se trouvent les fiches de chacun de nous, et chacun sursaute, craignant que sur la page à laquelle le père directeur l'a ouvert n'apparaissent sa photo et son nom, le quadrillage où il inscrit, d'une écriture minuscule, les notes de chacun de nos exercices, avec la même minutie que mettrait son Dieu courroucé et omniscient à noter dans sa mémoire immense les plus infimes péchés de chaque membre de l'humanité fourmillante et pécheresse. Le père directeur, le menton dans la main gauche et le coude sur la table, a le cahier ouvert devant lui mais il ne le regarde pas, il ne semble pas s'apercevoir de sa présence... Pendant les premières minutes il n'y a pas d'autre bruit dans la salle. Le père directeur sourit ... et nous savons tous que la trêve se termine, l'attente maintenant tendue jusqu'à la limite. Les deux coudes sur la table, ses longues mains jointes devant sa bouche et composant l'axe de symétrie de sa figure haute et droite, le père directeur annonce en souriant :
" Aujourd'hui, nous allons couper des têtes.
Il y a un murmure de soulagement et un autre de peur renaissante : couper des têtes, dans le langage punitif du père directeur, signifie qu'il n'appellera sur l'estrade que les élèves dont les noms seront en haut de chacune des pages de son cahier. Mais personne ne doit avoir confiance parce qu'il se peut qu'au milieu du cours le père directeur fasse une grimace de lassitude, son pâle visage traversé d'un sourire sec comme un rictus :
_ Les têtes sont tellement creuses que je me lasse de les couper. Maintenant, jusqu'à la fin du cours, nous allons couper des pieds.
Et ceux qui voyaient approcher le châtiment certain avec la fatalité d'une sentence, parce que leurs noms étaient en tête des pages suivantes, s'évanouissent presque de bonheur, quant à ceux qui se sont crus épargnés, ils se voient projetés dans l'imminence de l'échafaud, l'estrade sur laquelle ils devront monter quand résonnera leur nom, et le tableau noir couvert de chiffres et de formules qu'ils effaceront avec la résignation de celui qui a déjà tout perdu et qui n'attend plus que le sarcasme, la gifle, les phalanges serrées heurtant sa nuque, les doigts froids qui lui tordront l'oreille au point qu'elle leur semblera sur le point d'être arrachée.
Personne n'est à l'abri, pas même celui qui n'a pas été appelé au tableau, qui penche la tête sur son cahier et griffonne un exercice, ou qui simplement reste immobile, désirant rétrécir au point d'atteindre à l'invisibilité, comme un coquillage qui serre ses valves, comme un insecte qui a l'illusion que son mimétisme le met à l'abri du pied qui va l'écraser.
Tous les lundis matin, à neuf heures, au lugubre démarrage de la semaine, après que l'après-midi du dimanche s'est noyé dans la tristesse à mesure que tombait la nuit, après le sommeil et le réveil pénitentiaire, après le trajet jusqu'à l'autre bout de la ville, jusqu'au terrain vague où se dresse le collège, le cours de mathématiques est une laborieuse initiation à la peur, à une variété profonde et aiguë de peur qui est l'une des nouveautés dans ma vie.
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Chaque livre est la dernière des chambres d'une série, la plus sûre et la plus profonde, à l'intérieur de mon refuge. Un livre est une tanière où se dissimuler, une île déserte où se retrouver à l'abri, et aussi un véhicule pour s'enfuir. Je lis des romans mais aussi des manuels d'astronomie, de zoologie et de botanique, que je retrouve à la bibliothèque municipale. Le voyage de Darwin à bord du Beagle, ou celui de Burton et de Speke à la recherche des sources du Nil sont parvenus à m'émouvoir plus que les aventures des héros de Jules Verne, avec beaucoup desquels je vis dans une fraternité fantasmatique plus excitante et consolatrice que mes relations avec les camarades du collège.
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Je ressens maintenant ce que je n'ai jamais ressenti, des accès d'hostilité envers toutes choses, une sourde rancune contre le monde extérieur qui se concrétise en désirs de revanche, de vaillance physique et d'orgueilleuse misanthropie. Mes héros ne sont plus Tom Sawyer ou Michel Strogoff, mais le comte de Monte-Cristo et le capitaine Nemo, tous deux artisans de somptueuses vengeances ou Galileo Galilei qui se rebelle contre l'Eglise et la vérité établie, et regarde dans une lunette la surface de la Lune et découvre ses cratères, ou Ramon y Cajal, né dans une famille beaucoup plus pauvre que la mienne et qui a eu l'immense volonté et la force nécessaires pour devenir un savant de renommée mondiale, ou le capitaine Cook qui a fait plusieurs fois le tour du monde dans de fragiles bateaux à voiles, qui a découvert des îles tropicales habitées par de belles femmes nues et s'est approché des falaises de glace de l'Antarctique. Si les curés menacent Galilée du bûcher, je deviendrai secrètement l'un de ses partisans. S'ils prétendent que Dieu a modelé l'homme à Son image dans de la glaise et que la femme est née d'une côte d'Adam, moi je me réveillerai et je chercherai à comprendre la théorie de l'évolution, et s'ils me disent qu'il y aura une vie éternelle après la mort et que chacun ira en enfer ou au paradis, je me convaincrai moi-même que la seule réalité est la matière et qu'il n'y a pas d'autre vie future que la décomposition et le néant. Je m'imagine hérétique, excommunié et persécuté. Je me vois dressé face à un tribunal de soutanes, sur une estrade empoussiérée de craie comme celles du collège.
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"Tu attends avec impatience et avec crainte une explosion qui aura quelque chose d'un cataclysme quand le compte à rebours arrivera au zéro et pourtant rien ne se produit. Tu attends couché sur le dos, raide, les genoux pliés à angle droit, le regard fixé devant toi, vers le haut, en direction du ciel, si tu pouvais le voir, à l'intérieur de la transparence courbe du casque qui t'a plongé dans un silence aussi définitif que celui du fond de la mer quand on a terminé de l'ajuster à la collerette rigide de la combinaison extérieure. Soudain la bouche de ceux qui étaient les plus proches bougeait sans produire de son et c'était comme se trouver déjà très loin sans que le voyage eût encore commencé. Les mains sur les cuisses, les pieds joints, à l'intérieur des grosses bottes blanches avec leurs rebords jaunes et leurs semelles très épaisses, maintenues pour le décollage par des attaches en titane, les yeux très ouverts.

Tu n'entends rien, pas même la rumeur du sang à l'intérieur des oreilles, ni les battements de ton cœur, que des capteurs fixés à ta poitrine enregistrent et transmettent, profonds, réguliers, avec une sonorité de tambour, mais beaucoup moins précis dans leur cadence que la pulsation des chronomètres. Le nombre de ses battements par minute sera enregistré, comme celui du cœur de tes compagnons, chacun d'eux aussi immobile et tendu que toi, chacun des trois cœurs battant à l'intérieur d'une poitrine sur un rythme différent, comme trois tambours non synchronisés. Tu fermeras les yeux, attendant. Les paupières sont presque la seule partie de ton corps que tu puisses bouger à ta guise et cela te rappelle ta nature physique précaire, ta nudité cachée à l'intérieur de trois combinaisons superposées, faites de nylon, de plastique, de coton, traitées avec des substances ignifuges. Chaque combinaison, en elle-même, est déjà un véhicule spatial. Il y a quelques années, pendant plus d'une heure, tu as flotté dans le vide à une distance de deux cents kilomètres
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Ma tante Lola utilise du rouge à lèvres, elle a le rire facile, les dents lumineuses, les gencives fraîches et roses, de grands yeux soulignés par le rimmel de ses paupières. Elle est mariée avec un homme qui a gagné beaucoup d'argent, mais depuis que je suis tout enfant, depuis que j'ai des souvenirs, je l'ai toujours évoquée ainsi : une fleur de luxe dans notre sombre maison de travail et d'austérité, protégée de la dégradation des travaux ménagers et de la résignation obstinée avec laquelle ma mère et ma grand-mère endurent leur vie. Toute jeune déjà, elle se passait du rouge à lèvres et du vernis à ongles, et elle restait des heures à se regarder dans la glace ou à écouter des chansons à la radio, sans faire grand cas des ordres de ma grand-mère, sans se laisser mettre au pas par ses punitions. Ma tante Lola apporte avec elle l'éclat de l'argent et de la vie multicolore qu'on montre dans les publicités des revues sur papier glacé qu'elle a toujours chez elle et qu'elle laisse chez nous quand elle les a lues; publicités pour des choses que nous ne possédons pas et qui nous sembleraient purement fantastiques si nous ne les avions pas vues chez elle et dans le magasin d'électroménager de son mari : téléviseurs à l'énorme écran bombé, réfrigérateurs, machines à laver le linge, lave-vaisselle d'un blanc éclatant et assorti au sourire des femmes, presque toujours blondes, qui posent à côté d'eux, radiateurs à gaz, chauffe-eau, aspirateurs, fers à vapeur, rasoirs électriques, montres étanches qu'on n'a pas besoin de remonter. VOUS POUVEZ DES A PRESENT PORTER LA MONTRE OMEGA QU'UTILISERONT LES ASTRONAUTES DANS LEUR VOYAGE VERS LA LUNE. Dans les revues que nous apporte ma tante Lola et où je découpe les photos en couleur des reportages sur le programme Apollo, des femmes aussi jeunes et bien mises qu'elle, sans la moindre trace de la fatigue des travaux manuels, se font bronzer dans des maillots de bain aguichants au bord de la mer ou auprès du bleu chloré des piscines, et tiennent à la main, avec un sourire d'invite qui ne laisse pas de me tenter, des flacons de cristal remplis de parfums aux noms français et des pots en plastique avec les étiquettes de produits dont je ne sais pas à quoi ils servent et que je n'ai jamais vus dans la réalité, même quand je suis allé fourrer mon nez dans l'armoire de sa salle de bains : crèmes solaires, dépilatoires, anticellulite, shampooings pour cheveux teints, masques faciaux. Pas même dans les publicités de la télévision, les appareils électroménagers, les voitures et les femmes qui les présentent n'ont autant d'éclat : en effet ils y sont en noir et blanc. Dans les revues de ma tante, les réfrigérateurs des publicités sont ouverts et remplis d'aliments presque aussi exotiques que les crèmes de beauté : yaourts de toutes les couleurs, grandes bouteille de Coca-Cola, de Fanta à l'orange et au citron, fruits beaucoup plus ronds et parfaits que ceux que nous cultivons dans notre jardin, ananas tropicaux, lait en bouteille, plaquettes de beurre dans des emballages rutilants, boîtes de fromage en portions sur le couvercle desquelles est dessinée une vache souriante.
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