[Cachet de la poste Turin, 5.1.1889] 6 janvier 1889.
Lettre à Jacob Burckhardt
Le 6 janvier 1889
Cher Monsieur le Professeur,
Finalement je préférerais de loin être professeur à Bâle plutôt que Dieu ; mais je n’ai pas osé pousser si loin mon égoïsme privé au point que, pour lui, je me dispense de créer le monde. Vous dites qu’on doit se sacrifier, quelle que soit le manière et le lieu où l’on vive. Mais je me suis réservé une petite chambre d’étudiant située en face du palazzo Carignano (dans lequel je suis né en tant que Victor-Emmanuel) et qui me permet en outre d’entendre depuis mon bureau la magnifique musique que l’on joue, en bas de chez moi, dans la Galeria Subalpina. Je paie 25 francs, service compris, je prépare mon thé et je fais moi-même tous mes achats, je souffre de mes souliers percés et je remercie le ciel à chaque instant pour ce vieux monde envers lequel les hommes n’ont été ni assez simples ni assez tranquilles.
— Comme je suis destiné à distraire la prochaine éternité par de plaisanteries saugrenues, j’ai ici une paperasserie qui à vrai dire ne laisse rien à désirer, très jolie et pas fatigante du tout. La poste est à cinq pas, j’y dépose moi-même les lettres que j’adresse aux grands feuilletonnistes de la grande monde [sic, en français]. Je me trouve actuellement en relation étroite avec le Figaro, et pour que vous ayez une idée de ma naïveté, écoutez mes deux premières mauvaises plaisanteries :
Ne prenez pas l’affaire Prado trop au sérieux. Je suis Prado, je suis aussi le père de Prado, j’ose ajouter que je suis aussi Lesseps… Je voulais donner à mes Parisiens, que j’aime, une nouvelle idée ― celle du criminel honnête. Je suis aussi Chambige ― un autre criminel honnête.
Deuxième plaisanterie. Je salue les Immortels Monsieur Daudet appartient aux quarante.
Astu
Ce qui est désagréable et embarrassant pour ma modestie, c’est qu’au fond je suis tous les grands noms de l’histoire ; même avec les enfants que j’ai mis au monde, j’en suis à examiner avec une certaine méfiance, si tous ceux qui entrent dans le royaume de Dieu ne viennent pas aussi de Dieu. Cet automne, sans étonnement, j’ai assisté par deux fois à mon propre enterrement, d’abord comme comte Robilant (non, c’est mon fils, dans la mesure où je suis Carlo Alberto, ma nature d’en-bas), ensuite comme Antonelli. Cher Monsieur le Professeur, vous devriez voir ce monument ; puisque je suis totalement inexpérimenté dans mes propres créations, je vous serais reconnaisant de vos critiques, sans pouvoir vous promettre de les mettre à profit. Nous autres, artistes, nous sommes inéducables.
— Aujourd’hui, j’ai assisté à une opérette ― géniale-mauresque ― et à cette occasion, j’ai constaté avec plaisir que maintenant Moscou, ainsi que Rome, sont des affaires grandioses. Voyez-vous, même dans le paysage, on doit me reconnaître du talent. ― Si vous voulez, nous aurons de riches conversations ; Turin n’est pas loin, aucun devoir professionnel très sérieux ne presse, on ferait venir un verre de Valtline. La tenue négligée est de rigueur.
De tout cœur, votre
Nietzsche
[En marge] :
Je vais partout en tenue d’étudiant, ici et là je frappe sur l’épaule de quelqu’un et lui dis : siamo contenti ? Son dio, ho fatto questa caricatura…
Demain arrivent mon fils Umberto et la charmante Marguerite, que je recevrai, comme vous, en bras de chemise. Paix à Madame Cosima… Ariane… De temps en temps on fait de la magie.
Je fais mettre Caïphe dans les chaînes ; moi aussi j’ai été continuellement crucifié l’année dernière par les médecins allemands. Supprimé Guillaume, Bismarck et tous les antisémites.
Vous pouvez faire de cette lettre tout usage qu’il vous plaira, pourvu qu’il ne me rabaisse pas aux yeux des Bâlois.
Turin, 4 janvier 1889.
Lettre à Malwida von Meysenbug
Supplément aux Mémoires d’une Idéaliste
Bien que Malwida, comme chacun le sait, soit Kundry, celle qui a ri au moment où le monde chancelait, il lui sera beaucoup pardonné parce qu’elle m’a beaucoup aimé : voir le premier tome des Mémoires…
Je respecte toutes ces âmes choisies autour de Malwida en Natalie vit son père et celui-ci était moi également.
Le Crucifié.
Turin, le 4 janvier 1889.
Lettre à Jacob Burckhardt, à Bâle
À mon vénérable Jakob Burckhardt
C’était la petite plaisanterie pour laquelle je me pardonne d’avoir créé un monde. Maintenant vous êtes ― tu es ― notre grand maître, le plus grand : car moi, ensemble avec Ariane, je n’ai qu’à être l’équilibre doré de toutes les choses, dans chaque pièce nous en avons qui sont au-dessus de nous…
Dionysos.
Billets de la folie, janvier 1889
Turin, 1er janvier 1889.
Dédicace des Dithyrambes de Dionysos à Catulle Mendès
Turin
Le 1er janvier 1889
C’est pour faire un bien infini à l’humanité que je lui offre mes dithyrambes.
Je les remets entre les mains du poète d’Isoline, le plus grand et le premier satyre vivant aujourd’hui ― et pas seulement aujourd’hui…
Dionysos
Turin, 3 janvier 1889.
Lettre à Cosima Wagner, à Bayreuth
À la princesse Ariane, ma bien-aimée
C’est un préjugé que je sois un être humain. Mais j’ai souvent vécu parmi les êtres humains et connais toutes les expériences que les êtres humains sont capables de faire, de la plus basse à la plus élevée. J’ai été Bouddha en Inde, Dionysos en Grèce ― Alexandre et César sont mes incarnations, tout comme le poète de Shakespeare, lord Bacon. À la fin, j’ai encore été Voltaire et Napoléon, peut-être également Richard Wagner… Mais cette fois-ci, je viens comme le Dionysos victorieux, qui fera de la terre un jour de fête… Non que j’aie beaucoup de temps… Les cieux se réjouissent que je sois là… J’ai également été accroché sur la croix…
Fabrice Midal vous présente "La théorie du bourgeon", son nouveau livre, disponible en livre audio !
Résumé :
Le découragement est le problème majeur de notre temps. Là où nous pourrions avancer, nous baissons les bras. Là où nous pourrions être victorieux, nous partons perdants. On nous a fait croire que nous devions être dans le contrôle permanent, dans l'efficacité absolue. Mais la vie ne se contrôle pas, elle ne se gère pas. Comment inverser le mouvement ? Comment retrouver l'élan pour sortir de la paralysie qui nous guette, pour rejoindre enfin le monde et essayer de le réparer ? Se fondant sur les enseignements de philosophes qui, comme Nietzsche, Bergson ou Hannah Arendt, ont affronté ce péril majeur avec lucidité, Fabrice Midal nous amène à reprendre confiance en nous et en l'humanité. Avec La théorie du bourgeon, il nous apprend à cultiver la vie dans son surgissement, ce bourgeon qui réside en nous et qui ne demande qu'à croître pour donner des fleurs, pour donner des fruits. C'est ce remède anti-découragement que je vous invite à découvrir.
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