Il y a des romans dont on peut qualifier le style et la composition comme rappelant une chapelle romane, d'autres comme une cathédrale gothique. Chapelle romane ? Vous voyez bien : ramassée, dépouillée, sobre, intime, sans fioriture et où la lumière intérieure est précieuse. Cathédrale gothique ? Flamboyante, colorée, majestueuse, audacieuse... S'il fallait qualifier
le chevalier vert par référence à un style architectural, ce serait un important édifice baroque : plein d'ornements, exubérant, quelque peu tarabiscoté, dans les tons pastel...
Dans la dernière décennie du XXe siècle, à Londres, nous faisons connaissance avec une douzaine de personnages (parmi eux un chien), dont aucun n'est central, mais qui, tous, interfèrent entre eux. On va d'une mère alcoolique et son fils désoeuvré à un jeune homme tenté par la vie monastique, etc. Tout ce petit monde s'interroge sur son destin. L'auteure prend beaucoup de soin à nous les décrire physiquement et n'omet jamais de nous dire comment ils sont habillés et par quelle porte ils entrent et sortent. Dans la maison où vivent la mère et ses trois filles, se succèdent les amis et les confidents ; on nous rapporte de nombreux dialogues qui viennent croiser les réflexions intimes des personnages.
La question du mariage se pose pour la jeune génération et celle du remariage pour les veuves. Assez rapidement, le lecteur est invité à contempler l'agitation permanente de ce monde dans un espace relativement clos. On pense au mouvement brownien dans un bocal (mais sans que cela soit étouffant). Comme les figures sont nombreuses et les conversations souvent organisées en tête à-tête, ce roman a besoin d'un grand nombre de pages (ce qui n'est pas un handicap en période de quarantaine) mais toutes animées d'un souffle tel que l'on ne s'ennuie pas.
Soudain, venu d'on ne sait où, apparaît un nouveau personnage (ange ou démon ?), plein de mystères quant à son origine, son activité, ses motivations et qui bouleverse toute la petite colonie par son étrange comportement et sa tout aussi surprenante demande. le mouvement précédemment désordonné cesse soudain ; l'agitation atteint son comble, mais désormais tous sont tendus vers la recherche d'une explication à la conduite bizarre du nouveau venu. Un peu à la manière d'un catalyseur ayant opéré une réaction chimique, de manière précipitée et surprenante,
le chevalier vert, car c'est de lui qu'il s'agit, tire sa révérence. Alors que l'on aurait pu s'attendre à une situation encore plus confuse qu'au début du roman, on constate que le bilan de l'intervention du chevalier est globalement positif : la plupart des personnages découvrent leur propre destin et trouvent une position d'équilibre qui vient prendre la place de leurs angoisses initiales.
Iris Murdoch a un réel talent. Ce roman tient du policier par l'intrigue, il traite de la psychologie sans hésiter parfois à frôler la psychiatrie, introduit une petite dose de magie tout en s'ancrant dans le réel quotidien des repas, déplacements en taxi ou tasses de thé partagées.
Il aurait tout aussi bien pu s'intituler : "Rendez les autres heureux".