La nuit volée c'est une
nuit de printemps, non celle de
Tarjei Vesaas mais celle d'un autre auteur norvégien
Torborg Nedreaas, une nuit particulière où une inconnue livre ses confessions à un autre inconnu, seul auditeur, témoin et récepteur d'un long monologue. le plongeon d'une âme dans une autre à travers une voix chaude et mature qui le guide et le fait s'immerger dans une existence étrangère.
La nuit s'écoule, les vagues se brisent au loin, il pleut. Murmure aquatique
La nuit s'étire, les verres se vident, l'ivresse vient. Les ondes réchauffent les coeurs.
La nuit part en fumée… Au clair de lune rien ne pousse.
Au cours de cette nuit, une nuit dérobée, dans le salon d'un appartement, deux solitudes germent et s'épanouissent mais une seule se vide, et s'évide selon les flux capricieux des souvenirs pour dessiner l'exil intérieur d'une femme au mitant de sa vie qui se retourne sur sa jeunesse, sur ce qui l'a pétrie. L'histoire d'une jeune fille qui dit oui et d'une jeune femme qui dit non. Oui à l'amour, non aux conventions d'une société hypocrite qui trace des chemins étriqués pour les devenirs des femmes. Solitude, colère, courage, douleur et révolte seules alternatives pour ne pas être clouée vivante. L'histoire d'une jeune fille timide et brillante, fille de mineur, fourvoyée par l'homme qu'elle aime alors qu'elle n'a que 18 ans, qui s'émancipe peu à peu et s'éveille à une conscience politique et féministe. La nuit envolée aux premières lueurs de l'aube, au jour naissant, sa disparition derrière un nuage de fumée n'en est que plus brûlante : l'homme envoûté, ému, troublé, face à ces aveux incandescents ne peut l'oublier. Mais une femme au manteau bleu une valise rouge à la main semble être des indices fragiles pour identifier sa présence hypothétique dans la foule anonyme ou le tumulte d'une gare. Alors il se souvient de cette nuit,
la nuit volée.
Au clair de lune rien ne pousse. « La lune n'est que le froid reflet du soleil ».
La nuit volée, un texte très fort accompagné d'une écriture sonore et visuelle, écrin recueillant la brutalité des mots, les déchirures du corps et les blessures du coeur. La beauté d'une âme révélée par les aléas de la vie entre descentes en enfer et illuminations. Les phases lunaires, typographiées en en-tête de chaque partie rythment la narration et semblent évoquer les états d'âmes de l'interlocutrice noyée dans ses turpitudes où ombre et lumière se confondent parfois.
Torborg Nedreaas à travers une relation sulfureuse évoque les conditions des femmes de son siècle et les combats futurs à mener, les difficultés de vivre pleinement sa vie lorsqu'on est une femme et de la choisir quelle que soit sa classe sociale. Écrit au milieu du 20ème siècle en 1947,
La nuit volée transmet un message universel et très contemporain.
Attirée par le titre,
La nuit volée, il m'a fallu quelques lignes pour reconnaître la musique de cet auteure que je pensais n'avoir jamais lu, celle de
Torborg Nedreaas (1906-1987) dans
Musique d'un puits bleu. Une écriture réaliste très musicale et sensuelle qu'il s'agisse d'évoquer les profondeurs psychologiques de l'être humain ou les variations de la nature.
Je remercie
Simone Manceau et
Bibbi Lee pour la traduction et les éditions Cambourakis.
Un coup de coeur. Une lecture hypnotique pour une nuit blanche.