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Patrick De Vos (Traducteur)
EAN : 9782020562287
377 pages
Seuil (01/09/2002)
  Existe en édition audio
3.85/5   1230 notes
Résumé :
A Tokyo, un jeune cadre publicitaire mène une existence tranquille. Il est amoureux d’une jeune fille par fascination pour ses oreilles, est l’ami d’un correspondant qui refuse de lui donner son adresse pour de confuses raisons..., jusqu’au jour où cette routine confortable se brise. Pour avoir utilisé une photographie apparemment banale où figure un mouton, sa vie bascule. Menacé par une organisation d'extrême droite, il va se mettre en quête de cet animal particul... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (104) Voir plus Ajouter une critique
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sur 1230 notes
La course au mouton sauvage est une course insolite, effrénée, vertigineuse, à perdre la laine. J'ai failli me perdre en chemin, mais c'était sans compter sur ma boussole, ce petit grain de folie qui me permet d'aimer les romans de Haruki Murakami, de m'y perdre avec une joie presque enfantine.
Si on parle de chemin, ici on est à mi-chemin entre le réel et l'imaginaire, ou plus exactement entre le réel et la magie, et c'est ce que j'aime particulièrement dans certains romans, à condition que cela m'entraîne dans un voyage où sur ce fil tendu entre ces deux mondes je deviens funambule et surtout à condition que je crois à l'histoire même si elle est totalement déjantée, à tel point que je n'ai plus le choix, le seul choix d'avancer, surtout ne plus reculer, suspendu à ce fil qui me donne brusquement une sensation d'apesanteur qui me délivre des malheurs du monde. Je vous avouerai aussi que j'ai une préférence pour les situations où je ne pas tombe de ce fil...
Ici j'y ai cru jusqu'au bout, même si mes pieds ont tremblé sur le fil, même si le faux-pas n'était jamais loin...
Dans ce roman de Haruki Murakami qui n'échappe pas à la règle propre à beaucoup de ses textes, on y trouve pêle-mêle : un narrateur à la recherche d'un mouton d'une variété totalement inconnue, une girlfriend aux oreilles enchantées, un chauffeur capable de réciter 32 décimales de pi, un homme-mouton, un autre qu'on appelle le Rat, un chat qui s'appelle Sardine, des pénis de baleine, un virage dans une montagne... Oui je sens à vos sourcils ébahis et effrontés qu'il y a quelque chose qui vous turlupine dans ce propos à la Prévert. Allez, j'ai deviné, c'est le chat qui se nomme Sardine... C'est bien cela ? Ah ! je commence à vous connaître... Avouez que c'est provoquant tout de même... ! Il faut bien sûr remettre tout ceci dans son contexte...
Mais revenons à l'intrigue, car cette déambulation mélancolique prend vite les allures d'un thriller, un thriller certes, mais un thriller au bord du fantastique..
Le narrateur, un jeune cadre publicitaire de Tokyo, m'est apparu fort sympathique. Sans doute parce qu'il est jeune, la trentaine, séducteur, sûr de lui. Bref ! L'archétype de l'homme moderne parfait, lisse, presque invisible, qui nous plaît tant, nous autres lecteurs, âmes romantiques et sensibles, épris de vertiges et de vagabondages... Ah ! Il aime cependant l'insolite : il est tombé amoureux d'une jeune femme en raison de la seule fascination qu'il a pour ses oreilles... Brusquement cette routine confortable et qu'on ne peut qu'admirer, envier même, va se briser... Brusquement, surgit ici l'impossible, le caillou dans la chaussure, la faille dans la maille... Un homme tout de noir vêtu, se revendiquant d'une d'organisation d'extrême-droite lui rend visite dans l'agence. Il voudrait connaître l'origine d'une photo utilisée pour une communication destinée à une compagnie d'assurance-vie : un mouton dans une prairie, avec en arrière-plan un paysage de montagne. La photo semble ancienne. C'est plus qu'une question, c'est une menace avec un ultimatum. le narrateur n'a pas le choix, et nous non plus, alors nous le suivons, avec sa girlfriend et ses oreilles inspirantes...
J'ai adoré le ton de ce texte à la fois désinvolte, faussement ordinaire, inventif, drôle par moment, cynique, envoûtant au final, où se jouent dans l'envers du décor les destins de personnages égarés dans le propre rôle qu'ils doivent endosser.
J'ai aimé cette jeune femme aux oreilles fascinantes, elle semble comme diaphane, presque invisible, une sorte de personne que le narrateur identifie à ses seules oreilles et qui pourtant permet d'enchanter le roman, de lui donner cette légèreté propre à l'amour et aux rêves, propre à certains paysages du Japon, elle devient brusquement capable, comme par un mystère qui l'habite, de deviner les choses qui peuvent survenir, faire venir à elle des secrets qui tiennent à l'enchantement. Cette fille a un don merveilleux, le don d'attirer les choses à elle. J'ai trouvé étrange que le narrateur l'appelle ainsi, parle d'elle en disant « sa girlfriend ». On pourrait s'en moquer, j'ai trouvé cela tendre au fur et à mesure que s'accomplissait le récit.
Voyager dans ce roman, c'est savoir ne pas choisir entre le bien et le mal, entre la raison et l'absurde. Ici d'ailleurs les frontières sont ténus et peuvent changer d'une page à l'autre. Et puis un jour, la fragilité de certains personnages effritent les carapaces, les murs, les cornes de mouton, donne brusquement du sens à l'existence. C'est peut-être cette fragilité qui donne une préférence à certains d'entre eux pour continuer d'écouter les cigales en buvant des bières plutôt que d'aller vers le pouvoir absolu.
Se perdre dans ce roman, c'est côtoyer le monde de personnages qui sont peut-être déjà morts ou n'ont peut-être jamais existé. Alors, revenir dans le monde des vivants devient pour le narrateur d'une banalité et d'un ennui suprême. Mais cela est sans importance. Ce qui compte, c'est le chemin qui aura permis ce voyage.
Ce roman ressemble à ce papillon qui se pose un instant sur le sein nu de cette jeune femme allongée dans la lumière du matin, juste après l'amour. C'est à la fois réel et magique.
Revenir d'un roman de Murakami, c'est redescendre d'une montagne, c'est remonter à la surface d'une eau profonde, avec l'exigence de devoir respecter les palliers de décompression, sauf à accepter de perdre pied à jamais...
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Haruki Murakami fait parti de mes auteurs préférés. Son univers surnaturel, onirique et poétique me fascine. Lire un de ses romans, c'est comme vivre un rêve éveillé où l'on glisse lentement de la réalité vers le fantastique et l'irrationnel. J'aime déambuler tel un funambule marchant en équilibre sur le fil tendu entre ces deux mondes.

« La course au mouton sauvage » est le troisième volet de la « Trilogie du Rat ». Deux autres romans le précèdent, « Écoute le chant du vent » et « Flipper » que je n'ai pas lus. Cela ne m'a pas gêné dans ma lecture, même si, peut-être, la lecture des deux premiers volumes m'aurait permis d'avoir une meilleure compréhension du roman.

*
L'histoire débute lorsque le personnage principal publie, pour la promotion d'une société d'assurance, une photo très ordinaire d'un paysage de montagne où l'on voit en premier plan un troupeau de moutons.

Une scène pastorale tout à fait banale, mais qui va susciter l'intérêt d'un groupe mafieux.
Il est ainsi contacté par un homme de main, agissant pour le compte d'un homme important et très puissant qui souhaite en savoir plus sur cette photo. Devant le refus du publicitaire de dévoiler l'auteur de la photo et l'endroit où elle a été prise, l'homme le somme d'enquêter et de retrouver un des moutons photographiés.

Et voilà le lecteur embarqué dans une course folle, complètement abracadabrantesque pour retrouver ce mouton si unique.

Bien sûr, à première vue, l'histoire paraît ahurissante, extravagante, voire totalement absurde.
Mais c'est sans compter le sens sous-jacent à tout ce récit. Je ne pense pas avoir eu toutes les clés pour déchiffrer tous les indices semés par l'auteur, mais ce serait sans aucun doute une erreur de lire cette histoire seulement sous son aspect fantastique. Derrière le mystère et la brume entourant cet étrange mouton, se cache un univers qui fourmille de codes et de références à L Histoire, à la culture et aux croyances traditionnelles japonaises.

Ainsi, tout au long de cette aventure littéraire, le lecteur voyage dans le nord du Japon, mais également dans le temps (ou l'absence de temps), dans le passé du Japon, dans l'intime, dans les rêves, dans la folie peut-être.

*
Ce que je retiens le plus souvent des histoires de Haruki Murakami, c'est cette impression d'étrangeté ambiguë que l'auteur laisse planer, et qu'il saisit avec une acuité si particulière et une justesse poétique qui m'emportent. Ses descriptions de paysages, de maisons, sont vraiment très belles et participent à nous plonger insensiblement dans cette atmosphère mystérieuse, insaisissable et menaçante où le silence et les lieux ont une importance capitale.

« Il régnait une espèce d'énigmatique silence dans la pièce. Un silence comme on en rencontre parfois en pénétrant dans une vaste demeure, et qui naît d'une disproportion entre la faible présence humaine et l'étendue du lieu. Mais la qualité de ce silence était encore différente. C'était un silence éminemment pesant, d'une insistance sournoise. Il me semblait avoir connu quelque chose de semblable un jour, mais il me fallut du temps avant qu'un souvenir précis ne me revienne. Je dévidai le fil de ma mémoire, comme on feuillette les pages d'un vieil album. C'était ce silence qui entourait un malade incurable. Un silence habité par le pressentiment d'une mort inévitable. Où l'atmosphère poussiéreuse en disait long. »

Une étonnante galerie de personnages insolites et fascinants va accompagner le narrateur dans sa quête pour retrouver cet animal : l'homme-rat, l'homme-mouton, la femme aux oreilles magiques qui a le pouvoir de prémonition, le docteur es mouton.

*
L'écriture symbolique de l'auteur raisonne de multiples ambiances, envoûtantes, oniriques, mélancoliques, tristes, ou inquiétantes. Comme dans tous ses autres romans, l'auteur nous entraîne aussi vers des chemins d'une sensualité troublante, discrètement charnelle.

*
Haruki Murakami n'explique pas tout, c'est au lecteur de comprendre la symbolique autour de ce mouton si particulier, d'interpréter le texte.

« le temps coulait dans cette demeure d'une manière aussi insolite que dans la pendule démodée du salon. Il suffisait qu'un quelconque caprice nous incitât à lui remonter ses contrepoids, et le temps coulait, tic-tac, en battant la mesure. Mais pour peu qu'on s'en allât et que les poids parvinssent au bout de leur course, le temps s'arrêtait là. Et des amas d'un temps immobile empilaient alors sur le plancher des couches de vie décolorée. »

Ainsi, on entre doucement dans un autre monde hors du temps, à la fois mystérieux et métaphorique, où il se passe des choses déroutantes et inexplicables, où certains personnages possèdent le don de prémonition, le pouvoir de communiquer avec les morts ou celui de posséder le corps d'un autre.
On côtoie un vieux chat à besoins particuliers, des fantômes, des moutons inquiétants qui se retournent simultanément et vous fixent de leurs yeux étonnamment bleus.

« de leurs pupilles scintillant au fond des ténèbres, ils me regardaient fixement. Ils ne parlaient pas, ne pensaient pas, ils me regardaient fixement. Il y en avait des dizaines de milliers. Avec ce claquement monotone de leurs dents qui voilait la terre entière.
Quand la pendule sonna deux heures, les moutons s'évanouirent.
Et je m'endormis. »

Il est aussi question de pénis de baleine, d'un virage dangereux ouvrant vers un autre monde.
Soit le lecteur adhère à cet univers surnaturel, soit il reste totalement imperméable à cette étrangeté.

« Il fait terriblement froid en ce moment, j'en ai les mains tout engourdies. Même que j'ai l'impression que ces mains ne sont plus mes mains. Et que ma cervelle n'est plus ma cervelle. Il neige en ce moment. Une neige qui ressemble à la cervelle des gens. Et qui s'amoncelle sans relâche, comme la cervelle des gens (cette phrase ne veut rien dire). »

Chose curieuse, aucun personnage n'a de nom, même le narrateur ou son chat : ils sont seulement définis par leur caractéristique physique. Est-ce pour dire que le protagoniste de l'histoire est un homme ordinaire auquel le lecteur peut aisément s'identifier ?
Ce qui s'avère certain, c'est que sa vie est morose et étriquée et que cette recherche va l'encourager à rompre la routine et échapper à la monotonie de sa vie quotidienne.
Le voyage qu'entame le narrateur ressemble ainsi à un parcours initiatique, une quête d'identité, une recherche du sens de la vie et de la mort.

*
À la fois thriller fantastique, récit initiatique et rêveries philosophiques, « La course au mouton sauvage » est un récit surprenant, mystérieux, baignant dans une atmosphère de réalisme magique. Les frontières entre la réalité et l'imaginaire se confondent, rendant le récit troublant et addictif.
L'écriture, simple, belle, musicale, est un délice. Je ne m'en lasse pas.
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Relecture de la fabuleuse Course au mouton sauvage de Murakami Haruki. Je l'avais déjà beaucoup apprécié en 2009, alors que les deux premiers tomes de la trilogie du Rat n'étaient alors pas disponibles.
Lire tout récemment Écoute le chant du vent et Pinball, 1973, forcément, ça m'a donné envie de repartir en Hokkaido à la recherche du fameux mouton. Relecture jouissive avec des éléments complémentaires issus des premiers volumes. Mais le roman reste lisible seul.

J'aime beaucoup ce que fait Murakami. Son décalage par rapport à la réalité crue. Ou plutôt cette frontière diaphane entre ce qui passe pour la réalité et des éléments plus fantasques. Nébuleux. Fabuleux. Ça tient sans doute aussi à la perpétuation au Japon d'une culture animiste avec les《kamis》, déités omniprésentes du shintô.

Résumer l'intrigue? Impossible et inutile. Autant s'immerger dedans, à l'aveuglette et à l'intuition, comme pour le narrateur (celui des deux précédents) et sa petite amie aux incroyables oreilles. Ledit narrateur a désormais la trentaine, un chat, un divorce, un boulot et une tendance à trop fumer et lever le coude. Une vie de routine et d'ennui posé comme un acquis. Une vie en dehors des clous de la grande majorité des hommes japonais, entrés frais émoulus de l'université dans une entreprise comme salarymen, entreprise à laquelle ils se voueront corps et âme. Murakami lui-même n'a pas suivi cette voie toute tracée, comme il l'explique dans sa préface à la réédition d'Écoute le chant du vent. Et ses personnages, ceux de cette trilogie comme la plupart par la suite, ne correspondent pas non plus au cliché.

Néanmoins l'insensibilité apparente du narrateur, comme si la vie glissait sur lui sans l'effleurer, va ici se trouver mise à mal. Déjà par la rencontre d'une paire d'oreilles au pouvoir d'attraction immense, puis par la convocation du secrétaire - l'homme en noir - d'un leader important de l'extrême droite qui va le lancer à la poursuite d'un mouton extraordinaire, dans l'île septentrionale du Hokkaido.
Et c'est parti pour un voyage passionnant, immersif et décalé, comme sait si bien les peindre Murakami.

Dedans, au demeurant, on y retrouve nombre de sujets récurrents chez l'auteur. La référence au puits par exemple, qu'il s'agisse d'une métaphore, de rêve ou de puits effectifs, chargés de symbolisme, ils reviennent régulièrement dans sa prose.
De même, les livres et les disques occupent une place considérable pour ses personnages et l'on pourrait, à chaque ouvrage, dresser une liste d'oeuvres littéraires, nippones ou occidentales, et de titres musicaux, souvent de jazz et de classique.
Enfin la Mandchourie, autre point récurrent chez Murakami. du moins, la Mandchourie sous occupation et colonisation japonaise à partir des années 1930, lorsque l'empire oeuvrait à fonder le Grand Empire d'Asie en voulant soumettre à sa botte militariste Corée, Chine, Mandchourie, Mongolie et bien d'autres. Chez Murakami, c'est l'état fantoche du Mandchoukouo qui revient. Les lecteurs des Chroniques de l'oiseau à ressort se souviendront sûrement de la bataille de Nonmonhan qui est relatée...

Et le Rat dans tout ça? Puisqu'il s'agit du troisième opus de la trilogie éponyme. Et bien, il en est question en effet. J'invite toutes les personnes tentées par le livre de partir également à sa (re)découverte. Il y a tant à gagner à se perdre dans les méandres murakamiens!
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Murakami n'a de cesse d'immerger le lecteur que je suis, dans un univers mêlant poésie, fantastique et onirisme, à travers ces histoires étranges, fantastiques. On est plongé dans du quotidien, bercé de poésie surréaliste : "de la libération des oreilles", « d'une neige qui ressemble à la cervelle des gens », de rêve emprunt de symbolisme (« vache et la tenaille »).

Nous sommes souvent plongé entre deux mondes : celui du réel mêlant errements et désoeuvrements puis des moments de folies poétique. On se demande si l'écriture n'est pas faites sous substances hallucinogènes ? Pour le réel, on est tout au long de ce récit guidé musicalement par les musiques américaines : Rolling Stones et les Beach boys, puis le Jazz. Musique que l'on se doit d'écouter en lisant afin de rythmer cette course harassante au mouton.
Le narrateur lit les nouvelles aventures de Sherlock Holmes, peut-être un guide de lecture pour le lecteur dans cette enquête au mouton. Un mouton spécial, d'une race inconnue : « Un mouton d'un blanc pur, avec sur le dos une touffe de poils bruns décrivant la forme d'une étoile “, plutôt une race qui n'existe pas, un genre de mouton extra-terrestre qui …. Je vous laisse découvrir.

Dès Lors que j'eu finit la dernière page de "La course au mouton sauvage", il m'a semblé tomber dans un état de "manque-mouton", j'ai regardé par la fenêtre et "Le ciel était d'une pureté à vous donner mal au coeur", on m'a alors demandé : "-Tu peux me résumer ?", "-Si je résume, ça n'aurait plus aucun sens.".

Bon, je vous laisse je vais allé nourrir ma "Sardine", et écouter un disque de Bill Withers par exemple.
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le narrateur, jeune trentenaire entrepreneur, se voit un jour menacé par une organisation puissante qui lui demande de partir à la recherche d'un mouton dont il a publié la photo dans un magazine. La demande peut paraître loufoque, mais il n'a pas le choix et il se voit donc embarqué dans une aventure surréaliste...

A l'ère où "le tabac, c'est tabou, on en viendra tous à bout", des paquets de clope standardisés offrant aux plus accros de magnifiques images de poumons calcinés qui visiblement ne refrènent pas les plus intoxiqués, de l'interdiction de fumer à l'intérieur et dans les endroits publics, ce roman qui montre un personnage (voire plusieurs) des années 70 qui fume à toutes les pages fait presque anachronique. Et quand finalement la clope tire sa révérence dans le récit, c'est pour laisser place à la bière, bue en quantité non négligeable, avec un soupçon de brandy (cognac) tant qu'on y est. Ce livre traiterait-il en fait de l'addiction ??
Passé ce constat tout à fait inutile (quoique...), nous avons-là un roman qui met un temps fou à démarrer. Mais Murakami écrit à l'occidentale, donc ça passe, les pages se tournent sans trop forcer jusqu'à ce que la patience du lecteur soit enfin récompensée grâce à l'arrivée de l'énigme du mouton. Après ça, l'intérêt va en grandissant, jusqu'à la révélation finale, inattendue, surprenante mais un brin inaboutie.
Le caractère irréel et surréaliste de toute la partie dans la maison perdue dans la montagne a un charme fou complètement onirique qui efface presque les impressions de perdition éprouvées au début de la lecture. La fin, et surtout le personnage du mouton, font furieusement penser au lapin apocalyptique de Donnie Darko. L'absence de noms et d'identités précises renforce le caractère nébuleux de l'histoire, mais également son côté presque prophétique. Quant à l'épilogue, il laisse place à l'interprétation personnelle du lecteur, lequel se retrouvera sans doute un peu pantois face au manque de précisions.
Ce n'est, au final, peut-être pas le roman du siècle mais il sait faire mouche. Embarquez-vous pour un voyage hors du commun, aux personnages mystérieux et aux virages fantastiques. Pourquoi rester sur terre quand l'imaginaire existe ?

Lien : http://livriotheque.free.fr/..
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Citations et extraits (80) Voir plus Ajouter une citation
Un chemin traversait la mer de bouleaux. Un chemin que la Jeep aurait enfin pu emprunter, et qui filait en une parfaite, insoutenable ligne droite. Pas un virage, pas une pente. Devant moi, tout était comme aspiré par un seul point, au-dessus duquel je voyais fuir les noirs nuages.
Tout était terriblement tranquille. L’immense forêt absorbait jusqu’au bruit du vent. De temps à autre, un oiseau noir surgissait de nulle part, bien droit sur ses pattes et montrant une langue rouge en lançant un cri strident qui déchirait l’air alentour, et, quand il disparaissait, le silence venait colmater le vide, comme une gelée molle. Les feuilles mortes qui recouvraient entièrement le chemin étaient encore gorgées des pluies de l’avant-veille. Rien, sauf les oiseaux, ne venait troubler le silence. La forêt de bouleaux blancs se poursuivait sans fin, comme le chemin. Et les nuages bas qui, l’instant d’avant encore, nous oppressaient, vus cette fois à travers les frondaisons, nous semblaient devenus irréels.
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"L'un après l'autre, j'ouvris ses tiroirs dans la chambre à coucher : ils étaient vides. Une vieille écharpe rongée par les insectes, trois cintres et un sachet d'antimite, c'est tout ce qui restait. Elle était partie en faisant place nette. Les petits pots et autre produits de beauté qui traînaient pêle-mêle dans l'exigu cabinet de toilette, les bigoudis, la brosse à dents, le sèche-cheveux, les médicaments pour Dieu sait quoi, les protections hygiéniques, toutes les espèces de chaussures, des botillons aux pantoufles en passant par les sandales, la boîte à chapeaux, les accessoires de fantaisie dont on aurait pu remplir un tiroir entier, les sacs à main, sacs à bandoulière et pochettes, les sous-vêtements et chaussettes qu'elle rangeait toujours avec tant de soin, sa correspondance, rien, absolument rien de ce qui pouvait garder encore son odeur n'avait été épargné. A croire qu'elle avait elle-même essuyé les empreintes digitales avant de s'en aller. Un tiers de la discothèque s'était volatilisé. C'étaient les livres ou les disques qu'elle s'était achetés ou que je lui avait offerts.
En ouvrant les albums photos, je constatai que les clichés sur lesquels elle figurait avaient été arrachés. Ceux-là où nous étions ensemble avaient été soigneusement amputés de la partie où elle apparaissait. Les photos où j'étais seul de même que les photos de paysages et d'animaux, étaient intactes. Les trois albums ne renfermaient plus qu'un passé corrigé, sans la moindre bavure. Je m'y retrouvais tout seul, abandonné au milieu de photos de montagnes, de rivières, de daims et de chats. J'eus l'impression d'être né seul, d'avoir grandi seul et de devoir encore continuer mon chemin tout seul."
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Elle dormait, les bras croisés, en face de moi. Le soleil de ce matin d’automne jetait à travers la fenêtre un léger voile sur ses genoux. Un papillon de nuit venu dont ne sait où voltigeait aux alentours comme un bout de papier tremblant dans le vent. Le papillon se posa bientôt sur son sein, s’y reposa quelques instants avant de repartir comme il était venu. Le papillon disparu, j’eus l’impression qu’elle avait imperceptiblement vieilli.
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À l’instant où je pénétrai dans la bergerie, d’un seul geste, les deux cents moutons se tournèrent vers moi. Une moitié se tenait sur ses pattes, l’autre était couchée dans le foin étendu par terre. Leurs yeux, d’un bleu étrange, creusaient de part et d’autre de leur face comme deux petits puits d’où l’eau semblait jaillir. Ils étincelaient comme des yeux de verre quand ils recevaient la lumière de face. Les moutons m’observaient fixement. Sans esquisser le moindre mouvement. Quelques-uns continuaient à mâcher et à faire craquer le foin qu’ils avaient dans la bouche, et c’était bien le seul bruit qu’on pût entendre. D’autres buvaient de l’eau en passant la tête à travers le grillage, mais ils s’étaient interrompus de boire et, sans modifier leur posture, me regardaient. On eût cru qu’ils pensaient en groupe, que leur pensée s’était momentanément arrêtée quand je m’étais immobilisé dans l’embrasure de l’entrée. Tout était en suspens, tout le monde réservait son jugement. Mais sitôt que je me mis à remuer, leur processus mental se remit en branle.
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– J’aimerais d’abord savoir des choses sur toi, dit-elle.
– Quelles choses ?
– Tout. Comment tu as été élevé, ton âge, ce que tu fais, ce genre de choses.
– C’est une histoire très quelconque. Je parie que tu t’endormiras en m’écoutant.
– J’aime les histoires quelconques.
– Oui, mais la mienne d’histoire quelconque est d’un genre que personne n’apprécie.
– Ça fait rien. Parle m’en dix minutes seulement.
– Je suis né le 24 décembre 1954, la veille de Noël. C’est pas drôle de naître ce journal là. Parce que les cadeaux d’anniversaire finissent toujours par compter aussi pour Noël. Tout le monde veut s’en tirer à bon compte. Je suis du signe du Capricorne, du groupe sanguin A, un genre de combinaison qui vous destine à devenir employé de banque ou de mairie d’arrondissement. J’aurais peu d’affinités avec les sagittaires, les balances et les Verseaux. En somme un destin bien monotone, n’est-ce pas ?
– C’est passionnant !
– J’ai été élevé dans une ville quelconque où je fréquentai une école tout aussi quelconque. J’étais un enfant taciturne et en grandissant je suis devenu un enfant ennuyeux. J’ai connu ensuite une fille quelconque, et mon premier amour fut quelconque. À 18 ans, je monte à Tokyo et entre à l’université. Quand j’en sors, je crée une petite agence de traduction avec un ami et j’assure ainsi ma subsistance. Il y a trois ans, on a étendu nos activités à la communication d’entreprise et la publicité. C’est une affaire qui se développe comme il se doit. J’ai fait la connaissance d’une fille qui travaille dans la société : nous nous sommes mariés il y a quatre ans et avons divorcé voici deux mois. Difficile de t’expliquer pourquoi en quelques mots. J’ai un vieux matou. Je fume quarante cigarettes par jour. Impossible d’arrêter. J’ai trois costumes, six cravates et cinq cents disques démodés. Je me souviens de tous les assassins dans les romans d’Ellery Queen. Je possède l’édition complète de La recherche du temps perdu de Proust, mais je n’en ai lu que la moitié. L’été je bois de la bière, l’hiver du whisky.
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Vidéo de Haruki Murakami
Pierre Földes a choisi d'adapter six nouvelles de l'écrivain Haruki Murakami dans son film d'animation "Saules aveugles, femme endormie". Pour conserver l'atmosphère de fantastique décalé et de mélancolie, Földes enchevêtre les histoires et suit le parcours de quatre personnages après le tremblement de terre et le tsunami qui ont touché le Japon en 2011.
#harukimurakami #littérature #animation
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