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Critique de Nasir10


Les « caprices » de Marianne sont des ripostes légitimes à ceux des hommes qui l'entourent. Ce sont des tentatives d'émancipation face au piège d'une autorité masculine qui condamne la femme au mauvais rôle et ce qu'importe l'intrigue : « Si je me rends, que dira-t-on de moi ? N'est-ce pas une femme bien abjecte que celle qui obéit à point nommé, à l'heure convenue, à une pareille proposition ? […] Si elle refuse, au contraire, est-il un monstre qui lui soit comparable ? ». Bien consciente du désavantage de sa condition et désireuse d'être à l'égal de ces messieurs, libre d'aimer selon ses propres fantaisies, Marianne saisit l'opportunité d'un quatuor amoureux pour se défier de ces injonctions. Tout en les détournant, Musset donne ainsi à envisager les rapports de force inhérents à la tradition littéraire et théâtrale qui déterminent les relations entre hommes et femmes, au privilège évident des premiers, et sont les reflets d'une réalité imbibée d'un profond sexisme.

Mariée à Claudio, époux mature et jaloux dont les soupçons deviendront rapidement menaces, et adorée de Coelio, jeunot à la passion effrénée et lâche qui ne lui déclarera ses sentiments que par l'intermédiaire d'un autre mais trouvera néanmoins plus de courage à menacer de son suicide prochain si ces derniers ne lui sont rendus, Marianne est bien malgré elle la cible des attentes pressantes de cette gent masculine à qui tout semble dû. Mais les caprices des uns font les caprices des autres, et ni les fulminations de son épave de mari, ni l'idolâtrie fiévreuse de ce spectre de courtisan ne la soumettront, et elle jettera finalement son dévolu sur le libertin Octave, cousin de l'un et fidèle entremetteur du l'autre. Hélas, veine entreprise au sein de ce carré d'as dramatique, où les desseins de la jeune femme sont voués à son infortune.

La pièce, courte, est construite en deux actes de longueur inégale, adaptés à la nature de sa trame. Une rupture avec les normes du théâtre classique, propre au drame romantique, et qui jointe à la plume profonde et limpide de l'auteur où poésie et comédie s'associent, confèrent à l'oeuvre rythme et fluidité. Néanmoins, le drame revêt pour ma part un aspect relativement épisodique à son dénouement. Conséquence d'un traditionnel quiproquo dramatique, la mort de Coelio m'est paru, malgré sa dimension tragique, indifférente, voire grotesque à l'image du personnage lui-même. La dernière scène, quant à elle, se concentre davantage sur la résolution d'Octave que sur le sort de Marianne. Guidé par sa décision solennelle de venger le meurtre de son ami, Octave rejette dans un ultime « caprice » (ou état d'âme) les avances de la jeune femme, reléguée au second plan tandis que plane pourtant sur elle la vengeance de Claudio. Si cette fin ouverte permet à Musset d'annoncer son Lorenzaccio à venir, elle dévie de l'intérêt premier du drame, cette esquisse de pensée féministe au travers du regard perspicace, mais un brin étouffé, d'une Marianne sur sa propre condition, et par extension sur celle des femmes. Par le biais des paroles de l'insoumise, et notamment de cette tirade précédemment citée, le dramaturge s'adresse directement à son lecteur (ou spectateur), et lui rend compte des schémas de pensée misogynes auxquels il consent éventuellement, consciemment ou non. Une lecture toujours d'actualité…
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