On ouvre ce petit recueil de nouvelles inédites en se disant qu'il ne peut s'agir que d'oeuvres secondaires et puis non, rien n'est secondaire chez Musil : au bout de trois pages on tombe sur une remarque dont l'intelligence vous réveille subitement, rejoignant le cours des réflexions essentielles, de ce qui donne sens à la vie.Vous rappelle aussi tout ce que vous n'avez fait que survoler chez cet auteur et qui mériterait relecture pour tenter d'accéder véritablement à sa prodigieuse intelligence des choses de la vie, pour devenir enfin un homme "sans qualités".
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Car, qu'il s'agisse d'un dernier arrachement ou d'une première étreinte, d'amants épiés dans leur intimité ou d'un mourant qui, oubliant toute pudeur, s'arc-boute et s'agrippe - nul ne sait pourquoi, mais il est désagréable de se voir rappeler que les ultimes secrets de la douleur et du désir, dans lesquels chacun pressent les plus profonds émois de son être, nous frappent tous de même façon ; on y voit une intrusion, une familiarité déplacée, on s'écarte, on cherche involontairement à reprendre son équilibre et, au lieu de sympathie, une basse réaction de défense nous fait juger ce spectacle répugnant ou ridicule.
Car l'âme des vivant est ce qui les empêche d'aimer, ce qui dans tout amour reste sur la réserve, ne contemple que soi. Les vivants ne peuvent se donner en offrande ; ils restent toujours eux-mêmes, viennent se livrer, les mains liées et les yeux clos, et pourtant n'aiment l'autre que parce que leur solitude saigne doucement après lui.
La famille a l'esprit plus petit qu'une petite ville. Plus elle est chaleureuse, plus elle se montre dure pour tout ce qui n'est pas elle, et elle est toujours plus cruelle qu'un être confronté seul à la souffrance du monde. En cantonnant la gloire dans son cercle restreint, où elle est facile à atteindre (la "gloire de la famille"), elle endort l'ambition. Et parce que tous les événements familiaux suscitent une tristesse plus profonde ou une joie plus éclatante qu'ils ne le méritent réellement, parce qu'en famille ce qui n'a rien d'humoristique devient de l'humour, et des peines insignifiantes à l'échelle collective, un malheur personnel, elle est le berceau de toute l'ineptie qui imprègne notre vie publique.
Seulement voilà, l'amour ne consiste que dans la faculté ou l'occasion fortuite de transmettre à un autre ce qu'on ressent soi-même; mettons qu'une femme, pendant la nuit, rêve d'un grave malheur, se lève et étreigne en pleurant celui qu'elle aime : si elle possède la faculté de vite lui transmettre cette humeur tragique, il en résultera une nuit digne de Byron; dans le cas contraire, elle n'aura fait que troubler désagréablement son sommeil.
Quand la vie est grandiose, on ne va pas, en plus, exiger qu'elle soit douce.
Avec Rainer J. Hanshe, Mary Shaw, Kari Hukkila, Carole Viers-Andronico, Pierre Senges, Martin Rueff & Claude Mouchard
À l'occasion du dixième anniversaire de la maison d'édition new-yorkaise Contra Mundum Press, la revue Po&sie accueille Rainer Hanshe, directeur de Contra Mundum, Mary Shaw, Kari Hukkila, Carole Viers-Andronico & Pierre Senges. Rainer Hanshe et son équipe publient la revue Hyperion : on the Future of Aesthetics et, avec une imagination et une précision éditoriales exceptionnelles, des volumes écrits en anglais ou traduits en anglais (souvent en édition bilingue) de diverses langues, dont le français.
Parmi les auteurs publiés : Ghérasim Luca, Miklos Szentkuthy, Fernando Pessoa, L. A. Blanqui, Robert Kelly, Pier Paolo Pasolini, Federico Fellini, Robert Musil, Lorand Gaspar, Jean-Jacques Rousseau, Ahmad Shamlu, Jean-Luc Godard, Otto Dix, Pierre Senges, Charles Baudelaire, Joseph Kessel, Adonis et Pierre Joris, Le Marquis de Sade, Paul Celan, Marguerite Duras, Hans Henny Jahnn.
Sera en particulier abordée – par lectures et interrogations – l'oeuvre extraordinaire (et multilingue) de l'italien (poète, artiste visuel, critique, traducteur, « bibliste ») Emilio Villa (1914 – 2003).
À lire – La revue Hyperion : on the Future of Aesthetics, Contra Mundum Press.
La revue Po&sie, éditions Belin.
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