Chaleur du sang, d'
Irène Némirovsky, est un court mais intense roman. Intense par la fulgurance des trajectoires, par les destins qui se heurtent, par les drames qui sous-tendent les vies, par les profondeurs abyssales de l'âme humaine.
Nous entrons dans ce récit et nous cheminons dans les pages au côté du cousin Silvio, au crépuscule de sa vie. Nous sommes dans les années trente, dans la campagne nivernaise.
Les personnages de ce récit semblent être destinés à des existences ordinaires, tranquilles, mornes, mais les silhouettes furtives qui traversent la campagne où se déroule l'histoire, sont peut-être déjà couturées de désirs brûlants.
Il faut se méfier des eaux tranquilles du bonheur qui sommeillent dans la fausse quiétude des familles.
Les pages brusquement deviennent des braises entre les doigts.
Le corps peut brûler, mais il n'est rien sans ce coeur qu'on croyait armé pour la fidélité et qui contre toute attente brusquement trébuche.
Ici les pages de ce récit sont incandescentes.
Ce roman est mon premier pas vers l'oeuvre de cette auteure dont je n'ignorais cependant pas l'étonnante et bouleversante histoire.
Irène Némirovsky, j'ai découvert qu'elle était née à Kiev, une ville qui m'est chère et que son prénom était en fait Iryna, un prénom qui m'est tout aussi cher... Je me rappelle avoir arpenté il y a quatre ans le magnifique jardin botanique près de la rue
Pouchkine où elle vécut durant son enfance.
Ce livre fut son dernier ouvrage écrit avant d'être arrêtée en 1942 par la Gestapo dans le Morvan où elle résidait, puis envoyée à Auschwitz où elle mourut du typhus.
J'ai été étonné par la densité qui tient dans les quelques pages de ce roman. Au premier abord, tout semble relever d'une chronique rurale et familiale classique, elle pourrait se passer dans la Bretagne que je connais un peu ou bien ailleurs en France, n'importe où en province, je crois reconnaître ou deviner des traits de vie qui auraient pu être familiers de ce que mes grands-parents ont vécus et que ma grand-mère me racontait de cette époque, la rudesse paysanne, la dureté du quotidien, la solidarité et en même temps la méfiance du voisinage, l'avarice, les fêtes, les mariages, les naissances, les deuils...
C'est un monde façonné de silence. Les gens sont taiseux. Derrière les non-dits, on imagine aisément qu'il y a autre chose. Mais bientôt ce sont des voix intérieures qui nous happent dans leur intimité. Viennent les secrets, les rumeurs, les chemins de traverse, les égarements, les joies et les douleurs... Vient le bruit des sens tapi dans l'ombre des paysages.
Comme c'est beau parfois de se perdre en chemin, comme c'est dangereux aussi, semble nous dire
Irène Némirovsky.
Au début, nous avançons un peu à tâtons au travers du propos du narrateur, Silvio, qui se confie à nous, une intrigue se forge, se construit et c'est la force du récit, des voiles tombent peu à peu, comme des rideaux qui se déchirent. Les regrets et les remords viennent mettre des cailloux dans les chaussures. Les secrets viennent à nous comme des bulles remontant à la surface de l'onde, démontrant qu'il y a de la vie en dessous.
L'écriture d'
Irène Némirovsky est à la fois concise et ciselée dans une justesse qui met à jour des sentiments pris dans la nasse des coeurs. C'est une écriture qui peut paraître froide au premier abord, presque acerbe et désabusée. Mais elle pose le décor et la complexité des fils qui tiennent et animent les personnages emplis de désirs et voulant brusquement et à toutes forces sortir d'une photo de famille parfois trop lisse.
L'intrigue presque policière est ici un prétexte. J'ai aimé les mots d'
Irène Némirovsky pour dire à la fois l'émotion et la pulsion, les choses du coeur et du corps. Parfois il est impossible de distinguer l'un de l'autre, comme
deux amants dont l'étreinte est fusionnelle. C'est une écriture que je trouve incroyablement émouvante. Il me tarde de cheminer dans le reste de l'oeuvre de cette écrivaine.