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Gérard Macé (Préfacier, etc.)Bertrand Marchal (Éditeur scientifique)
EAN : 9782070314799
448 pages
Gallimard (30/06/2005)
3.86/5   443 notes
Résumé :
Nerval lui-même qualifiait ce recueil de "descente aux enfers". Texte aux accents ésotériques souvent obscurs, Aurélia ressuscite le mythe d'Orphée en une succession de rêves prophétiques et de délires visuels dont les surréalistes devaient faire leur miel. Dans "son petit habit brun de toiles d'araignées", Nerval côtoie sans cesse la folie et, cas unique en littérature, s'y abandonne humblement, en toute lucidité. Même Rimbaud n'ira guère plus loin. Écrivant comme ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (21) Voir plus Ajouter une critique
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Précédé d'une dédicace à Alexandre Dumas, où Nerval évoque les épitaphes de sa mort et de son esprit, car vint un temps où on l'a cru mort et un autre où on l'a cru fou, ce recueil de textes en prose, suivi de quelques poèmes, a quelque chose de fascinant, de surprenant, de magique.
De l'ensemble, on ne retirera évidemment pas grand-chose de précis pour la vie pratique, mais plutôt diverses impressions pleines de douces rêveries poétiques.
Son auteur a quelque chose d'unique et de vraiment mystérieux puisqu'il n'apparaît nulle part d'une manière définie. Il disparaît en effet toujours derrière divers styles empruntés qu'il s'approprie si parfaitement qu'on dirait qu'il y joue à chaque fois tout son être sans qu'une véritable personnalité s'en dégage. On peut évidemment noter son intérêt pour l'érudition, qui le mène à discuter d'histoire ou à immortaliser quelques artéfacts d'un monde paysan aujourd'hui effacé, sa propension quasi-animiste à tout spiritualiser et sa manière très délicate et tendre d'aimer les femmes, mais, en dehors de tout cela, il est entièrement dénué de consistance propre.
La « folie », d'un être vide de soi ... voilà qui fait pour moi tout le charme de l'apparition véritablement fantomale que constitue ce joli recueil.
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Des « filles de feu » on retient en général « Sylvie » ; mais c'est d'une autre nouvelle que je veux vous parler, « Angélique », véritable objet littéraire non identifié.
Il s'agit d'une nouvelle épistolaire où nous suivons le narrateur-écrivain en quête d'un livre introuvable, sujet d'un de ses articles, tandis que plane sur lui la menace de la censure de l'amendement Riancey : «L'amendement Riancey plaçait les écrivains dans l'obligation de ne plus rien imaginer, puisque l'administration menaçait de sanctionner les journaux qui publiaient des romans, lesquels s'éloignent de l'analyse historique et du compte rendu de faits matériellement vrais. » (Michel Brix)

Mais comme toutes les véritables quêtes (et peut-être la littérature), celle-ci est déceptive ; très vite nous nous égarons, de digressions en récits enchâssés, dans une errance aussi charmante que déstabilisante qui constitue finalement le véritable but du récit ; ce faisant, bien entendu, le récit s'écrit malgré et contre la censure, affirmant avec malice les pouvoirs du romanesque et plus généralement de la littérature.

Il y a du Sterne dans cette nouvelle, et déjà du Perec et du Borges («Comme tous les hommes de la Bibliothèque, j'ai voyagé dans ma jeunesse ; j'ai effectué des pèlerinages à la recherche d'un livre et peut-être du catalogue des catalogues » ; Borges, « La bibliothèque de Babel »).
Il y a surtout une déclaration d'amour à la fiction, au livre, à la liberté absolue du récit. Je vous incite vivement à lire cette nouvelle pour vous y perdre comme moi avec le sourire, et en compagnie De Nerval, qui vous prévient : « Ces jeunes filles fallacieuses nous firent faire une route bien étrange » (Angélique)…
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Parmi ces Filles de feu, je m'en tiens pour l'instant à Angélique, Sylvie et Jemmy, ainsi qu'à la très jolie étude du mitan du livre intitulée "Chansons et légendes du Valais"
Ma révélation a été de constater à quel point Proust a dû lire et relire "Sylvie" où se trouve en germe une partie de l'inspiration qu'il a développée dans sa Recherche du temps perdu, avec une visée cependant différente : car Proust, s'il a traqué les recoins les plus enfouis de la mémoire, n'a pas opéré de juxtapositions entre les strates de souvenirs jaillis d'époques différentes mais rattachées au même objet (souvenirs des souvenirs). Il n'a pas non plus visité le thème du double.
Les principaux motifs de l'auteur sont l'attachement aux lieux de l'enfance et l'amour romantique centré sur soi plus que sur l'autre : le narrateur exploite la richesse de sa vie intérieure et de sa création à travers la rencontre réelle ou fantasmée de femmes interchangeables au point de pouvoir en dédoubler une seule en plusieurs, ou d'en fusionner plusieurs en une.
Qu'est ce qui relie Proust à Nerval ? c'est bien sûr le mot "recherche" (du passé) ; les innombrables sentiers qui mènent aux divers lieux de la mémoire, longés d'halliers, de buissons de roses, d'églantiers (au lieu des célèbres aubépines), de framboisiers et de fraisiers sauvages ; l'évocation de la géographie intime des lieux de l'enfance (bien que Nerval soit né à Paris), parcourus maintes fois à pied (Loisy, Mortefontaine, Châalis, Senlis, Ermenonville et son désert de sable) ; la rencontre de plusieurs troupes de jeunes filles dont l'auteur ne précise pas qu'elles sont "en fleurs", mais dont on le devine à leur jeunesse, à leur fraîcheur et parfois à leur effronterie. Nerval fréquente les fêtes de village avec la même assiduité que Proust les salons, brasseries et autres lieux festifs parisiens de plein air. Leurs centres d'intérêt de sont pas les mêmes, mais il se crée à les lire cet effet tourbillonnant qui finit par provoquer dans l'âme un peu de nostalgie : le temps s'échappe, il faut absolument le retenir. N'oublions pas non plus les clochers de villages très aigus, nommés dans le Valois "ossements pointus" et que Nerval, comme Proust, évoque à différentes reprises.
J'ai beaucoup admiré la maîtrise poétique qui perce sous un aspect parfois volontairement négligé et qui atteint d'autant mieux son objectif, tout comme l'atteignent les chants populaires d'antan, sans rimes, souvent mal peignés, mais qui parlent au coeur bien plus que les chansons écrites au 18 ème ou 19 ème siècle. L''humour n'est pas absent : la recherche passionnée des mémoires oubliées du comte-abbé de Bucquoy est très savoureuse.
Cette lecture est très agréable et pleine de réminiscences. J'ai éprouvé le besoin de faire une pause en son milieu car les thèmes de Nerval sont plus uniformes que ceux de Proust et le risque encouru à continuer d'un trait aurait été celui de devenir moins attentive au fil des pages, et de perdre beaucoup de la beauté de cette oeuvre.
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Pour écrire "Les Filles du Feu" et "Les Chimères", je me dis souvent que Gérard de Nerval -archétype du poète maudit et torturé, comme les a tant aimé le XIX°siècle- a puisé à l'encre des rêves et de ses cauchemars. Peut-être dans son sang, ses angoisses et ses espoirs.
Qu'il a emprisonné sur le papier ses obsessions et les hallucinations qui venaient le hanter, volutes lourdes et soyeuses.
Qu'il a décroché les étoiles aussi belles que dangereuses qu'il aimait pour les réunir en un bouquet étrange, aux contours flous et brillants comme des diamants.
Qu'il a essayé de dompter sa mélancolie et les ténèbres et d'apprivoiser la mort.
Qu'il a rêvé le passé et l'amour et l'absolue douleur des amants et des fantômes.
Qu'il a dénudé la langue pour la revêtir délicatement de ses mots, dentelle blanche et noire, finesse et piège, opaline arentèle.
Qu'il a dansé, peut-être embrassé la folie avant qu'elle ne l'enlace elle-même.
Qu'il est retourné dans le Valois et qu'il y a été aimé.

"Les Filles du Feu" sont étrangement belles et complètement inclassables: poèmes, nouvelles, contes, théâtre... C'est difficile de les décrire, de les raconter. On en garde surtout une impression de grâce fugace, des images, la sensation que le poète a partagé avec nous de ses rêveries, de ses sensations... Ce poète pourtant si secret, à peine esquissé, comme si Gérard de Nerval voulait s'effacer, s'oublier et ne pas faire d'ombre à ses créations un peu fragiles, un peu fées, un peu mystérieuses malgré son érudition et sa souffrance face à un monde en pleine mutation. C'est que le temps passe et ne revient jamais. C'est que les fleurs fanent et que les amours s'oublient.

"Les Chimères" sont aussi tissées de rêves et de nuées. Elles aussi, plus que "Les Filles du Feu" même, donnent cette impression étrange et languissante de se situer à la frontière du rêve et de l'éveil. Comme ce moment insaisissable et éphémère, elles ont l'air irréelles, secrètes. Chaque poème a sa musique propre, ses couleurs mais il ne les livre jamais toutes en même temps, ni avec la même intensité. Et tant pis s'il nous inquiète au passage.

Et finalement si"Les Filles du Feu" ressemblent aux chansons de John Denver, aux complaintes anciennes reprises par Malicorne et Kate Rusby, "Les Chimères" ont l'inquiétante étrangeté et la beauté singulière des chansons de Air, de Still Corners ou de Sufjan Stevens.

De la beauté et de l'émotion pure. Presque des larmes.
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Un peu déçue par ces filles du feu, sûrement parce qu'elles ne sont pas assez enflammées pour moi, pas assez "diaboliques" contrairement aux femmes des nouvelles de Barbey d'Aurevilly... Pour utiliser une très jolie expression de l'historien Alain Corbin, ce sont des "filles de rêve" ici, des figures féminines rêvées, idéalisées. Elles ne sont d'ailleurs que des personnages secondaires, ne sont pas les héroïnes des histoires, nous n'avons d'elles qu'une connaissance indirecte, médiatisée par le regard du Narrateur, qui décrit des femmes idéales plutôt que réelles, réalistes : il les a vues en rêve, admirées de loin au théâtre mais sans jamais leur parler, ou ce sont des souvenirs lointains, surgies des vieux livres de mythologies ou de voyages en Italie ou en Orient. Il y a en réalité plusieurs narrateurs, mais ils se ressemblent tous, jeunes gens devenus adultes depuis peu, ayant des références classiques, ayant voyagé - en Italie ou en Orient, mais Naples dans cette partie du XIXème est déjà l'Orient, et surtout, amoureux désespérés en silence. Je suppose qu'il y a de nombreuses ressemblances avec l'auteur lui-même...
Cependant, je regrette un manque d'unité dans ce recueil, les récits décrivant le Nord de la France ont un charme champêtre, ce sont presque des pastorales. Ensuite, il y a des récits plus mythologiques, ou italiens, voire historique dans le cadre des guerres napoléonniennes. Et au milieu, Jemmy l'Irlandaise enlevée par des Indiens... C'est un décalage important, c'est d'ailleurs la seule héroïne réellement active, femme de tête.
Je regrette donc le manque d'unité de ce recueil, cette tendance au mysticisme et à la contemplation également.
Enfin, les Chimères sont un beau recueil de poésie, où on retrouve des tendances orientalistes, un goût pour la mythologie antique, et surtout le magnifique poème El Desdichado. Je vois mieux sa place dans l'oeuvre de l'auteur maintenant. Cependant, encore une fois, les derniers sonnets sur la Passion du Christ semblent un peu trancher avec le reste, ce n'est pas la même thématique directe.
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Les Chimères

EL DESDICHADO

Je suis le ténébreux, — le veuf, — l’inconsolé,
Le prince d’Aquitaine à la tour abolie :
Ma seule étoile est morte, — et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie.

Dans la nuit du tombeau, toi qui m’as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d’Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon cœur désolé,
Et la treille où le pampre à la rose s’allie.

Suis-je Amour ou Phébus ?… Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la reine ;
J’ai rêvé dans la grotte où nage la syrène…

Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron :
Modulant tour à tour sur la lyre d’Orphée
Les soupirs de la sainte et les cris de la fée.
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Les Filles du feu ; Octavie.

Ce fut au printemps de l’année 1835 qu’un vif désir me prit de voir l’Italie. Tous les jours en m’éveillant j’aspirais d’avance l’âpre senteur des marronniers alpins ; le soir, la cascade de Terni, la source écumante du Teverone jaillissaient pour moi seul entre les portants éraillés des coulisses d’un petit théâtre… Une voix délicieuse, comme celle des syrènes, bruissait à mes oreilles, comme si les roseaux de Trasimène eussent tout à coup pris une voix… il fallut partir, laissant à Paris un amour contrarié, auquel je voulais échapper par la distraction.

C’est à Marseille que je m’arrêtai d’abord. Tous les matins, j’allais prendre les bains de mer au Château-Vert, et j’apercevais de loin en nageant les îles riantes du golfe. Tous les jours aussi, je me rencontrais dans la baie azurée avec une jeune fille anglaise, dont le corps délié fendait l’eau verte auprès de moi. Cette fille des eaux, qui se nommait Octavie, vint un jour à moi toute glorieuse d’une pêche étrange qu’elle avait faite. Elle tenait dans ses blanches mains un poisson qu’elle me donna.

Je ne pus m’empêcher de sourire d’un tel présent. Cependant le choléra régnait alors dans la ville, et pour éviter les quarantaines, je me résolus à prendre la route de terre. Je vis Nice, Gênes et Florence ; j’admirai le Dôme et le Baptistère, les chefs-d’œuvre de Michel-Ange, la tour penchée et le Campo-Santo de Pise. Puis, prenant la route de Spolette, je m’arrêtai dix jours à Rome. Le dôme de Saint-Pierre, le Vatican, le Colisée m’apparurent ainsi qu’un rêve. Je me hâtai de prendre la poste pour Civita-Vecchia, où je devais m’embarquer. — Pendant trois jours, la mer furieuse retarda l’arrivée du bateau à vapeur. Sur cette plage désolée où je me promenais pensif, je faillis un jour être dévoré par les chiens. — La veille du jour où je partis, on donnait au théâtre un vaudeville français. Une tête blonde et sémillante attira mes regards. C’était la jeune Anglaise qui avait pris place dans une loge d’avant-scène. Elle accompagnait son père, qui paraissait infirme, et à qui les médecins avaient recommandé le climat de Naples.

Le lendemain matin je prenais tout joyeux mon billet de passage. La jeune Anglaise était sur le pont, qu’elle parcourait à grands pas, et impatiente de la lenteur du navire, elle imprimait ses dents d’ivoire dans l’écorce d’un citron : — Pauvre fille, lui dis-je, vous souffrez de la poitrine, j’en suis sûr, et ce n’est pas ce qu’il faudrait. Elle me regarda fixement et me dit : — Qui l’a appris à vous ? — La sibylle de Tibur, lui dis-je sans me déconcerter. — Allez ! me dit-elle, je ne crois pas un mot de vous.

Ce disant, elle me regardait tendrement et je ne pus m’empêcher de lui baiser la main. — Si j’étais plus forte, dit-elle, je vous apprendrais à mentir !… Et elle me menaçait, en riant, d’une badine à tête d’or qu’elle tenait à la main.
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Les Filles du Feu ; Chansons et légendes du Valois

Chaque fois que ma pensée se reporte aux souvenirs de cette province du Valois, je me rappelle avec ravissement les chants et les récits qui ont bercé mon enfance. La maison de mon oncle était toute pleine de voix mélodieuses, et celles des servantes qui nous avaient suivis à Paris chantaient tout le jour les ballades joyeuses de leur jeunesse, dont malheureusement je ne puis citer les airs. J’en ai donné plus haut quelques fragments. Aujourd’hui, je ne puis arriver à les compléter, car tout cela est profondément oublié ; le secret en est demeuré dans la tombe des aïeules. On publie aujourd’hui les chansons patoises de Bretagne ou d’Aquitaine, mais aucun chant des vieilles provinces où s’est toujours parlé la vraie langue française ne nous sera conservé. C’est qu’on n’a jamais voulu admettre dans les livres des vers composés sans souci de la rime, de la prosodie et de la syntaxe ; la langue du berger, du marinier, du charretier qui passe, est bien la nôtre, à quelques élisions près, avec des tournures douteuses, des mots hasardés, des terminaisons et des liaisons de fantaisie, mais elle porte un cachet d’ignorance qui révolte l’homme du monde, bien plus que ne fait le patois. Pourtant ce langage a ses règles, ou du moins ses habitudes régulières, et il est fâcheux que des couplets tels que ceux de la célèbre romance : Si j’étais hirondelle, soient abandonnés, pour deux ou trois consonnes singulièrement placées, au répertoire chantant des concierges et des cuisinières.

Quoi de plus gracieux et de plus poétique pourtant :

Si j’étais hirondelle ! — Que je puisse voler, — Sur votre sein, la belle, — J’irais me reposer !

Il faut continuer, il est vrai, par : J’ai z’un coquin de frère.... ou risquer un hiatus terrible ; mais pourquoi aussi la langue a-t-elle repoussé ce z si commode, si liant, si séduisant qui faisait tout le charme du langage de l’ancien Arlequin, et que la jeunesse dorée du Directoire a tenté en vain de faire passer dans le langage des salons ?

Ce ne serait rien encore, et de légères corrections rendraient à notre poésie légère, si pauvre, si peu inspirée, ces charmantes et naïves productions de poètes modestes ; mais la rime, cette sévère rime française, comment s’arrangerait-elle du couplet suivant :

La fleur de l’olivier — Que vous avez aimé, — Charmante beauté ! — Et vos beaux yeux charmants, — Que mon cœur aime tant, — Les faudra-t-il quitter ?

Observez que la musique se prête admirablement à ces hardiesses ingénues, et trouve dans les assonances, ménagées suffisamment d’ailleurs, toutes les ressources que la poésie doit lui offrir.
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Les filles du feu ; Isis

Avant l’établissement du chemin de fer de Naples à Résina, une course à Pompéi était tout un voyage. Il fallait une journée pour visiter successivement Herculanum, le Vésuve, — et Pompéi, situé à deux milles plus loin ; souvent même on restait sur les lieux jusqu’au lendemain, afin de parcourir Pompéi pendant la nuit, à la clarté de la lune, et de se faire ainsi une illusion complète. Chacun pouvait supposer en effet que, remontant le cours des siècles, il se voyait tout à coup admis à parcourir les rues et les places de la ville endormie ; la lune paisible convenait mieux peut-être que l’éclat du soleil à ces ruines, qui n’excitent tout d’abord ni l’admiration ni la surprise, et où l’antiquité se montre pour ainsi dire dans un déshabillé modeste.

Un des ambassadeurs résidant à Naples donna, il y a quelques années, une fête assez ingénieuse. Muni de toutes les autorisations nécessaires, il fit costumer à l’antique un grand nombre de personnes ; les invités se conformèrent à cette disposition, et, pendant un jour et une nuit, l’on essaya diverses représentations des usages de l’antique colonie romaine. On comprend que la science avait dirigé la plupart des détails de la fête ; des chars parcouraient les rues, des marchands peuplaient les boutiques ; des collations réunissaient, à certaines heures, dans les principales maisons, les diverses compagnies des invités. Là, c’était l’édile Pansa, là Salluste, là Julia-Felix, l’opulente fille de Scaurus, qui recevaient les convives et les admettaient à leurs foyers. — La maison des Vestales avait ses habitantes voilées ; celle des Danseuses ne mentait pas aux promesses de ses gracieux attributs. Les deux théâtres offrirent des représentations comiques et tragiques, et sous les colonnades du Forum des citoyens oisifs échangeaient les nouvelles du jour, tandis que, dans la basilique ouverte sur la place, on entendait retentir l’aigre voix des avocats ou les imprécations des plaideurs. — Des toiles et des tentures complétaient, dans tous les lieux où de tels spectacles étaient offerts, l’effet de décoration, que le manque général des toitures aurait pu contrarier ; mais on sait qu’à part ce détail, la conservation de la plupart des édifices est assez complète pour que l’on ait pu prendre grand plaisir à cette tentative palingénésique. — Un des spectacles les plus curieux fut la cérémonie qui s’exécuta au coucher du soleil dans cet admirable petit temple d’Isis, qui, par sa parfaite conservation, est peut-être la plus intéressante de toutes ces ruines.
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Les Filles du feu ; Corilla

FABIO. Si tu me trompes, Mazetto, c’est un triste métier que tu fais là…

MAZETTO. Le métier n’en est pas meilleur ; mais je vous sers fidèlement. Elle viendra ce soir, vous dis-je ; elle a reçu vos lettres et vos bouquets.

FABIO. Et la chaîne d’or, et l’agrafe de pierres fines ?

MAZETTO. Vous ne devez pas douter qu’elles ne lui soient parvenues aussi, et vous les reconnaîtrez peut-être à son cou et à sa ceinture ; seulement, la façon de ces bijoux est si moderne, qu’elle n’a trouvé encore aucun rôle où elle pût les porter comme faisant partie de son costume.

FABIO. Mais, m’a-t-elle vu seulement ? m’a-t-elle remarqué à la place où je suis assis tous les soirs pour l’admirer et l’applaudir, et puis-je penser que mes présents ne seront pas la seule cause de sa démarche ?

MAZETTO. Fi, monsieur ! ce que vous avez donné n’est rien pour une personne de cette volée ; et, dès que vous vous connaîtrez mieux, elle vous répondra par quelque portrait entouré de perles qui vaudra le double. Il en est de même des dix ducats que vous m’avez remis déjà, et des vingt autres que vous m’avez promis dès que vous aurez l’assurance de votre premier rendez-vous ce n’est qu’argent prêté, je vous l’ai dit, et ils vous reviendront un jour avec de gros intérêts.

FABIO. Va, je n’en attends rien.

MAZETTO. Non, monsieur, il faut que vous sachiez à quels gens vous avez affaire, et que, loin de vous ruiner, vous êtes ici sur le vrai chemin de votre fortune ; veuillez donc me compter la somme convenue, car je suis forcé de me rendre au théâtre pour y remplir mes fonctions de chaque soir.

FABIO. Mais pourquoi n’a-t-elle pas fait de réponse, et n’a-t-elle pas marqué de rendez-vous ?

MAZETTO. Parce que, ne vous ayant encore vu que de loin, c’est-à-dire de la scène aux loges, comme vous ne l’avez vue vous-même que des loges à la scène, elle veut connaître avant tout votre tenue et vos manières, entendez-vous ? votre son de voix, que sais-je ! Voudriez-vous que la première cantatrice de San-Carlo acceptât les hommages du premier venu sans plus d’information ?
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