AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Jules Bénard (Préfacier, etc.)
EAN : 9782913158771
169 pages
Azalées Editions (30/11/-1)
4.5/5   4 notes
Résumé :
Fred Mussard
Rutile, esclave à Bourbon

Encore un livre sur l’esclavage ! s’écrieront quelques-uns sur le ton de l’exaspération. A ceux-là on objectera que rien n’est excessif lorsqu’il s’agit, d’une part, de rappeler à la mémoire ces hommes et femmes qui ont contribué par leur travail à mettre en valeur la terre que leurs descendants peuplent aujourd’hui, d’autre part, de participer à la construction du patrimoine culturel réunionnais, toujours... >Voir plus
Que lire après Rutile : Esclave à BourbonVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Rutile esclave à Bourbon est un livre que j'ai eu énormément de plaisir à lire sous plusieurs angles différents. En plus ce fut un honneur de lire l'ouvrage de quelqu'un que j'apprécie en tant que collègue enseignant pour son côté sociable et modeste mais surtout volontaire et passionné. Je pense que Rutile n'est que le début d'une grande épopée ou d'une grande aventure littéraire...que la plume de l'auteur confirmera à l'avenir... et je l'encourage fortement à le faire.

On peut décerner à mon cher collègue Fred Mussard les titres non seulement de romancier car son livre se lit bien, est écrit dans un style limpide et est destiné à un large public, mais aussi et surtout d'historien des mentalités, de peintre et de philosophe.

D'abord, historien des mentalités car derrière le roman éponyme Rutile apparaissent en filigrane la vie quotidienne, la vie sociale et économique, les moeurs des habitants de toute une époque, les relations entre esclaves et colons, les inégalités sociales, la condition féminine chez les colons mais aussi chez les esclaves, les classes sociales, la nourriture des maîtres et celle des esclaves, les hiérarchies, le côté spectaculaire de la justice, la labeur dans les champs, les rapports entre dominants et les dominés, le rappel de la première abolition de l'esclavage par Baco et Burnel, l'attaque anglaise à Sainte-Rose et des prolepses sur la deuxième abolition, les différents noms portés par l'île Bourbon... Bref, tout y est et tout devrait y être dans ce livre vivant. Les indices spatio-temporels et les références nombreuses présents au sein de la diégèse (déroulement de l'histoire) nous prouvent que l'auteur s'est suffisamment documenté pour écrire un roman historique qui se base sur des données scientifiques, des traces historiques tout en faisant preuve d'un certain doute méthodique.

Ensuite, sa démarche est foncièrement celle d'un peintre qui brosse le tableau d'une société qui vit, qui grouille et qui bouge à l'intérieur de la propriété ou de la concession. En peignant cette société il met la pendule à l'heure et va à contresens des idées reçus sur le marronnage ou sur le rôle de l'Eglise vis-à-vis de l'esclavage. L'auteur nous donne une vision globale de la société bourbonnaise avec des zooms sur certains points où tout n'est pas beau mais où tout n'est pas diabolique dans la fin du XVIIIème et la première moitié du XIXème siècle. Comme partout il s'agit d'une société inégalitaire mais composée de gens vertueux et de gens mauvais. Ce n'est pas rose tous les jours mais ce n'est pas noir tout le temps ! Lors de la lecture de ce livre je voyais défiler les images mouvantes d'un homme qui vit dans une société inégalitaire et qui prend petit à petit conscience de sa rude condition.

Enfin Rutile est aussi un message, et peut être considéré comme un traité sur la tolérance et sur l'amitié entre les peuples, blancs ou noirs, puissants ou misérables. L'idée de la philosophie des Lumières est présente dans ce livre qui est un livre sur le droit au respect, à la justice et à la liberté sous ses différentes formes. Rutile a réalisé avec un demi siècle d'avance le rêve de nombreux esclaves : celui de retrouver la liberté, celui d'être maître de son corps et de son âme, celui de connaître une autre vie à travers l'ascension sociale, celui d'être dignement reconnu comme étant un humain tout simplement, celui de pouvoir s'exprimer à travers l'écriture et la lecture et celui de pouvoir transmettre ses émotions en toute liberté sans être l'objet d'un jugement ou d'un regard. Rutile n'est pas un esclave comme les autres car loin d'être un objet muet, il pense, il pense à son existence, se soucie de ses racines, réfléchi et a un esprit critique, fait preuve d'une révolte latente, mais son histoire ressemble à celle des milliers d'autres esclaves coupés de leurs racines africaine ou malgaches et qui se font une raison de vivre à Bourbon.

Ce livre m'a rappelé une série télé vue dans mon enfance, qui s'intitulait Bonne Espérance. L'histoire se passe en Afrique du Sud au sein d'une concession. le Maître a eu un enfant avec sa maîtresse qui était noire. Les filles légitimes du maître n'acceptaient pas leur demi-frère de couleur alors que c'était le seul qui pouvait une fois devenu adulte défendre l'héritage de son père génétique c'est à dire le maître...

Rutile est une histoire qui commence dans une Afrique lointaine présente dans les pensées de chaque esclave mais voisine dans les moeurs et les coutumes. A ce propos je voudrais dire que beaucoup de Réunionnais actuels veulent faire passer sous silence cet héritage africain ou malgache par ignorance ou parce qu'ils en ont honte... ? Et Fred Mussard a le mérite d'apporter un éclairage intéressant sur les origines des Réunionnais. L'auteur n'a pas laissé dans l'ombre non plus l'histoire régionale et ces clins d'oeil sur Madagascar et les échanges culturels existant entre Bourbon et Madagascar sont visibles à travers le vocabulaire dont les traces existent encore de nos jours dans la langue créole ou la toponymie. La description de certains lieux nous plonge dans les paysages paradisiaques naturels de la Réunion d'antan que le bétonnage massif, la fumée des voitures et les infrastructures ont tendance à gommer. Ce livre retrace la mémoire de milliers de gens qui sont morts sans connaître la liberté. de nombreux thèmes ont été abordés : la vie quotidienne à la concession, les travaux, les origines des esclaves, la vie sur les négriers en plein canal de Mozambique et l'océan Indien, la rencontre amoureuse et la naissance des premiers sentiments, le marronnage, le rôle des prêtres...

En amont, roman historique écrit par un auteur passionné, Rutile est une oeuvre de fiction très bien conçue, fruit d'un travail laborieux, concis et réfléchi. Mais Rutile est aussi en aval, un bon outil que les instituteurs, les professeurs de Lettres et d'Histoire pourront utiliser notamment dans le cadre de l'interdisciplinarité. L'élève comme l'enseignant y prendront un certain plaisir... et le lecteur passionné de Littérature et d'Histoire que je suis encourage encore une fois mon cher collègue Fred Mussard à écrire encore et encore pour continuer à construire et à compléter le puzzle encore en chantier de l'Histoire réunionnaise, mais aussi de l'Histoire régionale. La Réunion n'a que 300 ans d'histoire mais les coulisses de cette histoire riche en anecdotes sont remplies de mensonges historiques et de vérités romanesques qui méritent que la plume de l'historien et du romancier, mais aussi celle du géographe et du sociologue s'intéresse à elle pour enlever la poussière qui s'y est incrustée...
Pour qu'écrire et enseigner restent toujours un plaisir pour nous tous !
Commenter  J’apprécie          50
Rutile m'a pris par la main et sans aucune réticence, je l'ai suivi sur ce chemin vertigineux. J'ai été captivé dès les premières lignes, au point de l'écouter parler sans l'interrompre. C'est-à-dire que j'ai lu ce roman d'une traite. Il m'était impossible de laisser Rutile à ses questionnements, sans essayer de comprendre la vision qu'il avait sur l'humain. Pour moi, c'est un penseur, philosophe, rêveur. En fait, c'est comme ça que je l'ai perçu.

Comment un esclave, né de parents africains, ayant grandi dans cet univers colonial, pouvait être aussi ouvert d'esprit. Non pas que je pense qu'il n'avait pas le droit, mais comme beaucoup d'entre vous, je sais qu'être esclave était une souffrance. Pourtant, Rutile semble être serein malgré sa privation de liberté. N'hésitez pas à lire ce roman magnifique, pour comprendre ce que je viens de dire à l'instant.

Autant son histoire m'a ému, autant il m'a permis de rigoler de temps à autre. La complexité de son statut d'esclave et sa manière de se comporter face à ce que lui réservait la dure loi de l'esclavagisme, m'a fortement intrigué.

Concernant sa mère, il y a un passage qui m'a bouleversé, même si dans ma passion généalogique, j'ai pris l'habitude de lire ce genre d'acte. Alors voilà, ce qui est dit : « elle était si appréciée pour sa fécondité que M. Dumas lui offrait un mouchoir chaque fois qu'elle faisait un enfant. Un jour, l'ordonnateur en personne lui fit remettre une pièce de toile bleue pour la récompenser des esclaves qu'elle fournissait à la colonie. »

Grâce à Rutile, j'ai croisé la route d'un de ses « frères de lait » qu'il estimait au plus haut point, même si leur couleur de peau était un frein. Personnellement, j'ai toujours apprécié de regarder la montagne en pensant à mes ancêtres qui reposent au coeur de Cilaos. Et là, en suivant les pas de Rutile, j'ai été plus que ravie de faire la connaissance de quelques esclaves marrons forts sympathiques.
Lien : https://www.lilutek974.re/bl..
Commenter  J’apprécie          00

Citations et extraits (2) Ajouter une citation
L'origine des esclaves et leur transport vers les colonies
Les marchands utilisaient toutes sortes de stratagèmes pour faire paraître leurs esclaves plus jeunes, plus gras et mieux portants. Quelques jours avant la vente, pour mieux tromper les acheteurs, on leur enduisait la peau d’huile de palmier et on les faisait manger et boire à volonté. Cependant, les acheteurs blancs avaient plus d’un tour dans leur sac. Ils dépouillaient les Noirs de tout ce qui leur tenait lieu de vêtement et les inspectaient dans les moindres détails, y compris dans les parties les plus intimes de leur anatomie. Ils leur faisaient ouvrir la bouche, tirer la langue, courir, sauter… Maman se souvenait même avoir vu un Blanc lécher le menton de quelques hommes : il tâchait ainsi de s’assurer, grâce au goût de la sueur, qu’ils n’étaient pas malades et que le poil de leur menton n’indiquait pas un âge plus avancé que l’apparence le laissait croire.
Grâce à ces précautions, étaient impitoyablement écartés les vieux Nègres à peau ridée et testicules pendants, les Nègres efflanqués aux yeux égarés. Quant à ma mère, elle fut du premier coup d’œil cataloguée « pièce d’Inde », c’est-à-dire évaluée au plus haut prix que pouvait atteindre une esclave : elle avait toutes ses dents, elle ne boitait pas et au surplus passait pour être jolie. Sa grossesse, dont on s’aperçut à ce moment-là, contribua encore à augmenter son prix. A titre de comparaison, avec l’argent que le capitaine avait dépensé pour l’avoir, il aurait pu acheter à Bourbon une douzaine de fusils ou de pièces de toile bleue.
Le voyage qui sembla durer une éternité fut très pénible autant pour l’équipage que pour la cargaison de bétail humain. Chaque esclave devait se contenter d’un espace calculé au plus juste de quarante centimètres en largeur et quatre-vingt-trois en hauteur. Les hommes, enchaînés deux par deux, subissaient des contraintes humiliantes et parfois fatales. Quand un désespéré se jetait à l’eau – ce qui arrivait surtout au début du voyage, beaucoup ne supportant pas de quitter à jamais les côtes africaines –, il entraînait son compagnon dans la mort. Les femmes et les enfants étaient libres durant la journée, mais la nuit, eux aussi souffraient de l’entassement.
L’entrepont, où les esclaves enchaînés étaient réduits à faire leurs besoins sur place, dégageait une odeur insoutenable d’excréments et de vomissures. Dans la journée, quand le temps le permettait, on rassemblait les captifs sur le pont. Les matelots en profitaient pour les nettoyer à l’eau de mer, pour désinfecter l’entrepont au vinaigre et y brûler de la poudre. Pour lutter contre l’ankylose des nuits, on les occupait à des exercices physiques et à des travaux manuels. Les jours de beau temps, le tillac se transformait en village d’artisans : on enfilait des perles, on tressait des cordes, on fabriquait des paniers. Quelquefois, sur le pont devenu salle de bal, on dansait au son d’un orchestre improvisé par des matelots musiciens. Ce n’était pas de bon cœur : ceux qui refusaient de gambiller étaient fouettés.
Commenter  J’apprécie          130
Dans la confusion qui suivit, je me retrouvai je ne sais comment parmi une centaine d’hommes sur la rive gauche de la rivière Saint-Denis, sous les ordres du capitaine Lautrec. Selon une estafette revenue des avant-postes, les Anglais qui avaient débarqué à la Grande-Chaloupe approchaient irrémédiablement de la capitale par la nouvelle route pavée de la Montagne. Des tirailleurs placés en embuscade essayaient bien d’entraver leur marche, mais à cinquante contre un, le combat s’avérait inégal. Le capitaine nous divisa en trois pelotons commandés chacun par un lieutenant. Je fus tout de suite intrigué par le jeune homme qui prit la tête de notre groupe. Malgré la menace qui se précisait, je n’arrivais pas à détacher mes regards de cet officier grand, mince, élégant, aux joues creuses marquées par la petite vérole, au nez long et effilé.
Commenter  J’apprécie          10

autres livres classés : esclavageVoir plus


Lecteurs (9) Voir plus



Quiz Voir plus

Quelle guerre ?

Autant en emporte le vent, de Margaret Mitchell

la guerre hispano américaine
la guerre d'indépendance américaine
la guerre de sécession
la guerre des pâtissiers

12 questions
3141 lecteurs ont répondu
Thèmes : guerre , histoire militaire , histoireCréer un quiz sur ce livre

{* *}