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Giorgio Colli (Éditeur scientifique)Mazzino Montinari (Éditeur scientifique)Jean-Claude Hémery (Traducteur)
EAN : 9782070324743
151 pages
Gallimard (22/03/1988)
  Existe en édition audio
4.04/5   274 notes
Résumé :
Ce titre aux accents wagnériens est emblématique de la pensée nietzschéenne. Pratiquant la philosophie à coups de marteau, Nietzsche cherche avant tout à précipiter la fin d'un monde et le déclin de ses croyances. Depuis Socrate, l'homme théorique, soucieux d'édifier des systèmes conformes aux exigences de la raison, semble avoir triomphé de l'homme tragique, assumant, à l'instar de Dionysos, les contradictions de la vie. Ainsi, la philosophie, la morale puis la sci... >Voir plus
Que lire après Crépuscule des idoles ou Comment philosopher à coups de marteauVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (13) Voir plus Ajouter une critique
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Quel crépuscule ?
Pour Nietzsche, depuis la Renaissance, depuis César Borgia, les sociétés, tuées par le christianisme et les philosophes, sont en décadence. Pourquoi ? A cause de « l'euphémisation » de la violence, croit-il, due aux valeurs morales imposées aux fidèles par l'Eglise sous peine d'enfer, et proposées par les philosophes. La société, gouvernée par le cerveau, les démocrates, les fonctionnaires « moutons » est devenue raisonnable.
Non !
Il faut de l'instinct !
Il faut des tripes ; dans un autre livre, il scande :
« Il faut du chaos pour créer une étoile dansante. »
Dans « Ainsi parlait Zarathoustra », il déclame :
« Il faut être fort pour créer ».
Dans ce livre, il fait l'apologie de la volonté de puissance. Qu'est ce que c'est ?
La volonté de puissance est l'instinct, qui peut créer ou détruire.
Nietzsche préfère l'instinct viril aux valeurs morales qui brident l'homme.
Ces valeurs morales sont celles, hypocritement distribuées, dit-il, par les chrétiens, les philosophes et les écrivains ; bref, les idoles.

Quelles idoles ?
En vrac, et avec un marteau, dans son chapitre « Divagations d'un inactuel », il condamne sans appel :
Dieu et les prêtres, qui castrent la passion ; Platon ; Sénèque, toréador de la vertu ; Dante, l'hyène qui versifie sur les tombes ; Blaise Pascal ; Sainte-Beuve, rien de viril ; Rousseau, le romantique « mièvre », Emmanuel Kant ; Victor Hugo, le phare au bord de l'océan de l'Absurde ; George Sand, la vache laitière au style élégant ; Michelet, ou l'enthousiasme en bras de chemise ; Carlyle, ou le pessimiste du déjeuner qui ne passe pas ; John Stuart Mill, ou la clarté blessante ; les frères Goncourt, ou le combat des deux Ajax contre Homère ; Victor Hugo, ou le plaisir de puer...
Et même Schopy, notre brave Schopenhauer, trop pessimiste !

Eh oui, pour Nietzsche, qui condamne dans plusieurs livres, dont celui-ci, la lourdeur de ses compatriotes allemands, il faut avoir le pied léger, non seulement pour danser, mais aussi dans le style d'écriture !
Et se rapprocher de la Nature : la marche permet de penser.
.
J'aime beaucoup Friedrich Nietzsche parce que c'est un ado dans sa tête, un révolté, un écorché ; j'en ai eu un à la maison. Ces personnes se posent les bonnes questions comme par exemple :
« Avons-nous progressé depuis que la morale est imposée ? »
Il semble que non, d'après Nietzsche, Kant, avec qui, pour une fois, il semble d'accord... et modestement, moi:)
J'aime son style incisif, outrancier, provocateur, même si certaines de ses phrases nous emmènent au pays de nulle part :) , et qu'il semble manquer parfois de cohérence, du fait de son insuffisance, plus ou moins volontaire, de définitions.
Je me demandais si son « instinct » correspondait au « ça » de Freud, au Mister Hyde et à mon homme viscéral, et sa raison morale au « surmoi », au docteur Jeykill et à mon homme cérébral ?
Bon, on a encore oublié le coeur, l'homme cardinal :)

Bref, un tout intéressant dans la première moitié qui suit son fil rouge, et après il faut jongler un peu car il reprend ses satanés aphorismes, mais, le connaissant maintenant, surtout depuis que je sais qu'il veut passer « Par delà le mal et le bien », ….

…................... Je me suis encore régalé !
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Aucun livre de Nietzsche n'est dispensable, mais le lecteur qui cherche à privilégier l'essentiel devrait peut-être commencer par aborder l'auteur avec ce Crépuscule des idoles, condensé de ses idées les plus innovantes et personnelles.


Le livre est séparé en onze parties dont la forme varie souvent. Nietzsche ne laisse pas son lecteur s'amollir dans un seul format de texte, dans un seul genre de prose littéraire. Il privilégie toutefois la forme courte et directe à travers des paragraphes et des chapitres brefs qui donnent au livre une cadence dynamique. Les phrases sont simples, ne s'embarrassent pas de complexités inutiles. Pour qui connaît déjà l'esprit dionysiaque de Nietzsche, on appréciera cette connivence de forme et de fond, et on reconnaîtra la puissance d'un style qui s'accorde à sa théorie de l'Esthétique : « Tout ce qui est bon est léger, tout ce qui est divin court sur des pieds délicats ».


Le premier chapitre du Crépuscule des idoles ouvre le bal avec une succession d'aphorismes et de maximes virulentes, dont certaines sont passées à postérité (« Ce qui ne me tue pas me fortifie »). On assiste là à un déliement de la pensée, comme un coureur de fond délierait ses jambes avant de se lancer dans un effort plus important.
Et en effet, les chapitres suivants offrent au lecteur une consistance plus dense.


Bien que Nietzsche maîtrise avec perfection la légèreté divine de son écriture, ses propos, par leur originalité, leur caractère profondément bouleversant, nécessitent une lecture attentive. Pour peu que l'on ait partagé, sans les avoir auparavant explicités, les pressentiments de Nietzsche, la lecture sera peut-être plus fluide. La lecture antérieure d'autres volumes pourra également faciliter la compréhension.


Nietzsche revient aux sources de la philosophie en abordant la problématique de Socrate. Premier philosophe connu et parvenu jusqu'à nous, il est désigné comme le représentant principal d'une philosophie de la vie malade et dégénérée –le mot de « décadence » est utilisé à plusieurs reprises. de fil en aiguille, Nietzsche remonte le cours de l'Histoire et récolte d'autres preuves de la décadence de l'esprit humain. La morale chrétienne en tête, il désigne comme autres responsables le langage mais aussi Schopenhauer, Wagner, Sénèque, Schiller, Rousseau, Dante, Kant, Victor Hugo, Liszt, George Sand, Mill, Goncourt, Zola… dont il s'amuse à décortiquer les signes d'une pourriture de la pensée dans le neuvième chapitre (Flâneries d'un inactuel). Face à tous ces dégénérés, Nietzsche brandit la grâce divine d'un Dionysos, dont il considère être le dernier disciple.


C'est sur la base de cette opposition que Nietzsche se propose d'élaborer une nouvelle philosophie qui ne se veut ni jugement moral, ni élaboration d'une hiérarchie de valeurs. La raison, qui cherche à rationaliser la vie, à rendre ses instincts froids et fatigués –qui tend, en réalité, à épuiser les élans vitaux- cède la place à une pensée tragique qui accepte les contradictions inhérentes de la condition humaine. La raison même est le signe d'un affaiblissement et d'une décadence. Que dit la morale chrétienne, que dit le pessimisme ? « Ne pas chercher son avantage », « La vie n'a plus aucune valeur »… Ce qui se fait passer pour altruisme, ce qui se donne les apparats de la vertu ne cherche en réalité qu'à dissimuler l'effritement d'une force et d'une vigueur qui peine à retrouver son souffle. La vérité serait : « Je ne sais plus trouver mon avantage », « Je n'ai plus aucune valeur »…


On associe Nietzsche au nihilisme, mais souvent en se trompant sur la définition de ce concept. A la différence de Schopenhauer, qui dresse le constat d'un monde absurde et sans espoir, Nietzsche est nihiliste dans le sens où il abolit la morale chrétienne. Mais il n'en reste pas là : il se propose de dépasser la vision d'un monde absurde en érigeant comme modèle la vitalité de l'homme dont les instincts n'ont pas été bafoués –et on retrouve ici les caractéristiques qui définissent le surhomme.


Nietzsche ne fait sombrer ni dans le désespoir, ni dans l'impuissance, ni dans la faiblesse. Sa pensée est surprenante et réjouissante car elle admet que la destruction des carcans de l'homme moderne lui ouvrira les portes d'une liberté revigorante où la santé, la force et la puissance deviendraient enfin des vertus au détriment de l'abnégation, de la soumission et de la maladie des corps déprimés par la morale de type chrétienne.


Ce Crépuscule des idoles est un panacée contre la dépression moderne. Par un retour sur soi, il fait aimer la vigueur des passions et des instincts qui sont toujours bons lorsque la décadence n'est pas encore installée. En se souciant d'abord de soi, l'homme prouvera mieux son amour de la vie qu'en se vautrant dans l'hypocrisie d'un amour d'autrui fondamentalement manipulateur. L'effet que suscite ce court volume est une preuve incontestable de la sincérité du propos de l'auteur : lorsqu'on referme le Crépuscule des idoles, on aimerait aller danser avec Nietzsche, en célébration à la vie toute-puissante.


Lien : http://colimasson.over-blog...
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Premier livre de Nietzsche pour moi et j'ai enfin la réponse à la question que se posent tous les hommes , genre masculin : Qui a la plus grosse ?
Et bien , ne cherchez pas , c'est ce bon Friedrich.
Il y a lui et les petits oiseaux , il est bon , on est con , il a raison , on a tort , il sait tout , on est ignorant.
Je ne sais pas s'il a des amis , il semblerait que oui, on en croise un ou deux sur les 100 pages de l'ouvrage , mais ce que l'on sait c'est qu'il a des ennemis avec à leur tête , tout ce qui touche au christianisme , plaie fondamentale de l'humanité , aliénation de l'homme , tissus de mensonges voué à faire main basse sur les êtres humains .
Les exemples sont multiples : "Le christianisme est la métaphysique du bourreau" ou encore " C'est ce que comprit l'Eglise : elle pervertit l'homme , elle l'affaiblit, mais elle prétendit l'avoir amendé" ou " les Pères du Judaïsme et du Christianisme n'ont jamais douté de leur droit à mentir".
Les religieux ne sont pas les seuls à être habillés pour l'hiver: Les philosophes antiques en tête, les artistes , les Allemands (dont la dégénérescence va les empêcher de lire les livres du maître :)).

Ce livre , dont la lecture sans être impossible , est quand même ardue et nécessite plus de concentration que pour la multitude de romans érotiques sur le marché, ce livre donc n'est pas non plus inintéressant.
Les raisonnements avancés partent très souvent d'idées lumineuses , la partie sur la cause et l'effet en témoignant.
Le premier chapitre consacré aux maximes nous en livre quelques unes passées à la postérité comme "Aide toi, tout le monde t'aidera" .

Voilà, une lecture inédite pour moi. Un livre que l'on peut se contenter de parcourir puisque les chapitres sont distincts, même si Dieu prend une rouste à chaque page !
Je ne suis finalement pas étonné que l'idéologie nazie se soit revendiquée héritière de Nietzsche , en tous les cas il me semble. On retrouve à travers les pages quelques poncifs que les dégénérés nazis ont utilisé.
Ma note est très subjectivité : Si certains traits m'ont semblé remarquable , cette arrogance et ce déni de tout ce qui est différent de la pensée de ce monsieur est quand même à gerber.

Je finirai quand même sur le point éducation , puisque Nietzsche trouve que l'Allemagne ne fait plus son travail vis à vis des jeunes: Il pose quand même une question fondamentale
Est ce que l'accès de la masse aux savoirs n'entraine pas une détérioration de l'apprentissage ?
Pas de doute pour l'auteur et dans des proportions bien plus mesurées , pas trop de doute pour moi non plus .
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Nietzsche, une fois de plus, part en guerre contre les idoles éternelles, celles qui masquent de leur taille imposante la réalité du monde.

Il commence par s'en prendre à Socrate, à qui il reproche de considérer la vie comme une longue maladie, d'être l'initiateur d'une dégénérescence de la pensée en étouffant les instincts sous le vernis de la rationalité avec cette équation : « raison = vertu = bonheur » et d'instruire son adversaire à l'aide de la dialectique (maïeutique) en lui démontrant par-là même que celui-ci n'est pas un "crétin".

Il expose aussi ses griefs contre les philosophes pour leur absence de sens historique, leur croyance en l'être parce qu'en cherchant, ils nient complètement les sens qui nous induisent en erreur quant à la réalité. Nietzsche prétend que ce ne sont pas les sens qui nous mentent, c'est ce que nous faisons de leur témoignage, l'interprétation que nous en faisons. Nous devons faire confiance à nos sens et écarter toute métaphysique, toute théologie, toute psychologie et toute épistémologie.

Leur seconde erreur est de croire à la volonté comme cause. Ainsi, ces deux erreurs leur masque la réalité du monde, ce qu'il appelle « une illusion d'optique et de morale.

Puis, il en remet une couche sur l'Église chrétienne qui fit « la guerre à la passion » en castrant les instincts naturels de l'être humain et donc, par cet anathème, dévalorise la vie.

Nietzsche prétend que le libre-arbitre a été crée de toute pièce par les théologiens afin de rendre l'être humain responsable de ses actes et de son existence, à des fins de châtiment.

Il réutilise, ensuite, certaines idées déjà formulées dans la « Généalogie de la morale » et attaque l'esprit allemand de son époque puis il s'en prend à certains noms célèbres de la littérature comme George Sand, Rousseau, Renan, Sainte-Beuve...

Pour conclure, on se rend compte de sa grande érudition littéraire, de même, au regard de certains passages, c'est ici que son expression « philosopher à coup de marteau » prend vraiment tout son sens.
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Ce Crépuscule des idoles est aussi un peu le crépuscule d'un grand penseur. Nietzsche laisse poindre de nombreux signes de fatigue mentale. Son désir de tout renverser le pousse à se contredire et à défendre des absurdités. Des absurdités qui feront le bonheur de grands philosophes allemands quelques années plus tard, les nazis...
A force de vouloir contrebalancer la pensée hypocrite chrétienne de l'amour du prochain, Nietzsche considère que l'amour n'est plus une valeur et n'existe que comme instinct néfaste dans la nature. Tout ce qui n'est pas exclusivement viril est donc à proscrire et à abattre.
Ce livre, même s'il est remarquablement écrit, composé et traduit, n'est donc pas à lire sans garde-fou, sans une nécessaire distance critique.
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Citations et extraits (127) Voir plus Ajouter une citation
Je présente, pour ne pas sortir de mon habitude d’affirmer et de ne m’occuper des objections et des critiques que d’une façon indirecte et involontaire, je présente dès l’abord les trois tâches pour lesquelles il nous faut avoir des éducateurs. Il faut apprendre à voir, il faut apprendre à penser, il faut apprendre à parler et à écrire ; dans ces trois choses le but est une culture noble. — Apprendre à voir — habituer l’oeil au repos, à la patience, l’habituer à laisser venir les choses ; remettre le jugement, apprendre à circonvenir et à envelopper le cas particulier. C’est là la première préparation pour éduquer l’esprit. Ne pas réagir immédiatement à une séduction, mais savoir utiliser les instincts qui entravent et qui isolent. Apprendre à voir, tel que je l’entends, c’est, en quelque sorte, ce que le langage courant et non philosophique appelle la volonté forte : l’essentiel, c’est précisément de ne pas « vouloir », de pouvoir suspendre la décision. Tout acte anti-spirituel et toute vulgarité reposent sur l’incapacité de résister à une séduction : — on est contraint de réagir, on suit toutes les impulsions. Dans beaucoup de cas une telle obligation est déjà la suite d’un état maladif, d’un état de dépression, un symptôme d’épuisement, — puisque tout ce que la brutalité non philosophique appelle « vice » n’est que cette incapacité physiologique de ne point réagir. Une application de cet enseignement de la vue : lorsque l’on est de ceux qui apprennent, on devient d’une façon générale plus lent, plus méfiant, plus résistant. On laissera venir à soi toutes espèces de choses étrangères et nouvelles avec d’abord une tranquillité hostile, — on en retirera la main. Avoir toutes les portes ouvertes, se mettre à plat ventre devant tous les petits faits, être toujours prêt à s’introduire, à se précipiter dans ce qui est étranger, en un mot cette célèbre « objectivité » moderne, c’est cela qui est de mauvais goût, cela manque de noblesse par excellence. —

Apprendre à penser : dans nos écoles on en a complètement perdu la notion. Même dans les universités, même parmi les savants en philosophie proprement dits, la logique, en tant que théorie, pratique et métier, commence à disparaître. Qu’on lise des livres allemands : on ne s’y souvient même plusde loin que pour penser il faille une technique, un plan d’étude, une volonté de maîtrise, — que l’art de penser doit être appris, comme la danse, comme une espèce de danse… Qui parmi les Allemands connaît encore par expérience ce léger frisson que fait passer dans tous les muscles le pied léger des choses spirituelles ! — La raide balourdise du geste intellectuel, la main lourde au toucher — cela est allemand à un tel point, qu’à l’étranger on le confond avec l’esprit allemand en général. L’Allemand n’a pas de doigté pour les nuances… Le fait que les Allemands ont pu seulement supporter leurs philosophes, avant tout ce cul-de-jatte des idées, le plus rabougri qu’il y ait jamais eu, le grand Kant, donne une bien petite idée de l’élégance allemande. — C’est qu’il n’est pas possible de déduire de l’éducation noble, la danse sous toutes ses formes. Savoir danser avec les pieds, avec les idées, avec les mots : faut-il que je dise qu’il est aussi nécessaire de le savoir avec la plume, — qu’il faut apprendre à écrire ? — Mais, en cet endroit, pour des lectures allemandes, je deviendrais tout à fait une énigme…
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34.

Chrétien et anarchiste. Quand l'anarchiste, en tant que porte-parole de couches décadentes de la société, exige avec une belle indignation "le Droit", la "Justice", l'"Égalité des Droits", il n'agit que sous la pression de son inculture, qui ne sait comprendre pourquoi il souffre au fond, et de quoi il est pauvre, c'est-à-dire de vie... C'est l'instinct de causalité qui l'emporte chez lui : s'il se sent mal, il faut que quelqu'un soit en cause... De même, sa "généreuse indignation" lui fait déjà du bien. C'est pour tous les pauvres diables un vrai plaisir que de pouvoir proférer des injures - cela donne une petite ivresse de puissance. Les plaintes, déjà, et le simple fait de se plaindre, suffisent à se donner à la vie assez de charme pour qu'elle soit supportable. Il y a dans toute plainte une subtile dose de vengeance à ceux qui sont faits autrement, on reproche son propre mal-être, ou, le cas échéant, sa bassesse, comme une injustice, comme s'ils jouissaient d'un privilège illicite. "Si je suis une canaille, tu devrais aussi en être une." Une telle logique suffit à faire les révolutions. Les doléances ne valent jamais rien : elles sont dictées par la faiblesse. Que l'on attribue son mal-être aux autres ou à soi-même (le premier cas est celui du socialiste, le second, par exemple celui du chrétien), cela revient pratiquement au même. Ce qu'il y a de commun, disons-le, d'indigne dans ces deux cas, c'est qu'il y faut à tout prix attribuer à quelqu'un la faute de ce que l'on souffre, bref, que celui qui souffre se prescrive à lui-même, contre sa souffrance, le miel de sa vengeance. Les objets de ce besoin de vengeance, qui est également un besoin de volupté, sont des causes occasionnelles : celui qui soufre trouve partout des occasions d'assouvir sa petite vengeance et - répétons-le, s'il est chrétien, il les trouve en lui-même... Le chrétien et l'anarchiste, tous deux sont des décadents. Quand le chrétien condamne, dénigre, salit le monde, il le fait par le même instinct qui pousse l'ouvrier socialiste à condamner, dénigrer, salir la société. Le "Jugement dernier" même est encore la douce consolation qu'attend l'esprit de vengeance, la Révolution, telle que l'ouvrier socialiste l'espère, seulement repoussée à un peu plus tard... L'"au-delà" même... à quoi bon un "au-delà", si ce n'était là un moyen de salir notre "en-deçà"?...
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On a appelé " amélioration" aussi bien le dressage de la bête humaine que l'élevage d'une certaine race d'hommes ( 1 ) : seuls ces termes employés à la zoologie expriment des réalités. Dire que dresser un animal c'est le rendre meilleur, voilà qui sonne à nos oreilles comme une dérision ( 2 ).
Qui sait ce qui se passe dans les ménageries doute que la bête brute devienne meilleure. On l'affaiblit, on la rend moins dangereuse, on fait d'elle, par l'effet déprimant de la peur, par la douleur, par les blessures et par la faim une bête maladive.
Il n'en va pas autrement de l'homme domestiqué que le prêtre a amandé.

NDL :
( 1 ) Friedrich évoque là les aryens, et il a dû se retourner dans sa tombe quand sa sœur Elisabeth a présenté son œuvre posthume, trafiquée par ses soins, à Hitler.
( 2 ) Particulièrement sensible au sort que les humains réservent aux animaux, début 1888, il a empêché un cocher de corriger son cheval. Cela lui a procuré un tel choc émotionnel qu'il en a perdu la raison.
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"Nous entendons le laid comme un signe et un symptôme de la dégénérescence : ce qui rappelle de près ou de loin la dégénérescence provoque en nous le jugement « laid ». Chaque indice d'épuisement, de lourdeur, de vieillesse, de fatigue, toute espèce de contrainte, telle que la crampe, la paralysie, avant tout l'odeur, la couleur, la forme de la décomposition, serait-ce même dans sa dernière atténuation, sous forme de symbole — tout cela provoque la même réaction, le jugement « laid ». Ici une haine jaillit : qui l'homme hait-il ici ? Mais il n'y a à cela aucun doute : l'abaissement de son type. Il hait du fond de son plus profond instinct de l'espèce ; dans cette haine il y a un frémissement, de la prudence, de la profondeur, de la clairvoyance —, c'est la haine la plus profonde qu'il y ait. C'est à cause d'elle que l'art est profond..."
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De tout temps les sages ont porté le même jugement sur la vie : elle ne vaut rien… Toujours et partout on a entendu sortir de leur bouche la même parole, -une parole pleine de doute, pleine de mélancolie, pleine de fatigue de la vie, pleine de résistance contre la vie. Socrate lui-même a dit en mourant : « Vivre –c’est être longtemps malade : je dois un coq à Esculape libérateur. » Même Socrate en avait assez. –Qu’est-ce que cela démontre ? Qu’est-ce que cela montre ? […] « Il faut en tous les cas qu’il y ait ici quelque chose de malade », -voilà notre réponse : ces sages parmi les sages de tous les temps, il faudrait d’abord les voir de près ! Peut-être n’étaient-ils plus, tant qu’ils sont, fermes sur leurs jambes, peut-être étaient-ils en retard, chancelants, décadents peut-être ? La sagesse paraissait-elle peut-être sur la terre comme un corbeau, qu’une petite odeur de charogne enthousiaste ?...
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